Alternatives Economiques LE CAPITALISME A LETAT PUR n°171 - Juin 1999 |
Sous
linfluence des investisseurs institutionnels, les
entreprises adoptent de nouvelles façons de mesurer la
rentabilité de leurs activités. Les dirigeants des grandes entreprises ont une obsession : la création de valeur pour lactionnaire. Ils sont plus que jamais soumis aux exigences de rentabilité des investisseurs, et notamment des fonds de pension anglo-saxons. Mais, au delà du suivisme des acteurs du marché et des effets de mode autour de tel ou tel secteur dactivité, comment mesurer cette valeur et comparer les performances économiques des différentes entreprises pour fonder un tant soit peu rationnellement les décisions dinvestissement ? Il faut un langage commun aux dirigeants, à leurs subordonnés et aux investisseurs institutionnels. Les ratios habituels, bénéfice sur chiffre daffaires ou bénéfices sur fonds propres, ne donnent quune image trompeuse .Le premier dépend largement du poids des achats réalisés par lentreprise et le second peut être très élevé même quand lentreprise est lourdement endettée. En fait, une entreprise rentable, cest avant tout une entreprise qui dégage plus de bénéfice pour cent francs de capital engagé dans son activité que des placements sans risque, comme les emprunts dEtat, que ce capital lui soit fourni sous forme de fonds propres (donc dactions), de crédits bancaires ou dobligations. De plus, il faut majorer ce taux dune prime de risque en fonction de lentreprise et du secteur dactivité, afin de se prémunir des aléas toujours possibles dans la vie des affaires. De nouvelles façons de mesurer la rentabilité des entreprises se sont donc imposées, à la fois sur les marchés financiers et au sein des entreprises elles-mêmes. La plus répandue est la méthode EVA (pour Economic Value Added). Elle a été développée par le cabinet de consultants américain Stern et Stewart, qui en a même fait une marque déposée et commercialisée (lapparition de marques commerciales en matière danalyse financière est une innovation intéressante....). Il sagit de calculer ce quon appelle une " valeur ajoutée économique ". On retranche au résultat opérationnel net dimpôts le coût de tous les capitaux investis dans lentreprise, quelle quen soit la forme, dette financière ou fonds propres. On mesure le montant qui représente lexcès de profit par rapport au minimum requis. La donnée clé de la formule, le coût des capitaux, dépend de la structure financière du groupe ( il sagit du coût moyen pondéré des fonds propres et de la dette, en fonction de leur proportion dans la structure du passif du bilan). Comme lexplique Peter Drucker dans un article du Harvard Business Review : " Tant quune entreprise ne dégage pas un profit plus élevé que son coût du capital, elle fait des pertes. Lentreprise apporte moins à léconomie que les ressources quelle consomme. Elle ne crée pas de richesses mais elle en détruit. " .LEVA est calculée pour lentreprise entière et communiquée aux investisseurs institutionnels, mais elle est aussi déclinée pour chaque filiale et chaque division. Les stratégies suivies et le personnel dencadrement peuvent être évalués en fonction de cet objectif unique. LEVA met, au fond, tous les décideurs de lentreprise dans la situation de linvestisseur qui place son argent. ; elle est un moyen privilégié de transmettre à toute lorganisation la pression quexercent les investisseurs institutionnels sur la direction. Cette manière de mesurer la valeur économique créée par une entreprise naurait pas déplu au défunt Karl Marx : elle exprime de manière particulièrement pure la rationalité fondamentale du capitalisme. Avec ses forces - une efficacité inégalée jusque-là pour assurer une affectation décentralisée des ressources financières entre les entreprises - et ses faiblesses : la tentation très forte pour les dirigeants daugmenter le surplus de richesse ainsi mesuré en pressurant le salarié plutôt quen innovant ou en améliorant la qualité de leur produits, tout en négligeant ce qui, dans lenvironnement des entreprises, na pas de valeur monétaire mesurable. Daniel ARONSSOHN |