LENGRENAGE Alain PERRODON |
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Avascope N° 28 d'avril
1999 : On savait les périodes de faibles prix du brut favorables à linnovation et au progrès technique. On découvre aujourdhui que la conjonction de celles-ci avec un durcissement des critères de rentabilité peut provoquer tout un enchaînement de transformations, de réorganisation, de fusions, bref lengrenage dune révolution. Une première réaction, relativement aisée, consiste à gagner du temps, en repoussant la mise en service dexploitations, notamment celles qui seraient à la limite de rentabilité avec les cours actuels du baril. Dominique Deschamps, un des responsables du projet Mer Profonde Girassol, déclarait ainsi récemment, à propos de la construction de la barge géante destinée à ce champ : alors quinitialement le délai était primordial, cest aujourdhui le facteur coût qui prend le dessus. Mais cela ne saurait suffire : il faut impérativement réduire les coûts pour accroître sinon maintenir la rentabilité des capitaux investis par des Fonds toujours exigeants. Des mesures de réduction des coûts sont donc prises, mais on saperçoit vite que chaque nouveau point devient de plus en plus difficile à gagner. La croissance interne montre vite ses limites. Pour aller plus loin, il faut partir densembles plus vastes permettant à la fois des économies déchelle et une globalisation plus efficace des opérations. On recherche alors des alliances, en commençant par exemple par des activités régionales, notamment dans le secteur aval. Du côté de lamont, la tendance, sinon la tentation, est à la réduction des investissements, en dépit des conséquences que ces imputations risquent d'entraîner sur les perspectives de la société à moyen terme. Comme les nouveaux domaines miniers intéressants deviennent rares et chers, les prospects proposés ne semblent pas remplir les critères de rentabilité retenus, bien quil soit toujours difficile dapprécier la rentabilité future dun investissement en matière dexploration. Na-t-on pas constaté souvent que les découvertes majeures sont le fruit de projets présentant de hauts risques, alors que les prospects les plus rentables, les moins risqués, sont généralement de taille modeste ? Devant ces difficultés on peut se tourner vers lachat dhuile en terre, en pensant mettre à profit les faibles coûts de celle-ci. Cette procédure sest envolée au cours de lannée 1997, le volume de transactions atteignant 38 milliards de dollars. Aujourdhui si cette source nest pas tarie, elle montre ses limites. On pourra sy prendre indirectement en achetant des sociétés détentrices de quelques gisements. La chasse est ouverte. Comme on peut le dire dans EPMag de janvier dernier : lheure est désormais aux fusions-acquisitions. Mais dans cette jungle le chasseur peut être la proie dun prédateur plus puissant et plus déterminé. Aussi convient-il de préparer sa défense. La règle pour ce faire est aujourdhui de se recentrer sur ses métiers de base, avec lécueil de multiplier les risques, alors quil y a une ou deux décennies la mode était aux diversifications pour mieux répartir les risques. On coupe donc les branches secondaires avant quun éventuel prédateur ne le fasse. Ce découpage va logiquement de pair avec une réduction du capital par le rachat dactions systématiquement détruites, opération justifiée par labsence de projets sérieux, et contribuant du même coup à la croissance de la rentabilité. Cest comme nous lavons montré précédemment (Avascope n°23, février 98) procéder à un véritable changement de culture de société, pour reprendre la formule consacrée. On substitue la mentalité business à lesprit dentreprise. Dès lors la logique du système est toute tracée : il faut concentrer la mission de la société sur ses activités patrimoniales et élaguer toutes les activités de service que lon est supposé pouvoir remplacer à moindre coût. ET LE STRIP TEASE COMMENCE . On confie une part croissante des activités techniques à des sociétés de service, françaises parfois, et plus souvent anglo-américaines par défaut des premières. Il ne sagit plus, à vrai dire de simples services. On développe des liens de partenariat, on fait alliance avec des entreprises qui elles-même se concentrent, non seulement sur un plan horizontal, mais dans des développements verticaux, leur permettant dassurer des services plus complets, en quelque sorte clé en main. Peut-être néglige-t-on le fait que les interprétations de ces sociétés, faute de disposer de lensemble des données géologiques ou patrimoniales, demeurent incomplètes. Sans doute risque-t-on, en se privant dapplications concrètes, de faire tourner la recherche à vide. On sous-estime aussi certainement le risque despionnage industriel, dans des sociétés de services qui ont de nombreux clients. Cela peut permettre à des concurrents mieux introduits de profiter avant nous de fuites sur des études commandées. De fil en aiguille (et sans parler des délires de lexternalisation) la logique dun système prioritairement financier peut conduire les directions à délaisser le rôle dopérateur, au profit de celui de partenaire minoritaire, moins gourmand en moyens et dune plus grande souplesse. Ainsi sinstaure un climat de rapprochements, de fusions et de rachats entre sociétés maître doeuvre. Mais nous savons aussi quil ne suffit pas de grossir pour réussir. Lengrenage continuant à tourner, ne peut-on pas redouter darriver à ce que lauteur du rapport World deepwater cité par le BIP du 1er mars appelle le concept de SOCIETES PETROLIERES VIRTUELLES composées exclusivement dingénieurs financiers et de scientifiques géologues ? Lentreprise industrielle est alors réduite à un holding financier. Mais au fait, que sont alors devenus les actionnaires salariés ? Le bonheur des uns doit-il reposer sur le malheur des autres ? |