LE MONDE / 27 Avril 1999 / ENTREPRISES, STRATEGIES
Des entreprises plaident pour
une " éthique " compatible avec le profit
Volvo, Unilever ou Monsanto ont pris des engagements dans le
domaine social et celui de l'environnement. Ces groupes
européens et américains estiment que ces actions peuvent avoir
un impact positif sur leur activité et leur réputation
STRATEGIES Unilever, Deutsche Bank, 3 M... des entreprises affirment vouloir respecter l'environnement et adopter une attitude responsable dans l'exploitation des ressources mondiales. SHELL détaille désormais dans son rapport annuel ses engagements environnementaux et sociaux. Le groupe pétrolier s'engage en faveur des énergies renouvelables. LE DEVELOPPEMENT durable de la planète est au coeur de cette nouvelle approche stratégique des entreprises, souvent encouragée par la dégradation de leur image. POUR CONVAINCRE les actionnaires du bien-fondé économique d'une telle démarche, certaines d'entre elles, réunies au sein d'un consortium, ont réalisé et présenté une étude européenne. LE CONTROLE du respect de ces engagements est un point qui pose problème. Il doit être indépendant pour assurer la crédibilité de cette démarche.
STOCKHOLM de notre correspondant
Les consommateurs sont censés attendre des entreprises qu'elles
respectent l'environnement et qu'elles aient une attitude
responsable dans l'exploitation des ressources mondiales. Mais
qu'en pensent les actionnaires, dont l'attrait pour les
bénéfices tourne parfois à l'obsession ? Est-il de leur
intérêt de favoriser une telle évolution, perçue le plus
souvent comme coûteuse ?
Oui, répondent des grandes firmes européennes et américaines, une nouvelle étude à l'appui. Une politique de développement durable (" sustainability ", en anglais) " se traduit par une plus grande valeur pour l'actionnaire ", à condition d'éviter certains " pièges ", assure ce groupe baptisé le Consortium, qui comprend la Deutsche Bank, Electrolux, Gerling Group of Insurance Companies, ICI, Monsanto, Unilever et Volvo.
NOUVELLES VALEURS
Pendant deux ans, des hauts dirigeants de ces entreprises ont rendu visite à d'autres sociétés réputées être actives en matière de développement durable (ABB, Body Shop, British Petroleum, Daimler Benz, Dow Chemical, Interface, Nat West, Novo Nordisk, Swiss Bank Corporation, Xerox et 3M). Objectif : étudier leurs stratégies en la matière et en mesurer l'impact sur la rentabilité. Ils ont aussi interrogé de nombreux représentants de la communauté financière. De ce " voyage ", les membres du Consortium sont revenus avec une série de conclusions qu'ils ont présentées mercredi 21 avril à Stockholm. Comment allier au mieux profit et développement durable ?
La recette tiendrait en cinq points : le
PDG et la direction générale doivent " jouer un rôle
unique dans le développement et la
diffusion " de ces nouvelles valeurs ; " la
transparence " et " le dialogue " sont impératifs
pour susciter la confiance des différents acteurs économiques
et sociaux ; il faut pouvoir " répondre de ses actes "
à tous les stades de la production ; la définition d'objectifs
précis est importante pour stimuler " l'innovation ".
Outre l'impact positif sur " la réputation " de l'entreprise, le respect de ces critères permet, selon l'étude, de réduire les coûts de production. " Il est difficile de définir, pour un produit, quel est le pourcentage du bénéfice dégagé par l'environnement ", admet Bart Sangster , chef de la division sécurité et assurance environnementale à Unilever. " Il faut arriver, ajoute-t-il, à faire de cette composante une partie intégrante des affaires. Il n'y aurait alors plus besoin d'expliquer quelle est sa rentabilité. " " LES FACTEURS RISQUE "
On n'en est pas là. Les membres du Consortium reconnaissent que la communauté financière a encore tendance à se concentrer sur " les facteurs risque " d'une stratégie de développement durable. Rares sont les analystes qui prennent le temps d'étudier les rapports environnementaux publiés par de plus en plus de compagnies. " Il y a deux façons de voir les choses : soit on dit qu'ils sont très peu nombreux, soit que leur nombre augmente très vite depuis un ou deux ans ", plaide Leif Johansson, le PDG de Volvo, qui a présidé l'étude du Consortium. " Nous devons trouver le langage adéquat pour leur parler. Nous avions commencé par ne pas leur donner assez d'informations, puis trop : il faut trouver un équilibre. "
Les firmes du Consortium vont désormais digérer les conclusions de cette enquête et les appliquer selon leurs spécificités et leurs besoins respectifs. Elles ont également l'intention de " dialoguer " sur ce thème avec les autorités, tant en Europe qu'aux Etats-Unis et en Chine. " Il ne s'agit pas de jouer le rôle traditionnel de lobbying, mais de voir ce qu'il est possible de faire ", précise M. Johansson . " Les législateurs commencent à attendre cela de la part de l'industrie. C'est une bonne chose : cela montre que nous ne faisons pas si mal... "
ANTOINE JACOB