14 avril 1998
L'INTERSYNDICALE (SNTRS-CGT, SNCS-FSU, SNESup-FSU, SNPCEN-FSU)
du Laboratoire de Physique Corpusculaire (LPC), Collège de France,
11 pl. Marcelin Berthelot, 75231 PARIS Cedex 05 , Téléphone et Fax: 01 45 83 07 20
à Messieurs les DEPUTES, MEMBRES de l'ASSEMBLEE NATIONALE
POURQUOI, TRES RESPECTUEUSEMENT, NOUS NE POUVONS PAS NOUS SATISFAIRE DE LA REPONSE DE MONSIEUR LE MINISTRE
Demande de constitution d'une Commission d'Enquête Parlementaire sur la Recherche Scientifique et le fonctionnement de ses établissements
Trois questions écrites de députés, concernant
la situation du Laboratoire de Physique Corpusculaire du Collège
de France (LPC), ont reçu des réponses (633, J.O. du 1 septembre
1997; 5756 et 5761, J.O. du 23 février 1998) qui nient catégoriquement
l'existence d'un problème de fond. Elles sont représentatives
d'un style de travail qui s'est instauré au cours des deux dernières
décennies au sein de la hiérarchie de la recherche scientifique.
Malgré tout le respect dû aux autorités, nous ne pouvons
accepter ces réponses contraires à la vérité
et qui entérinent l'arbitraire. Elles semblent témoigner
d'un immobilisme dangereux et d'un refus de corriger de graves dysfonctionnements.
1. Rappel des faits et urgence de la situation
Le LPC a été créé en 1973 par la réunion de deux laboratoires, avec un effectif total d'environ 250 personnes. Cette fusion pénalisait l'avenir professionnel des personnels. Elle leur a été imposée par deux faits essentiels: a) la volonté de la hiérarchie de préserver un fonctionnement "par chaires" des laboratoires de recherche, avec prééminence d'office des Professeurs du Collège de France sur les chercheurs d'autres établissements, au détriment de l'égalité des agents de l'Etat et de la concurrence professionnelle normale; b) le souhait de l'un des deux Professeurs au Collège France de la discipline, qui cumulait cette fonction avec celle d'agent du Centre Européen de Recherche Nucléaire (CERN) à Genève, de ne pas assurer la direction d'un laboratoire. Le Collège de France "disposant d'un seul Professeur-Directeur" pour la Physique Nucléaire et Corpusculaire, un "très gros laboratoire" a vu le jour afin d'éviter la désignation d'un directeur appartenant à un autre organisme. Le LPC ainsi formé était l'héritier d'une longue tradition, unique dans les annales de la Science française. Son domaine d'activité était en pleine expansion. Pourtant, son existence fut mise en cause dès sa création sans motivation scientifique, invoquant une "nécessité de sa disparition au moment du départ à la retraite du Professeur-Directeur" (en 2005!). Un tel critère était ainsi appliqué pour la première (et unique) fois a notre discipline, dont l'avenir au Collège de France a fait les frais d'événements et tendances étrangers à l'intérêt de la recherche et du pays.
L'activité scientifique du LPC, qui a été, est et reste le fait des initiatives créatrices de ses personnels, n'a jamais été mise en cause par les instances d'évaluation. En Novembre 1990 , le Conseil Scientifique du CNRS le considérait comme un laboratoire de pointe, devant être le protagoniste de l'une des deux opérations structurantes du CNRS de l'année 1991 (son tranfert à Marseille, pour lequel un bâtiment très onéreux a été construit). Nous n'avons connaissance d'aucune évaluation circonstanciée de la production scientifique du Professeur-Directeur. Son curriculum vitae public ne déclare que quatre travaux scientifiques originaux depuis son entrée en fonctions au Collège de France en 1973 : aucun de ces travaux ne correspond aux "axes" proclamés (et exclusifs!) de la nouvelle Unité Mixte de Recherche (Laboratoire de Physique Corpusculaire et Cosmologie, LPCC), créée pourtant en 1997 pour succéder au LPC sur la base du "projet du Professeur-Directeur".
Le transfert du LPC à Marseille, décidé par le CNRS sans concertation avec le Collège de France ni consultation des personnels, n'a pas pu voir le jour faute d'accord entre les institutions concernées. Depuis l'automne 1992 , le laboratoire a été placé en "décroissance programmée" par le Directeur de l'Institut National de Physique Nucléaire et Physique des Particules (IN2P3) nommé en Mars 1992 . En Février 1996 , cette autorité déclarera devant le Conseil Scientifique du CNRS que le LPC "disparaît dans des conditions indignes". Or, depuis 1992 et par décision de ce même Directeur, le LPC a sans cesse été victime de coupures budgétaires, harcèlement et tentatives de démantèlement de son activité. La "décroissance" et l'embrigadement des recherches lui ont été imposés par la contrainte, sans procédure ni motivation scientifique (e.g. "expulsion en 24 heures", le 1 Octobre 1992 , d'un chercheur qui avait émis des critiques envers le fonctionnement d'un programme interdisciplinaire et défendu l'indépendance des projets français; mise en quarantaine, depuis 1993 , d'un groupe qui avait soulevé des questions critiques sur le projet d' "amplificateur d'énergie" du Prof. C. RUBBIA...). Les consultations statutaires qui auraient dû précéder les opérations de "restructuration" n'ont pas eu lieu ou se sont déroulées dans des conditions inacceptables (menaces, injures, représailles, faits accomplis, expulsions d'élus, demande de procédures psychiatriques...). A l'automne 1995 , la Direction de l'IN2P3 a officiellement brandi la menace de fermeture immédiate du LPC si le programme de "restructuration" n'était pas approuvé par les instances d'évaluation. Les mutations d'office n'ont, ni respecté les statuts ni été motivées par l'intérêt de la recherche (e.g. affectation de chercheurs dans une Unité de Service). L'absence de tableau de mutation et de procédure de concours pour l'affectation à la nouvelle Unité a ouvert la voie à des discriminations (élimination massive des membres de nos sections syndicales, mises à l'écart liées aux origines des personnes...). Un dossier complet sur ces événements est à votre disposition, susceptible de fonder une enquête contradictoire qui nous apparaît indispensable.
La confirmation de la création du LPCC éliminerait une partie très importante des personnels du LPC, ainsi que ses axes de recherche les plus significatifs dans la Physique des Particules (les expériences auprès d'accélérateurs au CERN de Genève, alors que les Etats-Unis ont renoncé à leur projet de collisionneur pour participer au LHC du CERN) et la production d'énergie (de première urgence en France et en Europe). La volonté de réduire à un strict minimum le programme de recherche du laboratoire s'accompagne d'un projet très coûteux (plusieurs centaines de millions de francs) de réconversion des locaux du Collège de France en amphithéatres pour des conférences et appartements pour visiteurs. La priorité de ces aménagements n'apparaît pas justifiée, car la poursuite des activités de recherche abandonnées par les Professeurs constitue un enjeu stratégique pour le pays. Contrairement à ce qu'affirme le Ministère de tutelle, le lien entre la reconversion des locaux du Collège de France et les réductions drastiques de personnels et axes de recherche du LPC apparaît explicitement dans les courriers de la Direction et dans de nombreux comptes rendus. Dans l'attente d'une enquête, nous vous demandons de bien vouloir intervenir d'urgence afin d'obtenir un moratoire sur les "grands travaux" du Collège de France et sur la "restructuration" du LPC.
2. Les réponses du Ministère de tutelle aux questions
écrites
D'après le Ministère de tutelle, la restructuration du LPC a lieu "dans la perspective d'un départ à la retraite de son directeur" et en vue de "préparer les évolutions scientifiques prévisibles". Mais, dans ce cas, pourquoi avoir: a) imposé que la délibération des instances d'évaluation soit limitée à un "projet du Professeur-Directeur" qui doit partir à la retraite? b) opposé en 1996 à la Section 03 du Comité National du CNRS, pour empêcher le remplacement de Monsieur M. FROISSART à la tête du LPC suite à de nombreuses critiques, une "convention-cadre" illégale faisant des Professeurs du Collège de France des "directeurs à vie" des unités de recherche associées au CNRS sur ce site? Si le Professeur-Directeur doit quitter sa chaire dans les années à venir, si les laboratoires doivent rester des "laboratoires à chaire" et si le profil scientifique du poste associé à la future nouvelle chaire n'a pas encore été défini conformément aux statuts du Collège de France... comment peut-on "préparer les évolutions scientifiques prévisibles"? A moins que le successeur de Monsieur M. FROISSART n'ait été choisi dans des cercles confidentiels en dehors de la procédure légale. Et, si un ou deux "probables successeurs" ont été désignés en privé, peut-on faire confiance aux rapports des instances d'évaluation sur l'avenir du laboratoire? Les faits montrent que leur indépendance et impartialité ne sont pas garanties: le principal rapporteur de la Section 03 sur le LPC en 1995-97 organise en 1999 , avec Monsieur M. FROISSART et au Collège de France, l'Atelier International "TAUP 99" avec la même thématique que les "nouveaux axes de recherche" du LPCC.
Alors qu'il s'agit du "départ à la retraite du directeur", c'est le laboratoire qui est déclaré "vieillissant"... Pourquoi notre production scientifique serait-elle vieillissante du fait de l'âge du Professeur-Directeur qui n'est, ni le concepteur, ni l'auteur, de nos travaux? Ces extrapolations sont injurieuses, et calomnieuses, envers les personnels. Et peut-on invoquer l' "âge moyen" d'un laboratoire depuis longtemps privé d'embauches au nom du "départ du Professeur-Directeur", ou les carences de locaux délibérément abandonnés au délabrément par la Direction (mettant en danger la sécurité des personnels!) dans le but (avoué dans un procès verbal) de pouvoir les déclarer insalubres? L'activité scientifique du LPC n'a jamais été vieillisante: c'est le système des "laboratoires à chaire" qui apparaît comme une pratique d'une autre époque, nuisible à l'activité scientifique.
Contrairement à ce qu'affirme le Ministère de tutelle, aucune possibilité réelle de dialogue n'a été ouverte. Depuis juillet 1997, date à laquelle notre Intersyndicale avait présenté ses griefs au Directeur de la Recherche et de la Technologie sans résultat, aucune instance n'a accepté de nous recevoir malgré l'aggravation de notre situation. C'est par la contrainte, avec menace de licenciement ou de coupure de salaire, et par des faits accomplis sans concertation (mutations d'office, suppression de moyens de travail, pose de verrous...) que les groupes de recherche sont disloqués et les personnels expulsés. Deux groupes ("Théorie" et "Calcul Parallèle") titulaires de contrats européens sont dispersés et matériellement empêchés de remplir leurs engagements. Le nouveau "projet scientifique" (???) comporte l'élimination d'une trentaine de personnes et des départs à la retraite sans remplacement. Il s'agit d'un vrai démantèlement sur le plan de la thématique, des personnels et de la logistique. Sur tous les points évoqués, les réponses du Ministère de tutelle sont évasives et manquent d'objectivité. En ce qui concerne les possibles discriminations (signalées au contentieux administratif), force est de constater l'absence d'une réponse circonstanciée faisant état d'une quelconque enquête. Nous devons rappeler que l'administration a le devoir d'enquêter sur les faits signalés et, le cas échéant, de protéger les personnels. L'absence à ce jour de constitution de partie civile n'est pas un argument valable, vu les délais de prescription pour ce type d'infractions.
3. Analyse et conclusions
Un style de travail s'est enraciné dans la "gestion de la recherche": le recours, à tort et à travers et indépendamment des réalités, à des "mots-clés" passe-partout permettant de justifier à la fois toute décision et son contraire. Les motifs réels échappent alors complètement aux administrés et au droit écrit. La réalité est modifiée ad hoc pour pouvoir appliquer les mots-clés: le LPC, traité a posteriori de "laboratoire vieillissant", a été privé d'embauches de chercheurs pendant plus d'une décennie et son budget a fait l'objet de coupures drastiques depuis 1992 . S'ajoute à ces procédés: a) le caractère technocratique des décisions, où l'on tente de règler les problèmes par des "restructurations", organigrammes et redistributions du pouvoir entre "chefs" plutôt que par un examen des réalités professionnelles; b) l'emploi croissant de la contrainte à l'égard des personnels actifs, de plus en plus méprisés et auxquels des Directions très éloignées opposent leurs "responsables des ressources humaines" et "services juridiques"; c) l'auto-évaluation de la hiérarchie scientifique, qui contrôle entièrement le Comité National d'Evaluation de la Recherche (CNER).
Malgré de nombreuses "réformes" statutaires et organisationnelles, menées par des appareils coupés de la recherche active et médiatisées par des réseaux de propagande, les problèmes de la communauté scientifique française sont devenus graves et empirent sans cesse. Chaque "réforme" restreint un peu plus l'autonomie et la capacité d'initiative des personnels, et accroît le pouvoir, privilèges et droit à l'arbitraire d'une hiérarchie bureaucratique devenue inamovible. Dans les années 70 , la rotation des dirigeants et le retour aux activités de recherche après quelques années de tâches administratives étaient la règle. Aujourd'hui, le travail scientifique n'est plus source de promotion: une vraie caste de "directeurs", "coordinateurs" et "administrateurs" à vie pèse lourdement sur les organismes de recherche. La productivité et qualité scientifiques en sont atteintes. Les échecs sévères, dysfonctionnements graves et comportements contestables (e.g. sang contaminé, ARC, Centre Lacassagne de Nice, ACRI...) deviennent fréquents. Les litiges prolifèrent et se durcissent à l'extrême, faute de voies de dialogue. Il est manifestement inutile de demander à la hiérarchie scientifique d'entreprendre des réformes pour corriger ses propres dérives. C'est pourquoi nous demandons: a) un moratoire sur l'ensemble des projets administratifs de "réforme" des institutions scientifiques; b) la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire chargée de faire le point sur la situation de la recherche scientifique, le fonctionnement des établissements et les mesures indispensables pour redresser d'urgence cette situation dangereuse dans l'intérêt de la Nation.
Nous vous prions de recevoir l'expression de notre haute considération.
R. BRUERE-DAWSON, SNTRS-CGT
J. MAILLARD, SNCS-FSU
J. SILVA, SNESup-FSU
A. JEJCIC, SNPCEN-FSU
P.S. - Vu certaines menaces et pressions, et afin d'assurer la réception
du courrier, nous vous prions d'envoyer toute correspondance, soit au numéro
de télécopie précité, soit à l'adresse:
Luis GONZALEZ-MESTRES, 17 rue Albert BAYET, Appartement 1105 , 75013
PARIS