LA FRACTURE ?

Alain PERRODON

 
     
  Avascope N° 27 de février 1999 :

Les actionnaires salariés sont attachés à leur société à un double titre. Ils en sont copropriétaires, pour une part modeste, certes, mais néanmoins importante. Ils en sont d'autre part les acteurs, contribuant activement à la création  de richesse de celle-ci. A ce double point de vue ils ne sauraient admettre qu'une politique de développement à long terme. D'autant plus que dans une industrie lourde comme la nôtre, les résultats n'arrivent souvent que 8 à 10 ans après la conception d'un projet et la prise de décision initiale. Dans ces conditions les fluctuations de l'environnement économique et en particulier du cours du brut, si cruelles  soient elles, doivent être lissées sans entraîner le report sine die des grands projets. La survie de l'entreprise mérite bien quelques sacrifices sur la rentabilité immédiate des capitaux investis. Se focaliser sur un ROCE élevé, c'est l'assurance de voir les premières places de quelques grands projets occupées par quelques confrères mieux avisés.

  Or que voyons nous ? La réaffirmation d'un objectif de rentabilité de 12 à 13 % tout au long de la chaîne pétrolière, quel que soit le contexte économique. Un tel impératif ne peut se traduire, volens - nolens, que par une stratégie à court terme et le rétrécissement de l'entreprise, souvent à  contre-courant de cet esprit entreprenant et industriel qui a fait la fortune du Groupe.

Cela est particulièrement néfaste pour la motivation des acteurs, des entrepreneurs de la société. Comment peut-on penser les motiver par la perspective de nouveaux plans sociaux et de réorganisations à répétition, concoctés à une sauce anglo-saxonne particulièrement indigeste aux palais latins ? Ces plans malthusiens se traduisent trop souvent par l'éviction de cadres expérimentés dont le savoir-faire et la mémoire des expériences passées peuvent éviter de graves échecs, et par là permettre d'importantes économies. On sait que l'exploration procède par cycles. Il est évident qu'après l'off-shore profond nous reviendrons à terre, par exemple dans la prospection de bassins complexes que de nouvelles techniques et quelques innovations éclaireront d'un jour nouveau. Et là, l'expérience passée pourra accélérer la marche. Il en est de même pour le raffinage et la chimie.

Dans ce climat de morosité et d'attente passive qui règne aujourd'hui dans certaines directions techniques, repliées sur elles-mêmes, l'annonce du rachat de Pétrofina par Total a été mal ressentie. Les explications financières avancées ne semblent pas aller dans le sens de la stratégie à long terme souhaitée par les salariés.

Que peut espérer une entreprise dont les agents ont perdu l'enthousiasme, ce feu sacré qui a permis d'édifier le Groupe au fil d'années difficiles, qui dans le passé ont toujours été suivies de nouveaux développements.

Les mesures nécessaires à une saine gestion du Groupe doivent être prises avec courage, mais les salariés doivent être traités avec la plus grande équité et la plus grande attention aux personnes. Il en va de la motivation de ceux qui restent sous peine de fracture.