I. LA QUESTION DES DROITS

 

A. EN DIRECT DES ETATS GÉNÉRAUX

 

1. Déclaration des droits fondamentaux :

 

une première ébauche

Mode d'emploi

 

Le texte qui suit est totalement lacunaire, provisoire, indicatif, fragmentaire : ce sont à peine quelques pointillés. Il n'a pas pour but de dresser une liste complète des droits et de formuler, pour chacun et pour tous, les conditions de leur exercice. Ses objectifs sont simplement les suivants :

 

— indiquer, à partir de quelques exemples, comment la Déclaration pourrait être rédigée ;

— suggérer comment, pour chaque droit, pourraient être envisagées des définitions, des refus, des exigences, des conditions d'application, etc. ;

— esquisser les premières articulations d'un texte qui devra (c'est une difficulté majeure) éviter de se résumer à un simple catalogue.

 

Autant dire qu'il est encore trop tôt pour proposer ici un texte soumis à amendements. Ce dont nous avons tous besoin, ce sont des tentatives de rédaction diverses, plus complètes, plus précises, portant sur des points particuliers. Ce n'est que lorsque nous serons en possession de ces matériaux qu'une proposition soumise à modifications pourra être mise en discussion.

 

Bref, il ne s'agit ici que du début d'un commencement de canevas. A nous de jouer...

 

 

Préambule

 

" Dans quelle société voulons-nous vivre ? " Pour répondre à cette question, il faut commencer par énoncer les droits que cette société s'engage à reconnaître et à faire vivre. En portant le débat sur ce terrain, nous indiquons sur quel front se mènent les combats prioritaires. " Dans quelle Europe voulons-nous vivre ? " Pour répondre à cette question, il faut indiquer quels sont les droits sociaux que l'Europe doit garantir et que, le cas échéant, seul un espace européen peut garantir. En donnant une portée européenne à cette Déclaration, nous indiquons d'emblée à quelle échelle doivent se situer les combats à mener et les politiques à conduire.

 

L'offensive libérale qui, sous couvert de mondialisation, déferle dans tous les pays, ne se borne pas à imposer des reculs dans l'exercice toujours inégal et précaire des droits fondamentaux, et en particulier des droits sociaux : dans la foulée de la remise en cause de l'Etat-providence, c'est le principe même de droits économiques, sociaux et culturels qui est remis en cause. C'est en particulier sur la remise en cause des droits sociaux, de la légitimité de leur proclamation comme sur les modalités de leur application, que se concentre aujourd'hui l'offensive néo-libérale, dans ses versions les plus réactionnaires comme dans ses versions les plus policées.

 

Quand de tels droits sont reconnus, ils sont tout au plus concédés comme des droits dérogatoires ou minimaux : droits dérogatoires, parce qu'ils dérogeraient au principe selon lequel seuls des droits civils et politiques doivent être universellement reconnus ; droits minimaux, parce que seules les situations limites mériteraient que la société s'engage à les faire respecter, l'Etat réduisant son intervention à des incitations minimales. L'exercice des droits sociaux ne relève plus alors que de la compassion. Les droits des pauvres ne sont plus alors que de pauvres droits : ce sont à peine des droits. Comme le deviennent jour après jour la plupart des droits sociaux. Car les droits sociaux sont des droits à des prestations, ou ils ne sont rien. C'est pourquoi, les libéraux conséquents ne se privent pas d'affirmer que les droits sociaux doivent être rayés de la carte des droits, et les libéraux honteux — tradition nationale oblige — ne les mentionnent qu'accidentelle-ment et les minorent systématiquement.

 

Nous proclamons :

 

— que la liberté de chaque personne est indissociable de sa dignité et que tous les êtres humains ont droit à une égale liberté et à une égale dignité. C'est pourquoi les droits qui garantissent cette égale liberté et cette égale dignité sont indivisibles ;

— que les libertés civiles et politiques sont menacées ou bafouées quand la dignité humaine est mutilée ou piétinée. C'est pourquoi les droits civils et politiques ne sont pas dissociables des droits économiques, sociaux et culturels ;

— que toute minoration ou violation des droits économiques, sociaux et culturels constitue une minoration ou une violation des droits civils et politiques.

 

Nous opposons :

 

— à ceux qui tentent d'opposer des droits de liberté et des droits à des prestations : que tous les droits reposent sur des prestations ou les supposent ;

— à ceux qui invoquent l'étatisme forcené qui serait inhérent à la garantie des droits sociaux : que le même argument pourrait s'appliquer aux droits civils et politiques ;

— à ceux qui se prévalent des miracles de l'économie de marché : que la dignité humaine n'est pas à vendre.

 

Nous affirmons :

 

— que sont des droits fondamentaux tous ceux qui peuvent être reconnus pour universels et tenus pour universalisables ;

— que sont universels et universalisables tous les droits qui se fondent sur les virtualités de la condition humaine, même quand il apparaît qu'ils doivent bénéficier à des catégories particulières. Parce que tout être humain est un être singulier, toute singularité, qu'elle soit ou non partagée avec d'autres, doit être respectée, pour peu qu'elle ne compromette pas la liberté et la dignité de tous les autres ;

— parce que tout être humain est un être sexué, la différence des sexes doit être inscrite au cœur de l'universalité des droits et les droits des femmes faire l'objet de garanties universelles ;

— parce que l'être humain est un être mortel, sujet à la maladie et aux handicaps, l'égalité d'accès aux soins et à l'exercice de tous les droits doit être garantie, et les droits des malades, des handicapés pleinement reconnus ;

— parce que tout être humain est un étranger, l'égalité des droits économiques, sociaux et culturels, comme des droits civils et politiques, doit être garantie indépendamment des nationalités ;

— parce que tout être humain est d'abord un enfant, les droits de l'enfant sont partie intégrante des droits universels de la personne. Nous voulons vivre dans une société où la Déclaration des droits de l'homme ne serait pas le préambule de droits sociaux et politiques qui s'y opposent ;

— nous voulons vivre dans une Europe dont les combats pour les droits de l'homme seraient la charte fondamentale.

 

 

I. Des droits indivisibles

 

A. Les droits civils et politiques

 

Le plein exercice des droits civils et politiques doit être reconnu à tous ceux qui vivent et travaillent sur le territoire français (ainsi qu'à leurs familles) et reposer sur le bénéfice de droits sociaux étendus.

 

Les droits civils (Quelques exemples)

 

1. Toute personne a droit à une nationalité. Nul ne peut être privé de sa nationalité. Toute personne née sur le territoire français a droit à la nationalité française. Nous exigeons en conséquence l'abrogation du nouveau Code de la nationalité et la reconnaissance, à l'exclusion de toute forme de droit du sang, d'un droit du sol intégral.

 

2. Toute personne, quels que soient son sexe et sa nationalité, a le droit de choisir, sous forme d'une union civile librement contractée, de vivre avec le ou la partenaire de son choix. Les partenaires disposent de droits égaux au regard de leur union et lors de sa dissolution.

 

Les droits politiques

 

1. Toute personne dispose du droit de prendre part à la direction des affaires publiques de son pays, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis. Les modes de scrutin doivent garantir une égalité effective des votants (sans considération d'appartenance territoriale, notamment) et une représentation proportionnelle des diverses listes de candidats.

 

Le suffrage universel est réellement établi quand il s'applique à toutes celles et tous ceux qui vivent et travaillent sur le territoire national : c'est pourquoi les droits de vote et d'éligibilité doivent être reconnus aux immigrés.

 

Le suffrage censitaire est réellement aboli non seulement quand l'accès au droit de vote n'est pas assujetti à un minimum légal de revenu, mais quand tous les citoyens disposent, non seulement des moyens administratifs de s'inscrire sur les listes électorales, mais de moyens d'existence qui ne les confinent pas dans la survie. A qui fera-t-on croire qu'il suffit d'avoir le droit de s'inscrire sur une liste électorale pour devenir un citoyen.

 

La xénophobie et la parcimonie d'Etat forment un tout : répression pour les immigrés pauvres et commisération pour les pauvres français. Mais l'expulsion des premiers et l'exclusion des seconds ne peuvent être combattues par une charité moins sélective et plus intense. C'est une autre politique, fondée sur l'exercice des droits fondamentaux, qui doit être inventée.

 

2. Toute personne a le droit d'accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays. L'égale participation des hommes et des femmes à l'exercice des fonctions politiques...

 

 

B. Les droits économiques, sociaux et culturels

 

Le droit à l'emploi

 

Le plein exercice des droits fondamentaux repose avant tout sur le droit à l'emploi.

(NB : c'est tellement important qu'une rédaction fragmentaire serait dérisoire.)

 

Le droit au revenu

 

Le droit à un revenu minimum doit faire place à un revenu de citoyenneté.

 

Nous refusons que les minima sociaux soient considérés comme des mesures de charité publique ; que les allocations chômage puissent être dégressives au point d'être supprimées pour ceux dont on avoue, cyniquement, qu'ils seraient " en fin de droits " ; que le droit à un revenu, dont le RMI n'est que la figure grimaçante, soit subordonné à l'obligation d'accepter un emploi, surtout quand celui-ci n'offre aucune garantie.

 

Nous affirmons que toute personne peut et doit, dans une société riche comme la société française, disposer d'un revenu minimum, sans lequel les droits de citoyenneté sont pratiquement bafoués et l'accès aux autres droits sociaux gravement compromis.

 

(NB : sur le droit à l'emploi et au revenu, la commission Travail/Emploi des Etats généraux proposera bientôt une rédaction plus précise.)

 

Le droit au logement

 

Le droit au logement dépend de l'exercice du droit à l'emploi : la privation de toutes ressources pour les jeunes ou la minoration des ressources pour les bénéficiaires des minima sociaux les éliminent de tout accès à un logement décent. La situation de plus en plus dramatique du logement appelle une véritable politique de construction de logements sociaux et un véritable plan de réquisition des logements vides.

 

Nous refusons la politique de pénurie, qui se borne à prévoir, en matière de construction, des dérogations aux règles de l'urbanisme et, en matière de réquisition, un droit sans obligation soumis au pouvoir discrétionnaire des préfets ; une politique qui n'envisage les réquisitions que pour les seuls propriétaires institutionnels, et la loi qui prévoit de fixer les loyers des logements réquisitionnés, non pas en fonction des ressources des familles concernées, mais en fonction des indices de la construction et de la location. A qui fera-t-on croire que la loi tient pour prioritaires les besoins des plus démunis, quand elle subordonne étroitement l'exercice du droit au logement à la protection des droits des propriétaires ?

 

Nous exigeons que le droit au logement soit effectivement traité comme un droit fondamental.

 

L'exercice du droit au logement passe par :

 

— une véritable politique de construction de logements sociaux et de réquisition des logements vides, imposant des obligations aux pouvoirs publics et aux collectivités territoriales, ainsi qu'aux propriétaires, institutionnels ou privés, qui laissent délibérément leurs logements en jachère ;

— une véritable politique d'aide au logement incluant : l'augmentation des aides personnelles au logement, la gratuité des fournitures d'eau, de gaz et d'électricité, du chauffage pour les familles les plus démunies ;

— un moratoire de toutes les expulsions, tant que la politique de l'emploi, du revenu et du logement ne permettra pas à tous de trouver un logement décent.

 

Le droit à la santé

 

Le droit à la santé est à la fois un droit collectif et un droit individuel : un droit collectif à la santé publique et un droit individuel aux soins. La santé publique est un droit de la société dans son ensemble, dont l'efficacité dépend de tous les aspects de la vie sociale et du rôle des pouvoirs publics. La santé personnelle est un droit de chaque individu, dont l'efficacité dépend d'une véritable politique des soins et d'une sécurité sociale effectivement solidaire.

 

Le droit à la santé publique suppose une politique de l'urbanisme, du logement, de l'environnement et des transports qui, au moins, ne soit pas abandonnée à la seule logique du profit. Le droit à la santé individuelle suppose un revenu garanti, un logement décent, une alimentation convenable.

 

Nous refusons que la santé publique soit subordonnée à la logique des rapports marchands et que la santé individuelle soit compromise par des inégalités de prévention, de traitement et de remboursement.

 

Cela suppose :

 

1. l'accès universel et égal à la prévention et aux soins. Et notamment :

 

— une action globale contre l'insalubrité du logement (lutte contre le saturnisme, par exemple), les carences d'alimentation (en particulier en milieu scolaire), les risques professionnels ; la redéfinition des objectifs et l'augmentation des moyens consacrés à la médecine du travail et à la médecine scolaire ; une politique généralisée de constitution de réseaux de soins ; une politique adaptée au droit des femmes à la santé... ; aux droits des handicapés, etc. ;

— la proclamation d'une véritable obligation de soins englobant tous les malades, Français ou immigrés, indépendamment de leur situation administrative ou sociale, et s'imposant à la médecine de ville et à l'hôpital privé ;

— la définition de droits des patients dans leurs rapports avec le corps médical.

 

2. la redéfinition des conditions d'exercice des professions médicales, ainsi que des objectifs et des moyens du secteur hospitalier...

 

3. une sécurité sociale universelle et solidaire, gérée démocratiquement...

 

(NB : la commission Santé/Protection sociale des Etats généraux proposera bientôt une rédaction plus précise.)

 

 

Le droit à l'éducation

 

Le droit à l'éducation est un droit universel à l'instruction initiale et à la formation permanente. Le droit à l'instruction initiale est le droit à une instruction universelle, laïque et obligatoire. Le droit à la formation permanente est le droit à une formation, distincte de l'activité professionnelle, garantie par les pouvoirs publics, contrôlée par les salariés.

 

Le droit à l'instruction est indissociable des droits à l'emploi, au logement, à la santé ; il est compromis dans son existence même pour ceux qui vivent dans des conditions misérables ou précaires. Le droit à la formation est indissociable du droit à l'emploi et au libre choix de l'activité professionnelle.

 

Nous refusons que les droits des enfants à l'éducation soient subordonnés aux droits des parents, et que l'égalité des enfants devant l'éducation soit compromise par des mesures qui dérogent aux règles fondamentales de laïcité de l'école, qui préparent l'éclatement du système éducatif, mettent en place des filières cloisonnées entre les différents types d'enseignement, et préconisent de réduire les savoirs fondamentaux à des savoirs minimaux. Nous refusons, en particulier, que la lutte contre l'illettrisme et les inégalités dans les conditions d'accès au savoir se satisfassent de simples palliatifs. A qui fera-t-on croire que le démantèlement du service national d'éducation n'est pas une menace quand, notamment, le recrutement d'enseignants est tari et l'aide aux devoirs abandonnée au bénévolat ? A qui fera-t-on croire que l'accès universel et égal à l'instruction peut être garanti par un service d'éducation appauvri, au moment où il doit s'adresser à une population paupérisée ?

 

 

Le droit à la culture

 

Le droit à la culture est le droit, pour toute personne, de prendre part librement à la vie culturelle : de jouir des productions scientifiques, techniques et artistiques et d'exercer les activités correspondantes.

 

Le droit à la culture est indissociable des droits dont dépendent les conditions matérielles d'accès aux biens culturels : il suppose en particulier la réduction du temps et de l'intensité du travail...

 

Nous refusons que le droit à la culture soit abandonné aux lois du marché. Ce qui suppose :

 

1. une politique culturelle des pouvoirs publics dotée d'un budget suffisant et des moyens de garantir la liberté de création et la diversité des choix ;

 

2. la défense des droits des créateurs.

(à suivre...)

 

 

Le droit à l'information

 

Le droit à l'information est le droit, pour toute personne, de disposer de toutes les informations nécessaires à ses choix individuels et civiques. Il suppose en particulier l'existence d'une information démocratiquement contrôlée, pluraliste et diverse, sur toutes les questions économiques, sociales, écologiques, politiques qui engagent des choix collectifs.

 

Le droit à l'information passe par :

 

1. l'indépendance des sources d'information à l'égard des forces économiques et politiques qui contrôlent l'accès aux savoirs ;

 

2. le devoir d'information s'imposant à toutes les institutions : la suppression de toutes les formes de secret (ou de devoir de réserve) qui n'ont pas pour motif unique et ultime le respect de la vie personnelle des individus ;

 

3. la définition de règles professionnelles s'imposant aux fonctionnaires de l'Etat, aux responsables économiques, aux professionnels de la presse et de la recherche.

 

(NB : sur les droits à l'éducation, l'instruction, la culture, l'information, une commission ad hoc des Etats généraux est en train de commencer ses travaux.)

 

Et caetera, et caetera : droit à l'environnement, aux transports, à l'énergie...

 

 

II. Des moyens indispensables

 

A. Une société solidaire

 

L'exercice des droits fondamentaux passe par une action globale de réduction des inégalités, et non par l'aménagement parcimonieux de quelques dispositifs réservés aux plus pauvres.

 

Une croissance équilibrée et soutenable.

 

Une fiscalité proportionnelle.

 

Des services publics étendus et rénovés : l'exercice des droits fondamentaux passe par un renforcement et un redéploiement des services publics.

 

(NB : la commission Services publics des Etats généraux proposera bientôt une rédaction plus précise.)

 

 

B. Une Europe sociale

 

" Toute personne a droit à ce que règne, sur le plan social et sur le plan international, un ordre tel que les droits et libertés énoncés dans la présente Déclaration puissent y trouver leur plein effet

. " Les droits fondamentaux doivent être reconnus et garantis au niveau européen.

 

1. Pour un nouveau Traité européen :

 

— parce que la construction européenne et le fonctionnement des institutions souffrent de graves déficits démocratiques, qui bafouent l'exercice démocratique des droits ; parce que les traités de Rome et de Maastricht sont presque exclusivement tournés vers la construction d'un marché commun, un nouveau Traité européen est indispensable ;

— parce que la Charte des droits sociaux européens est notoirement insuffisante, pour ne pas dire dérisoire, il appartient à toutes les forces du mouvement social européen de définir en commun une Charte européenne des droits fondamentaux et des conditions de leur exercice.

 

2. Pour des droits sociaux démocratiquement contrôlés.

 

Parce que la définition et l'exercice des droits fondamentaux sont inégalement répartis en Europe, nous devons :

 

— dans notre propre pays, exiger que des droits reconnus et garantis dans d'autres pays le soient aussi dans le nôtre ;

— au niveau européen, distinguer les modalités d'application qui doivent être harmonisées et celles qui relèvent du niveau national.

 

2. Quelques pistes de débat

 

(Catherine Lévy)

 

Dans un premier temps, nous avons travaillé à partir de la loi dite de cohésion sociale, qui commence par un préambule engageant, car il y est affirmé l'accès effectif aux droits fondamentaux et à l'insertion, plutôt que l'assistance.

 

Mais la lecture des 55 articles contredit ces affirmations de départ. Ce ne sont que l'énumération de dispositifs spécifiques pour les plus pauvres. Le social est traité sans l'économique ; nulle part n'est abordée la question de l'emploi dans la sphère marchande, non plus que ne rôle des entreprises ; on n'y trouve mentionnée ni la réduction du temps de travail ni le partage de la valeur ajoutée. Cette loi n'entreprend pas de traiter des inégalités et d'y remédier mais, au contraire, de les fixer à partir d'un constat et même de les pérenniser en créant, par exemple, un observatoire de la pauvreté. Sont traités l'accès à l'emploi, aux soins et au logement ; le droit à l'éducation n'est mentionné que sous la forme de la lutte contre l'illettrisme, alors qu'il y a bien d'autres problèmes d'exclusions réelles de l'éducation et de la culture qui ne sont pas traités. La loi ignore délibérément toute une série de groupes sociaux qui sont soit une tranche d'âge (les 18-25 ans), soit les étrangers, soit encore les détenus, etc. Elle ignore également les ressorts économiques et sociaux de la pauvreté, et ne pose nulle part le droit inscrit dans la Constitution de 1946 d'obtenir un emploi. Mais il est vrai que le droit au travail est en chantier, peut-être déjà depuis 1789 ou plutôt 1791, mais surtout depuis 1848, où il a été le centre d'un large débat (Louis Blanc, Lamartine, etc., contre Tocqueville et Thiers, mais aussi contre Proudhon, qui contestait la possibilité de se fier à l'Etat pour pouvoir exercer l'ensemble des droits).

 

L'ensemble des lois actuelles — loi Debré, loi de cohésion sociale, loi contre le travail au noir — qui ont été votées ou sont encore en débat forment un tout législatif essentiellement répressif, s'attaquant aux droits de l'homme pour les étrangers, au droit du travail pour les étrangers et les " nationaux ", qu'il faudrait examiner de près, à côté de la loi de cohésion sociale.

 

Il faut aussi avoir en mémoire que les droits sociaux ont toujours été " conquis " par des luttes, politiques, sociales (luttes révolutionnaires du 19e siècle, luttes syndicales de la fin du 19e siècle à nos jours, résistance au nazisme et au fascisme, etc.).

 

On a coutume de distinguer les " droits à " des " droits de ", encore que l'on puisse supprimer cette distinction en remplaçant " droit " par " liberté de ". La différence entre ces droits porterait plutôt sur le fait que les droits sociaux, même s'ils sont reconnus comme droits fondamentaux, ne sont pas " justiciables ", ce qui est d'ailleurs un des arguments forts contre l'adoption par l'Assemblée de 1848 d'un droit au travail reconnu constitutionnellement. En comparant les droits économiques et sociaux en France avec ceux des autres pays d'Europe, on trouve dans les constitutions de ces derniers la possibilité de rendre les droits fondamentaux (sociaux et économiques) justiciables par la jurisprudence. Ainsi, une certaine intervention publique est possible et même parfois obligatoire (Italie, Espagne, Allemagne) pour garantir la jouissance de droits fondamentaux : certaines jurisprudences demandent au législateur d'intervenir pour garantir l'exercice ou la jouissance de droits fondamentaux.

 

En 1946, au moment du vote de la Constitution, des juristes exposent une autre approche des droits économiques et sociaux pour que ceux-ci ne soient pas seulement formels, mais que des moyens réels puissent les rendre effectifs. Et ces moyens, ces garanties de l'effectivité des droits doivent prendre, selon eux, la forme de fournitures de prestations matérielles par le biais de l'organisation de grands services publics, à l'exemple de ce que l'Etat organise pour rendre effectif le droit à l'éducation. La lutte pour le maintien et l'extension des grands services publics, comme la distribution de l'énergie, de l'eau, etc., la liberté de circuler, de communiquer (poste), de se soigner, etc., peut prendre la forme de défense des droits fondamentaux.

 

Mais dans la déclinaison des droits, le droit au travail ou à l'emploi d'une part, le droit à un revenu de citoyenneté ou allocation universelle d'autre part, sont ceux qui incitent le plus au débat et qui, à notre avis, ne sont pas identiques aux autres droits dits sociaux : en effet, on peut, d'une manière générale, accoler les droits sociaux et culturels à des prestations qui peuvent être soustraites à la loi du marché. De même que l'éducation est gratuite, on pourrait imaginer aisément un usage gratuit de la culture ; il en va de même pour les soins, car rien n'interdit de penser une autre organisation qui pourrait faire fonctionner un système gratuit de soins, etc. Mais qu'il s'agisse de l'emploi ou du revenu, il apparaît que l'on ne peut pas les traiter sous forme de droits donnant accès à des prestations.

 

A propos du droit au travail et du droit à l'emploi

 

Concernant le droit au travail ou à l'emploi, le débat touche au droit de propriété et à l'assistance.

 

C'est au travers du droit de propriété que la pensée libérale construit le rapport entre l'individu, ses qualités et ce qu'il produit. En 1848, le mot d'ordre de la révolution est que l'individu doit disposer de son travail pour exercer son droit à la vie. Les adversaires du droit au travail conçoivent l'Etat comme garant du droit de travailler, mais en aucun cas l'Etat n'a d'obligation envers l'individu sur le plan du travail, et ils affirment que l'Etat n'est ni pourvoyeur de l'existence ni assureur des fortunes, et en concluent que défendre le droit au travail, c'est faire de l'Etat celui qui répartit autoritairement les forces de travail. Faire intervenir le droit dans le travail c'est, pour eux, " jurifier " les rapports sociaux, ce qui est inconcevable, et surtout transformer l'Etat en " créancier de travail " et, de plus, cela enlève le " devoir de charité " ; donc, ils sont plutôt partisans des secours, de l'assistance.

 

Pour les partisans de ce droit au travail, il y a deux tendances très nettes dans les débats : Louis Blanc et les socialistes de l'époque refusent l'assistance, car il y a chez tout homme l'" amour du travail ", amour que récusent Lamartine et les républicains modérés, pour qui le travail n'est pas la seule catégorie à travers laquelle l'homme peut se réaliser.

 

Le point d'achoppement, à l'époque, est qu'un droit est toujours justiciable, et que dans le cas du droit au travail, le juge devrait se prononcer, ce qui paraît impossible. Les partisans du droit au travail font de ce droit un droit " supplétif ", c'est-à-dire que l'individu a de toute façon une part de responsabilité. Comment l'Etat peut-il alors intervenir ? Et l'on voit poindre le débat sur ce qu'est le chômage. En 1848, il y a une grande peur de l'insurrection, et le libéral Dufort explique que " quand un droit est reconnu constitutionnellement, il est immédiatement exécutable ; je ne sache pas que vous pouvez introduire dans notre Constitution un droit ajournant l'époque où il sera garanti ; à défaut, vous préparez l'insurrection ".

 

Mais on peut lire aussi le débat autrement : les droits sociaux sont des promesses de l'utopie libérale ; en identifiant le marché et l'harmonie, on fait alors l'hypothèse que le besoin est seul responsable de toutes les tensions et des violences ; il faut donc rationaliser le besoin, penser comment on peut vivre par le biais du marché, et faire du pauvre un consommateur ascétique.

 

F. Vidal, qui était l'un des membres de la commission du Luxembourg lors des délibérations sur le droit au travail écrit : " Il s'agit de promulguer le Code des droits et des devoirs économiques, de concilier les intérêts anciens et les intérêts nouveaux, les droits acquis et les droits jusqu'ici méconnus. Il s'agit de mettre fin au désordre et à la guerre industrielle, de remplacer la concurrence par la coopération émulative entre associés, de substituer au salariat le principe de la participation proportionnelle, il s'agit de rendre tous les intérêts solidaires. (...) Organiser le travail, c'est constituer l'ordre économique, proportionner en toutes choses les moyens au but, la production aux besoins de la consommation, (...) c'est développer par l'éducation générale et par l'éducation professionnelle, toutes les aptitudes. (...) L'organisation du travail, c'est l'organisation économique de la société. "

 

Revendiquer le droit au travail, c'est de fait promouvoir une autre organisation sociale. Si l'on veut rester dans le cadre de revendications économiques et sociales, il faut spécifier ce que l'on entend par " travail " : c'est le travail rémunéré, salarié, codifié par un contrat ; l'objet du contrat de travail, c'est l'emploi, et c'est ce modèle de l'emploi codifié qui est actuellement en crise. Il serait donc plus adéquat, à l'heure actuelle, de défendre une politique de plein emploi, en se référant au droit à l'emploi, dans la mesure où l'on peut ainsi défendre et lutter pour une extension du contrat de travail qui, lui, fait précisément référence au droit du travail. Revendiquer le droit à l'emploi suppose d'emblée le plein emploi et le choix d'une autre politique économique et sociale articulée sur la possibilité de modifier le rapport des forces existant actuellement. Il suppose aussi de s'adresser à l'ensemble de la population active, c'est-à-dire de constituer un objectif commun aux salariés et aux chômeurs.

 

 

3. Quelques remarques

 

(Suzanne de Brunhoff)

 

La définition des " droits sociaux " me semble insuffisamment claire. Tantôt elle semble englober les droits " économiques " et " culturels ", tantôt elle paraît plus restrictive, comme " droits à des prestations " — ce qui ne comprend pas " le droit à l'emploi " et fait problème, par exemple pour la santé (système de cotisations/prestations en France).

 

Le " droit à un revenu citoyen " relève de cette ambiguïté, il la pousse à l'extrême. J'y reviendrai après un bref commentaire sur le " droit à l'emploi ".

 

Le droit à l'emploi n'est évidemment pas un droit à prestations, et en ce sens n'est pas un droit social comme d'autres. S'il est le socle des droits à des prestations, c'est en relation à un statut des travailleurs salariés/chômeurs, et non à la citoyenneté. L'actuelle fragilisation du salariat et du droit du travail se propage à tous les droits sociaux, mais ceux-ci restent distincts du droit à l'emploi. C'est un droit qui met en cause la gestion capitaliste de l'économie, fondée sur le droit qu'ont les possédants d'ouvrir des usines, des magasins ou des services là où c'est le plus rentable, et de les fermer si ce n'est plus rentable. Le droit à l'emploi porte atteinte au caractère inconditionnel du droit de propriété.

 

Les économistes de gauche parlent de nécessité du plein emploi ou, plus généralement, du maximum d'emploi compatible avec la stabilité des salaires et des prix, c'est-à-dire des conditions économiques de l'emploi. Pour Keynes, assurer l'emploi passait par " l'euthanasie des rentiers " (des " financiers "). Il faudrait, aujourd'hui, en affirmant le droit à l'emploi, en voir quels en seraient les soutiens sociaux.

 

Le droit à un revenu de citoyenneté, que l'on ait ou non un emploi, que l'on soit pauvre ou riche, n'est pas du même ordre que le droit à l'emploi et peut même le contredire : fondé sur la citoyenneté, il doit être inconditionnel et universel, il suppose une homogénéité économique et sociale de tous les citoyens. Il ne perturbe pas la distribution des revenus et des patrimoines — son financement se faisant par un impôt proportionnel sur tous les revenus. Proposé par des économistes de droite aussi bien que de gauche, son montant calculé pour la France serait de 1600 francs par mois par adulte (Le Monde, dossier, 8 avril 1997). Le total donne une somme énorme. Et pourtant, ce revenu remplacerait le RMI et toutes les allocations-famille, logement. Il épuiserait tous les " droits sociaux " à prestations.

 

Par définition, on ne peut pas moduler un revenu de citoyenneté en fonction des ressources des allocataires, tous également citoyens. Son rôle symbolique serait peut-être considérable, et sa mise en œuvre bouleverserait bien des choses, à commencer par les finances publiques. Mais je pense, pour ma part, que c'est une perspective sans avenir, basée sur une confusion entre égalité citoyenne et égalité économique purement symbolique.

 

Le " droit à la santé " pose, entre autres, la question du financement par cotisations. Le " droit à la retraite " n'est pas évoqué, alors que pour ceux qui travaillent depuis l'âge de 16 ans, il a une très grande importance. Là encore, problème de financement, avec le développement actuel ou prévu des fonds de pension.

 

 

4. L'Europe et les droits fondamentaux

 

Quelques remarques introductives

(Yves Salesse)

 

A priori, il n'y a pas lieu d'évoquer l'Europe dans l'énoncé de droits qui n'ont rien de nationaux et sont d'emblée valables pour l'Europe et au-delà. Toutefois, l'approche que nous avons conduit à introduire cette dimension, à plusieurs titres.

 

1. Réaffirmer des droits qui peuvent sembler acquis. Le regard porté au-delà de nos frontières fait voir que des droits qui nous semblent minimaux n'existent pas dans d'autres pays européens. Il nous importe dès lors de les réaffirmer, non seulement parce que notre Charte veut avoir une dimension européenne possible, mais aussi parce que cette absence à côté de chez nous confirme que ces droits minimaux peuvent être ici aussi menacés. Il en est ainsi notamment du salaire minimum garanti, du revenu minimum garanti, de l'interdiction du travail des enfants, etc. Mais on trouve aussi, dans le secteur du bâtiment, en Allemagne, des salaires officiellement différents pour les travailleurs nationaux et étrangers (même ressortissants d'un Etat membre). L'affirmation de l'égalité des droits sociaux entre nationaux et étrangers trouve dans de tels exemples une justification renforcée.

 

2. Affirmer des droits qui n'existent pas en France, en prenant appui sur le fait qu'ils existent dans d'autres Etats membres. On pense bien sûr au droit de vote des étrangers non communautaires, mais aussi au droit au logement, par exemple, qui semble bien plus effectif dans certains pays nordiques.

 

3. Affirmer des droits spécifiquement liés à la construction européenne. Des droits officiellement reconnus au niveau des Etats n'existent pas au niveau de l'Union. On rencontre cela dans le domaine des droits politiques. Il est reconnu un droit de contrôle des mandants sur les représentants et des parlements sur les exécutifs. Cela se traduit par la publicité des débats parlementaires et par la possibilité des parlements d'encadrer l'action des gouvernements. Le fonctionnement des institutions communautaires interdit ces droits élémentaires. Les travaux du Conseil des ministres, véritable centre du pouvoir communautaire, ne sont pas publics, et nul ne sait quelle position ses représentants nationaux y ont défendu. L'activité de chaque gouvernement au niveau communautaire ne peut être encadrée, en raison du secret diplomatique de l'ensemble du fonctionnement et de l'absence de procédure prévue à cet effet : le Conseil des ministres n'est ni responsable devant le Parlement européen ni, bien entendu, devant les parlements nationaux. Le droit à un développement relativement équilibré des diverses régions de l'espace considéré se pose de manière spécifique au niveau européen, avec la question du retard de développement de certains Etats membres et de la faible efficacité des fonds structurels.

 

4. La question de l'Europe se pose aussi, dès lors que l'on entre dans les moyens nécessaires à l'exercice réel des droits : certains, tels que le droit à l'emploi, justifient une action et une législation européennes. Cela demande un inventaire précis au cas par cas. Nous ne devons pas tomber, après des années de réflexion souvent limitée au niveau national, dans l'excès inverse, qui consisterait à prétendre que tout implique une action au niveau communautaire. Nous devons prendre en charge l'application du principe de subsidiarité. La politique du logement ne relève sans doute pas du niveau européen, ni l'éducation et la formation, ni la culture. Il en est de même en matière de droit social. Certains domaines doivent rester de la compétence nationale qui suffit, d'autres supposent une prise en charge européenne. Les libres circulations des marchandises, des services, des capitaux et, bien que peu pratiquée, des travailleurs, posent des problèmes sociaux nouveaux, dus à la construction européenne ou accrus par elle. A ces problèmes nouveaux peuvent correspondre des droits, et ceux-ci doivent évidemment être pris en charge au niveau européen.

 

Plus généralement, l'affirmation des droits fondamentaux devrait nous conduire à remettre en cause les traités de Rome et de Maastricht, comme presque exclusivement tournés vers la construction d'un marché commun.

 

5. En sortant du cadre de l'Union européenne tout en restant au niveau européen, nous rencontrons enfin la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il serait utile que des juristes indiquent sa portée et ses limites, et formulent, le cas échéant, des propositions de modification.

 

5. Quelles propositions

 

pour une nouvelle Déclaration des droits ?

(Paris et région parisienne, réunion du 21 mars 1997)

 

Entre 100 et 120 personnes ont participé à un premier débat sur la question des droits (introduit par Catherine Lévy, sociologue). Prenant appui sur la discussion du projet de loi " sur le renforcement de la cohésion sociale ", mais dépassant très rapidement ce cadre, le débat a porté sur des problèmes généraux soulevés par le projet d'une Déclaration des droits. Résumer la discussion est une tâche presque impossible, en raison de la multiplicité des interventions (plus d'une trentaine) et de la diversité des thèmes abordés. On se bornera donc ici à tenter une présentation qui laisse une forme interrogative aux questions évoquées.

 

Au centre du débat : est-il possible, voire souhaitable, de formuler en termes de droits un certain nombre d'aspirations et d'objectifs de luttes ? Ne risque-t-on pas de céder à des illusions juridiques, qui dissimulent la nécessité de poser les problèmes en termes de rapports de force et de lutte politique ? N'est-il pas indispensable, face à une offensive libérale qui remet en cause non seulement l'exercice de droits fondamentaux, mais le principe de l'existence de droits sociaux, de mener le combat en termes de droits ? Peut-on se borner à insister sur l'importance des rapports de force, alors que la reconnaissance de certains droits, y compris sanctionnée par des lois, constitue un levier nécessaire à l'action ? Bref, comment éviter le double péril du bavardage sur les droits et la simple invocation des luttes ?

 

La question du droit au travail et à l'emploi conforte ces interrogations et en introduit de nouvelles : peut-on, et comment, revendiquer le droit au travail ou le droit à l'emploi ? Revendiquer l'un ou l'autre de ces droits (car la distinction est peut-être nécessaire) ne doit pas signifier revendiquer le droit à être exploité. Comment préciser, alors, les rapports entre la revendication du droit au travail et la contestation du droit de propriété ? N'est-il pas indispensable, au-delà du droit à l'emploi, d'insister sur les conditions et le contenu de cet emploi ? Ne doit-on pas mettre ou remettre à l'ordre du jour le droit de contrôler l'affectation des produits du travail ? Comment comprendre l'articulation entre la question du droit au travail et le contenu des formes juridiques qui sanctionnent les rapports de forces, c'est-à-dire le droit du travail ?

 

On revient alors à des questions plus générales (abordées dans l'introduction) : comment répondre à l'argumentation libérale qui distingue les " droits de... " et les " droits à... ", sous prétexte que seuls les premiers seraient justiciables — c'est-à-dire passibles de sanctions judiciaires ? Notamment en ce qui concerne le droit au travail, dont les libéraux du siècle dernier récusaient l'existence pour cette raison ? Peut-on, et comment, montrer que tous les droits sont justiciables ? De même, comment répondre à l'argument libéral qui invoque la distinction entre des " droits de... " (les droits civils et politiques) qui seraient des droits-libertés, et des " droits à... " (les droits sociaux), qui seraient des droits-prestations ? Et surtout, comment évoquer l'exercice effectif des droits sociaux sans poser dans cette perspective la question décisive des services publics ?

 

Enfin, au fil de la soirée, diverses autres questions ont été abordées : sur la défense du droit à l'instruction, qui serait noyé dans un droit à l'éducation conçu pour dévaloriser le contenu des enseignements ; sur le droit à la santé, compromis par les réductions budgétaires ; sur la dimension européenne de la lutte pour les droits, etc.

 

Une fois encore, tout cela est retranscrit de mémoire, de manière sûrement partielle et peut-être partiale. A chacune et à chacun de reprendre la parole et la plume...

 

 

B. EN PROVENANCE D'ORIGINES MULTIPLES

 

1. Plate-forme des Assises pour les droits des femmes

(adoptée le 15 mars 1997)

 

Pour que l'égalité des droits inscrite dans la loi

soit une égalité pratiquée dans la vie

 

Pendant plus d'un an, un Collectif national comprenant 166 associations, syndicats, partis politiques et collectifs locaux a recueilli les témoignages de plusieurs milliers de femmes et préparé en commissions des Assises nationales pour les droits des femmes. La lutte pour les droits des femmes est inscrite dans le mouvement social.

 

Les Assises ont permis de mesurer l'écart qui se creuse entre les conditions de vie des femmes et leurs aspirations, de constater une régression dans l'application des droits qui semblaient acquis, ainsi que la persistance d'inégalités séculaires.

 

Les femmes sont les premières concernées par le travail à temps partiel imposé, le chômage et la précarité, qui minent les bases économiques de leur indépendance. Leurs droits récents à disposer de leurs corps et à décider de leur maternité sont remis en cause, tant par les réductions des dépenses de santé que par des propagandes obscurantistes et une politique nataliste et familialiste. Bien qu'elles aient dénoncé et rendu plus visibles les violences dont elles sont l'objet celles-ci perdurent. Le principe d'égalité est reconnu par la loi mais, dans la pratique de la vie privée, sociale et politique, il en va tout autrement. Leur exclusion de la sphère publique et politique demeure une injustice criante. La France n'applique pas les engagements qu'elle a contractés lors de la Conférence mondiale sur les femmes, à Pékin. Au Nord comme au Sud, les femmes refusent la mainmise sur leurs conditions de vie, et développent des actions de résistance et de solidarité.

 

Par son refus des retours en arrière, par sa détermination à faire de l'égalité une réalité, la lutte pour les droits des femmes est un vecteur essentiel de la démocratie. Or, celle-ci est non seulement en recul, mais menacée dans son existence même. Le chômage augmente, la précarité s'accroît et le Front national avance dans les urnes et dans les têtes.

 

C'est pourquoi les organisations signataires parties prenantes de ces Assises demandent l'application des lois existantes en faveur de l'égalité et du respect des droits des femmes et mettront tout en œuvre pour obtenir dans l'immédiat satisfaction sur les points qui suivent.

 

 

Droit au travail

 

La reconnaissance du droit au travail des femmes constitue le point central de nos revendications, ce qui nécessite de s'opposer aux plans de licenciement.

 

Pour le droit des femmes à un emploi à temps plein, qualifié et valorisant qui garantisse leur autonomie financière :

 

— Réduction massive et immédiate du temps de travail à 32 heures pour toutes et tous (sans réduction de salaire, sans intensification du travail et sans contrepartie en termes de " flexibilité ", avec embauches compensatoires).

 

Cela implique la suppression de mesures qui concernent particulièrement les femmes :

 

— Travail à temps partiel contraint

— Lois sur le temps partiel consentant des avantages aux entreprises pour inciter au temps partiel.

— Loi quinquennale, loi Robien qui aggrave la flexibilité.

 

Mais aussi :

 

— Transformation des contrats précaires en CDI à plein temps.

— Respect du droit du travail.

— Mise en œuvre effective de la loi sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, avec obligation de résultat, en matière d'accès aux postes, de formation continue et de promotion, et amélioration de cette loi, notamment pour empêcher les discriminations sexistes, salariales à l'embauche.

— Progression des salaires féminins, avec notamment élévation du SMIC et des bas salaires.

— Pour le droit des filles d'accéder à toutes les filières de formation débouchant sur un emploi qualifié.

— Partage égalitaire des tâches domestiques et familiales, exigence qui sera portée par une campagne spécifique.

— Création d'un service public national d'accueil pour la petite enfance ; développement des écoles maternelles dès l'âge de deux ans, ouvertes à toutes, chômeuses, précaires et étudiantes comprises, ainsi que de nouveaux équipements collectifs.

 

Une réelle égalité des femmes face à l'emploi leur permettra de ne pas quitter le marché du travail pour des incitations financières telles que l'allocation parentale d'éducation. En effet, la précarité ne leur laisse guère le choix.

 

Droit à la dignité

 

Pour lutter contre la déchirure sociale et la précarité :

 

— Structures d'accueil de qualité pour les enfants handicapés.

— Maintien et revalorisation de l'allocation de parent isolé, dont l'octroi doit rester indépendant du RMI.

— Maintien et revalorisation des allocations familiales, du premier au dernier enfant, de l'allocation logement et de rentrée scolaire.

— Egalité des prestations familiales entre la métropole et les DOM-TOM.

— Revenu minimum garanti de 18 ans jusqu'au premier emploi.

— Création d'un recours à la faillite civile avec apurement de toutes les dettes, y compris les dettes fiscales.

— Priorité au relogement des femmes ayant charge d'enfants ou victimes de violences.

— Interdiction du fichier des personnes ayant au moins trois mois de loyer de retard.

— Baisse de la TVA sur les produits et services de première nécessité avec interdiction de coupure d'accès aux réseaux publics (eau, gaz, électricité, téléphone...).

— Augmentation du nombre de structures publiques de proximité et accès à l'aide médicale gratuite facilitée.

— Suppression du forfait hospitalier.

— Accès de tous les chômeurs, précaires, aux prestations sociales.

 

 

Droit à la citoyenneté pleine et entière

 

Les femmes ne sont toujours pas considérées comme des citoyennes à part entière, ce qui favorise et renforce les autres atteintes à la démocratie. La défense de la citoyenneté politique et sociale passe pour elles par la laïcité de l'Etat et de l'école, car elle permet la liberté de conscience, la tolérance, l'égalité, la solidarité, la justice sociale et la lutte contre le sexisme, le racisme et toute forme d'exclusion. Par son projet d'émancipation, elle relie l'individu à un projet collectif.

 

Nous luttons contre tous les intégrismes et soutenons les luttes des femmes qui en sont victimes :

 

— Création d'un véritable ministère des Droits des femmes, avec mise en place de plans d'égalité dans tous les domaines et à tous les niveaux, dans les entreprises, les administrations, les établissements scolaires.

— Création d'un organisme de recours public contre les discriminations.

— Subventions pour les associations qui luttent pour les droits des femmes.

 

Nous portons l'exigence de parité qui s'exprime dans la société. La parité est un des moyens de construction d'une réelle égalité. La question de mesures volontaristes (loi, quotas, règles de fonctionnement, selon le type d'instance) est donc posée. Nous rejetons la proposition scandaleuse d'Alain Juppé.

 

Nous réaffirmons que l'égalité s'établira par la construction d'un rapport de forces dans nos luttes :

 

— Promotion d'une représentation égalitaire de femmes et d'hommes dans les fonctions élues, à la direction des partis et dans toutes les instances décisionnelles.

— Interdiction du cumul des mandats et limitation de leur renouvellement.

— Généralisation du scrutin de liste à la proportionnelle à toutes les élections avec alternance homme/femme.

— Adoption d'un statut de l'élu(e) et de mesures publiques pour assurer leur mandat et faciliter le retour à la vie professionnelle.

— Accès des femmes aux directions des partis, des syndicats et des associations.

 

Pour une citoyenneté ouverte et plurielle :

 

— Abrogation des lois Pasqua et Debré et retour au droit du sol.

— Droit de vote aux immigré(e)s aux élections locales.

 

 

Droits de la personne

 

Pour mieux lutter contre les violences :

 

— Application stricte de toutes les lois existant sur les violences à l'encontre des femmes et des enfants, y compris des handicapé(e)s.

— Application de la procédure pénale de façon identique dans tous les tribunaux et pour toutes les femmes et les enfants, et interdiction de la multiplication des actes qui tendent à mettre en doute leur parole : enquête de moralité, expertise psychiatrique, confrontations multiples, reconstitution des faits.

— Suppression du droit de garde et de visite pour le parent auteur de maltraitances et/ou de violences sexuelles. Dans ce cadre-là, arrêt des poursuites contre les femmes pour non-présentation d'enfant.

— Droit pour les associations militant contre les violences à se substituer aux femmes, à leur demande, pour déposer plainte, comme les syndicats peuvent déjà le faire dans les procédures pour harcèlement sexuel.

— Loi permettant de poursuivre un collègue en cas de harcèlement sexuel.

— Formation obligatoire de tous les personnels susceptibles d'intervenir en cas de violences.

— Interdiction du recours à la médiation pénale en cas de violences conjugales, harcèlement sexuel ou maltraitance. 

— Droit d'asile politique pour les femmes persécutées en raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou victimes de violences sexistes.

— Concernant la prostitution, application de la convention de l'ONU de 1949, ratifiée par la France en 1960, notamment par la mise en place de services sociaux spécialisés publics dans chaque département.

 

Pour l'autonomie des femmes dans la vie publique comme dans la vie privée :

 

— Réforme des noms et des appellations des femmes.

— Statut autonome pour les femmes immigrées.

— Abrogation des conventions bilatérales défavorables aux femmes migrantes ; signature d'accords bilatéraux, protecteurs des droits des femmes, alignés sur les principes fondamentaux d'égalité entre les personnes et les sexes.

— Accès égal aux prestations sociales.

 

Pour le droit de choisir sa sexualité, son orientation sexuelle et pour lutter contre les représentations normatives des rôles sociaux de sexe :

 

— Egalité de traitement pour tous les couples, hétérosexuels et homosexuels, par la création d'un contrat d'union sociale.

— Développement d'une éducation non sexiste et non normative dès la petite enfance, dans les programmes, les manuels, les pratiques pédagogiques, et formation des responsables enseignants, associations des parents d'élèves, travailleurs sociaux, médecins scolaires et personnel médical.

— Lutte contre toutes les discriminations, racistes, sexistes, homophobes.

 

 

Droit de choisir et droit à la santé

 

Pour le droit de choisir ou refuser la maternité :

 

— Octroi de l'allocation familiale dès le premier enfant et refus des mesures natalistes.

— Droit à l'avortement : la femme qui en fait la demande, quel que soit son âge, son origine, doit disposer des moyens d'interrompre sa grossesse quand elle l'a choisi, avec le choix de la méthode, RU 486 y compris.

— Dépénalisation de l'avortement, suppression de l'article 223-12 du Code pénal.

— Stricte application de la loi de 1993 (dite Neiertz) sur l'entrave à l'IVG.

— Statut unique pour les centres d'IVG et de planification, et statut pour les médecins qui y exercent.

— Remboursement de tous les moyens contraceptifs sur ordonnance.

— Maintien des dispositions des lois de bioéthique de 1994 qui n'ont pas reconnu de statut à l'embryon.

 

Pour la prise en compte de la spécificité de la santé des femmes :

 

— Des campagnes publiques d'information, d'éducation, de prévention, de dépistage, une politique de recherche, y compris pour le droit de choisir.

— Accès aux nouveaux traitements du sida.

— Moyens suffisants accordés aux établissements sanitaires publics pour garantir l'accès aux soins de toutes et tous.

 

Solidarités internationales

 

Pour soutenir toutes les femmes de la planète qui résistent aux guerres, aux violences, aux intégrismes, à la pauvreté, aux discriminations sexistes et racistes :

 

— Soutien de toutes les luttes pour l'instauration de la démocratie.

— Refus des plans d'ajustement dictés par le FMI, le G7, la Banque mondiale, l'OMC, qui accroissent les charges de travail non rémunéré des femmes et entraînent la désintégration des liens économiques et sociaux.

— Nouvelles règles du commerce international respectant les impératifs sociaux, culturels et écologiques définis par les populations elles-mêmes, et en particulier par les femmes.

— Refus du commerce des armes ; utilisation de l'argent du surarmement pour le développement humain.

— Abolition de la dette.

— Interdiction de l'arme alimentaire.

 

Pour la paix, une Europe des droits et des libertés :

 

— Alignement des législations sociales ou concernant les femmes sur celles des pays les plus avancés.

— Soutien aux femmes qui luttent pour la souveraineté de leur peuple.

 

Les dangers que connaissent les unes nous menacent toutes. Les victoires des unes sont les victoires de toutes. Fortes de nos expériences, dans la diversité de nos situations, notre espoir est dans la solidarité.

 

Annexe

 

Pour information, nous publions des extraits de la lettre adressée par les Etats généraux du mouvement social aux Assises nationales pour les droits des femmes.

 

Chères amies,

 

(...) Les Etats généraux du mouvement social se donnent désormais pour objectif de contribuer à l'élaboration d'une Charte ou Déclaration des droits fondamentaux et de leurs conditions d'exercice. A nos yeux, l'initiative que nous prenons n'a de sens que dans la mesure où elle permet de comprendre les droits universels des femmes comme une dimension essentielle des droits fondamentaux de tous les êtres humains. C'est pourquoi le succès des Assises des droits des femmes nous importe tant : parce qu'il importe à toutes celles et à tous ceux qui sont convaincus que la différence des sexes doit être inscrite dans l'universalité des droits. A nos yeux, l'initiative que nous prenons n'a de sens que dans la mesure où elle repose sur une ouverture à toutes les confrontations et à toutes les contributions. C'est pourquoi nous souhaitons verser au débat des Etats généraux les résultats des réflexions conduites en dehors d'eux et définir, avec des partenaires multiples, des concours qui respectent la spécificité et l'autonomie légitimes de chacun d'eux. C'est dans cet esprit que nous proposons à toutes et à chacune, à toutes les composantes qui participent à vos Assises et à toute forme de coordination dont vous jugerez utile de vous doter, de nous rencontrer dès la fin de vos travaux pour définir ensemble les objectifs qui peuvent nous être communs. (...)

 

 

2. Droits des pauvres, pauvre(s) droit(s) ?

 

(Pierre-Henri Imbert, agrégé des facultés de droit,

adjoint au directeur des Droits de l'homme au Conseil de l'Europe)

 

Nous publions, sous notre responsabilité (amputé de la plupart de ses notes et avec des intertitres ajoutés), un article de Pierre-Henri Imbert paru dans la " Revue de droit public " en 1989.

 

 

Réflexion sur les droits économiques, sociaux et culturels

 

puis quelques années, la question de la pauvreté dans les démocraties occidentales fait l'objet de nombreux débats et analyses ; sur le plan politique, plusieurs mesures nouvelles sont prises par des gouvernements, comme récemment en France avec l'instauration d'un revenu minimum d'insertion ; sur le plan médiatique, l'opinion publique est de plus en plus sensibilisée à l'ampleur et à la gravité du phénomène. Dans les pages qui suivent, nous voudrions faire part des réflexions que nous inspire cette nécessaire prise en compte de la pauvreté et montrer pourquoi et en quoi elle devrait nous conduire à réviser la place qui est reconnue aux droits économiques, sociaux et culturels en tant que droits de l'homme. Pour ce faire, nous nous appuierons beaucoup sur l'avis que le Conseil économique et social (CES)

a adopté les 10 et 11 février 1987, sur la base d'un rapport préparé par le Père Joseph Wrésinski, fondateur du mouvement international ATD Quart-Monde, intitulé " Grande pauvreté et précarité économique et sociale ". En effet, outre les nombreuses informations très précieuses qu'ils renferment, ces documents constituent selon nous une contribution décisive à la nouvelle approche des droits de l'homme que devraient adopter les Etats occidentaux.

 

Comme point de départ, nous pouvons relever que l'adoption même de l'avis du CES peut apparaître comme un signe supplémentaire de la prise de conscience que la misère et l'exclusion sociale sont des violations des droits de l'homme. Une telle constatation semble être une évidence, si l'on se rappelle que la notion centrale des droits de l'homme est celle de la dignité de la personne humaine. Pourtant, cette prise de conscience est très récente et cette évidence est loin d'être perçue comme telle d'une manière générale. En fait, nous ne sommes toujours pas entièrement sortis de l'état d'esprit qui est apparu quelques années après le deuxième conflit mondial. Dans un premier temps a été affirmée — en particulier à travers la Déclaration universelle — une vision globale des droits de l'homme, rassemblant les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels

. Pourtant, très vite a prévalu une approche beaucoup plus restrictive : la promotion des droits de l'homme était fondamentalement une réaction contre ce qui venait de se produire ; on voyait en eux, avant tout, un instrument pour la paix, un antidote contre le retour du totalitarisme. D'où la priorité accordée aux droits civils et politiques.

 

Comme le montrent, par exemple, les débats lors de l'élaboration de la Convention européenne des droits de l'homme, cette priorité ne devait être que provisoire, mais elle a toujours été maintenue. Cela pour deux raisons essentielles. Tout d'abord, en Occident, on a eu tendance à considérer que les droits économiques et sociaux devraient découler naturellement du progrès économique. La pauvreté était considérée, au mieux comme un accident, un phénomène provisoire, au pire comme une conséquence inévitable du développement global de la société. L'idée n'était d'ailleurs pas absente, selon laquelle ceux qui subissaient une telle situation avaient une part de responsabilité dans leur sort. C'est cette vision des choses qui est peut-être en train d'évoluer aujourd'hui, avec l'explosion du chômage et l'apparition des " nouveaux pauvres ". Par contre — et c'est la deuxième raison – persiste, toujours aussi tenace, la tendance à maintenir une opposition très nette entre les droits civils et politiques d'une part, les droits économiques, sociaux et culturels d'autre part.

 

On connaît les éléments de cette opposition, devenue si traditionnelle qu'elle en arrive à se présenter comme un postulat : droits-libertés ou d'autonomie/droits-créances ou de prestations ; droits de.../droits à... ; Etat gendarme/Etat providence, etc.

 

De telles distinctions, qui correspondent à une certaine réalité, ne sont pas inutiles. Elles deviennent dangereuses à partir du moment où, de simple outil intellectuel permettant de clarifier un phénomène, elles aboutissent à des choix politiques et à une hiérarchie entre les droits, avec cette conclusion qui se veut indiscutable : les droits économiques, sociaux et culturels ne pourraient en aucun cas être mis sur le même plan que les droits civils et politiques. Voilà pourquoi il est encore aujourd'hui si difficile de considérer qu'une violation des premiers de ces droits correspond à une véritable violation des droits de l'homme. Il n'est donc pas superflu d'analyser les principaux arguments qui sont avancés à l'appui de cette opposition entre droits.

 

a) Les droits économiques, sociaux et culturels ne seraient pas " justiciables ", c'est-à-dire susceptibles d'être soumis au contrôle d'un juge. Ce fut la raison essentielle opposée au projet de Protocole qui — suite à la solennelle Déclaration sur les droits de l'homme du 27 avril 1978 — devait ajouter de tels droits à la Convention européenne des droits de l'homme. C'était oublier que ces droits sont déjà garantis par la plupart des législations nationales et font souvent l'objet d'un contrôle judiciaire. C'était aussi oublier que le principal droit qu'il était envisagé d'inclure dans la Convention (l'égalité de salaires entre les femmes et les hommes pour un même travail) a déjà donné lieu à une jurisprudence abondante de la Cour de Justice des Communautés européennes.

 

La faiblesse de cet argument est d'ailleurs vite apparue, d'autant plus facilement qu'il a pu être remplacé par celui de l'inopportunité. Les experts chargés d'élaborer le projet de Protocole ont fini par admettre que d'un point de vue technique, il serait possible d'inclure certains droits de caractère économique, social et culturel dans un Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ; mais, un tel instrument ne paraissait pas opportun à la majorité d'entre eux, pour différentes raisons (évolution récente de la jurisprudence, surcharge de travail des organes de contrôle et surtout réticente des Etats à voir augmenter leurs obligations existantes dans ce domaine).

 

b) Les droits économiques, sociaux et culturels impliqueraient nécessairement pour leur mise en œuvre une intervention, souvent importante, de la part de l'Etat ; au point qu'on en vient à penser qu'une extension de ces droits, ne pouvant se traduire que par un renforcement des pouvoirs de l'Etat, représenterait à terme un danger pour la démocratie. Nous serions ainsi à l'opposé de la philosophie qui sous-tend les droits civils et politiques, qui pourraient être réalisés immédiatement à travers leur seule proclamation et qui n'exigeraient de l'Etat qu'un devoir d'abstention.

 

L'expérience a montré que cette présentation est loin de correspondre à la réalité. Ainsi, des droits sociaux tels que le droit de grève, la participation dans l'entreprise, les droits syndicaux en général connaissent le même régime juridique que les libertés " classiques ". A l'inverse et surtout, comme l'a rappelé à plusieurs reprises la Cour européenne des droits de l'homme, de nombreux droits civils impliquent pour leur réalisation des actions positives de l'Etat. En fait, ce critère de l'intervention des pouvoirs publics fait apparaître que la différence qui séparerait ces deux catégories de droits est plus de degré que de nature.

 

Quant à l'idée selon laquelle le développement des droits économiques, sociaux et culturels pourrait entraîner un affaiblissement de la protection des droits civils et mettre en danger la démocratie, elle peut laisser croire que seuls les premiers de ces droits présenteraient un tel risque. Il faut pourtant se rappeler que les droits de l'homme sont nés non pas d'une opposition au Pouvoir en soi mais à l'arbitraire, le Pouvoir apparaissant au contraire comme le meilleur garant de l'ordre nécessaire à l'épanouissement des libertés individuelles. Dans la conception la plus pure du libéralisme, l'Etat est au service de la société. Mais ce service n'implique pas nécessairement sa passivité ; il requiert, le cas échéant, une action protectrice de la liberté : le gendarme devient tuteur, plus ou moins bien intentionné. Ce serait donc une erreur de penser que ce sont les droits sociaux qui ont introduit l'Etat dans la problématique des droits de l'homme. Il y a toujours été.

 

Regardons d'ailleurs la situation aujourd'hui dans les sociétés occidentales. On ne peut que constater un rétrécissement des zones et des attitudes de liberté. Partout c'est " l'exubérance des réglementations, l'infinie complexité des formalités bureaucratiques, la multiplicité des contrôles ; c'est un filet de contraintes, de restrictions qui lentement, par décrets successifs, se resserre sur l'individu ". Si les droits économiques, sociaux et culturels participent à cette évolution, il est évident qu'ils sont loin d'être les seuls et même de jouer un rôle déterminant. D'ailleurs, combien de régimes sont-ils devenus totalitaires à la suite d'une excroissance démesurée de l'Etat-providence ?

 

D'une manière générale, il nous semble que vouloir opposer la démocratie sociale à la démocratie politique ne peut conduire qu'à une impasse. Il n'y a entre elles aucune rupture, mais simplement le passage d'une liberté affirmée à une liberté conquise. Et, de l'une à l'autre, on ne quitte pas le domaine des droits de l'homme (comment pourraient-ils servir d'alibi à l'inégalité et à l'injustice ?) ni celui de la démocratie (qui fondamentalement veut permettre à l'homme de maîtriser son propre destin). Il faut échapper au piège d'une conception " pure " de la démocratie — mais en fait abstraite et théorique — qui ferait rejeter ou regarder avec suspicion des solutions envisagées, sous le seul prétexte qu'elles impliquent une intervention de l'Etat : lorsqu'un gouvernement réduit sa contribution au système de protection sociale, incitant les citoyens à recourir davantage aux assureurs privés, a-t-on vraiment le sentiment que la démocratie a progressé en raison de ce désengagement de l'Etat ?

 

c) Les droits économiques, sociaux et culturels seraient " moins fondamentaux " que les droits civils et politiques. En fait, présentés comme n'étant pas inhérents à la personne humaine, ils seraient beaucoup plus des objectifs à atteindre que des droits à respecter. Cette thèse du caractère secondaire des droits économiques, sociaux et culturels

— qui ne fait que renforcer l'idée selon laquelle leur violation est moins grave que celle des droits civils et politiques — s'appuie souvent sur des exemples du genre de celui-ci : peut-on mettre sur le même plan l'interdiction de la torture et les remboursements par la Sécurité sociale ? La réponse — négative — semble aller de soi. Pourtant, nous savons que, pour les éléments les plus pauvres de la société, l'absence de protection sociale peut être véritablement destructrice. Par ailleurs cet exemple, qui veut appuyer l'opposition entre droits sociaux et droits civils, peut faire oublier qu'une question identique se pose au sein même de ces derniers : peut-on mettre sur le même plan l'interdiction de la torture et la durée de la procédure ? Mais surtout, est-il vraiment utopique de penser que si un châtiment corporel dans une école est considéré comme un traitement dégradant, il devrait pouvoir en être de même pour la situation de celui qui " vit " dans un bidonville ? En fait, encore aujourd'hui, la notion de " traitement dégradant ", inscrite à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, n'est envisagée qu'à travers les relations entre personnes et n'est pas vue comme pouvant résulter directement de situations, en particulier d'extrême pauvreté.

 

Dans un passage, célèbre à juste titre car très novateur, de l'arrêt Airey, la Cour européenne des droits de l'homme a souligné que si la Convention " énonce pour l'essentiel des droits civils et politiques, nombre d'entre eux ont des prolongements d'ordre économique et social. Avec la Commission, la Cour n'estime donc pas devoir écarter telle ou telle interprétation pour le simple motif qu'à l'adopter on risquerait d'empiéter sur la sphère des droits économiques et sociaux ; nulle cloison étanche ne sépare celle-ci du domaine de la Convention ". Il serait souhaitable que les organes de contrôle aillent jusqu'au bout de la logique de cette prise de position, qui ne peut être qu'une interprétation plus large des dispositions de l'article 3.

 

 

Réflexions sur le " droit à la vie "

 

Des réflexions du même ordre pourraient être faites au sujet du droit à la vie (article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme), jusqu'à présent réduit au droit de ne pas être privé de la vie. S'il est vrai qu'au cœur de la philosophie des droits de l'homme il y a la notion de dignité, on doit admettre que la survie n'est pas la vie. Seule mérite son nom une vie dans la dignité, pour soi et ses enfants. C'est-à-dire — et cela doit être fortement soulign頗 que la grande pauvreté n'est pas, en premier lieu, un problème économique ni même financier. Une telle approche ne peut aboutir — comme on le voit dans la plupart des pays — qu'à une simple gestion de la pauvreté. Les restaurants du cœur, c'est très bien, mais en même temps scandaleux : l'Europe peut-elle vraiment être crédible au regard des droits de l'homme si, en ce domaine, elle en reste aux bonnes œuvres et aux dames patronnesses ? Nos démocraties sont-elles prêtes à admettre que — comme le rappelait inlassablement le Père Wrésinski — combattre la grande pauvreté dans les sociétés fondées sur les droits de l'homme ne peut être affaire de décisions de gouvernants sur ce qui est utile aux pauvres ? Il faut bien comprendre que si on veut éviter de construire de toutes pièces des sociétés " à plusieurs vitesses ", il faut donner à cette population les moyens de s'informer, d'élaborer une opinion commune et de la faire valoir, c'est-à-dire les moyens de se faire entendre en tant que citoyens à part entière.

 

En donnant une interprétation moins étroite aux notions de " vie " et de " traitement dégradant ", les organes de contrôle de la Convention et les Etats occidentaux en général montreraient qu'ils ont compris le danger de s'enfermer dans des distinctions stériles entre catégories de droits et ne feraient rien d'autre que de donner plein effet à l'indivisibilité et à l'universalité des droits de l'homme.

 

C'est certainement l'idée la plus forte du rapport du Conseil économique et social, que l'absence des droits économiques, sociaux et culturels compromet les droits civils et politiques. Il n'y a pas deux groupes de droits, indépendants, les uns plus respectables que les autres. Ils sont au contraire profondément complémentaires, étroitement imbriqués les uns aux autres. La pauvreté constitue non seulement un déni des droits économiques, sociaux et culturels mais aussi une violation des droits civils et politiques

. Ce serait une erreur de croire que la jouissance effective de ces derniers droits peut être indépendante du contexte économique et social, même dans un pays développé. Les droits économiques, sociaux et culturels, ne sont pas des " suppléments ", sorte de luxe dont la collectivité ne pourrait se soucier que dans les meilleurs jours ; ils font partie intégrante des valeurs fondamentales de toute véritable démocratie : selon la belle formule du poète Milton, " amongst unequals no society " (" entre des êtres inégaux, nulle société ").

 

C'est en fait du bénéfice de l'ensemble des droits de l'homme que les plus pauvres sont exclus. Réalité qui jette un éclairage nouveau sur l'universalité des droits de l'homme, universalité qui trop souvent est cantonnée dans sa dimension géographique. La Convention européenne des droits de l'homme ne semble pas retenir cette conception étroite de l'universalité, puisque presque chacun de ses articles commence par " Toute personne ", " Nul ne peut être ". Mais qu'en est-il, dans la réalité, de l'accès au droit pour tous, y compris les plus démunis ? Ce " tous " ne se confond-il pas trop vite avec " le plus grand nombre " ? N'est-il pas une entité trop générale, quand on sait qu'il y a toute une catégorie de personnes pour qui " faire valoir ses droits " ne signifie pas grand chose, qui n'a de contact avec la justice que si elle est " traînée devant ", qui n'a pas les mots pour formuler une demande ? De manière plus générale, s'il est vrai que les droits de l'homme sont des droits reconnus à tout homme parce qu'il est un homme, comment se fait-il que certaines personnes ne puissent les exercer, faute de moyens ?

 

Nous sommes bien là au cœur du problème, car c'est en fait une conception de l'homme qui est en cause dans la violation des droits des plus pauvres : si ces droits ne sont pas respectés, c'est fondamentalement parce que l'humanité de ces hommes et de ces femmes n'est pas vraiment reconnue. " Tout au bas de l'échelle sociale, tout se passe comme si ce n'était plus le fait d'être un homme qui confère des droits, mais plutôt le fait d'avoir des droits qui confère le titre d'homme. "

 

 

Une évolution des mentalités

 

Comme nous le disions au début de ces réflexions, l'ampleur des situations de pauvreté dans les démocraties occidentales semble bien avoir entraîné une évolution des mentalités. Nombreux sont ceux qui ont pris conscience que la pauvreté ne frappe pas que " les autres " — qui appartiendraient à un autre monde — ni ceux qui se seraient volontairement mis en marge de la société. Et l'on (re)découvre l'extrême pauvreté — en fait la misère — dans laquelle " vivent " des millions de personnes qui, tels les lépreux au moyen-âge, sont maintenus à la périphérie de nos cités. Le " quart-monde "... Il est reconnu, puisqu'il a un nom ; mais quel aveu ! L'Occident est ainsi sur le point de réaliser qu'il avait estimé peut-être un peu vite que, pour les droits économiques, sociaux et culturels, il avait atteint le maximum. Il sait qu'il n'est plus possible d'attendre que le temps permette à chacun de bénéficier des fruits de la croissance et que la pauvreté n'est pas un phénomène transitoire, en voie d'extinction. Bien au contraire. Paradoxe d'un monde qui n'a jamais produit autant de richesse(s) et connu autant de pauvreté(s). Paradoxe qui apparaît insoutenable à un nombre croissant de personnes et qui pourrait bien entraîner des changements dans les modes de vie, tant il est vrai que la solution ne pourra pas résider uniquement dans le versement d'allocations par les pouvoirs publics.

 

Dans les pages qui précèdent, nous avons voulu inviter les juristes à participer à cette évolution. Nombre d'entre eux ont déjà dénoncé le caractère artificiel de l'opposition faite entre les droits civils et politiques et les droits économiques, sociaux et culturels. Il faut aller plus loin et en montrer le danger, car elle cache des réalités bien concrètes, souvent tragiques, qui se laissent difficilement enfermer dans des catégories. La grande pauvreté révèle la vérité de nos discours sur les droits de l'homme, en particulier sur leur indivisibilité. Les juristes devraient aider à débarrasser ces discours de tous leurs oripeaux idéologiques. Il n'y a pas des libertés capitalistes et des droits marxistes, mais des droits de l'Homme, c'est-à-dire des droits dont toute personne doit pouvoir bénéficier, afin de mener une vie conforme à la dignité humaine. On ne soulignera jamais assez que cette notion de dignité doit être le seul point de référence, au-delà de toute considération utilitaire, si l'on veut vraiment supprimer les obstacles qui empêchent les droits de l'homme d'être effectivement inaliénables, donc inconditionnels.

 

 

L'Europe du Marché commun

 

Une autre exigence apparaît : celle de ne plus considérer le phénomène de la pauvreté dans le seul cadre national, mais sur le plan européen, car c'est bien l'Europe dans son ensemble qui est concernée, et pas seulement chaque Etat isolément. Or, de ce point de vue, on est en droit de nourrir quelques inquiétudes avec le fameux " marché intérieur " promis pour 1993. Sa dimension sociale est particulièrement faible et, une fois encore, les pauvres semblent bien avoir été oubliés. Ainsi, le document de travail de la Commission n'analyse pas le problème de la pauvreté en tant que tel. Au contraire, il part du principe que la croissance économique se traduira par une amélioration des conditions sociales pour tous les citoyens et envisage en fait de protéger les droits fondamentaux des seules personnes ayant un emploi. Surtout, il rend les Européens les plus démunis tributaires des mesures nationales, alors que les frontières s'ouvrent pour les autres.

 

L'Europe du " marché commun " ne devrait pas oublier qu'elle ne pourra pas constituer une communauté digne de ce nom si elle n'a recours qu'à des paramètres macro-économiques.

 

C'est la chance de l'autre Europe, celle des vingt-trois du Conseil de l'Europe, d'avoir compris dès l'origine que la ligne maîtresse de la construction européenne ne pouvait être qu'une certaine idée de l'Homme. Fort de ce patrimoine, qu'il n'a cessé de faire fructifier à partir de la Convention européenne des droits de l'homme et de la Charte sociale européenne, il devrait pouvoir jouer dans ce contexte un rôle décisif.

 

Encore doit-il comprendre combien il serait erroné de n'aborder le problème de la pauvreté que comme un cas isolé, une activité parmi d'autres, qui ne relèverait que des secteurs " spécialisés " de l'Organisation. C'est en fait l'ensemble du Conseil de l'Europe qui doit se sentir concerné, car c'est toute sa conception des droits de l'homme et sa crédibilité en la matière qui sont en case. Les pauvres, parce qu'ils sont privés de tous les droits, obligent à repenser la manière de mettre en œuvre ce qui, après tout, n'était que l'un des objectifs essentiels du Conseil de l'Europe au moment de sa création : la défense de tous les droits de l'homme de tout homme. Alors que nous venons de célébrer le 40e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du Conseil de l'Europe, il faudrait, au-delà des commémorations, décider de montrer que nous voulons vraiment redonner toute sa vigueur au message qui avait été alors lancé. Il s'agit bien de volonté, car le Conseil de l'Europe a déjà signifié qu'il avait conscience que son discours humanitaire était tronqué si, dans les faits, il acceptait qu'il y ait des laissés pour compte des droits de l'homme. Il doit, ainsi que ses Etats membres, retrouver le courage qui fut le sien en 1949-1950 et être à l'origine d'un nouveau pas en avant dans la sauvegarde des droits de l'homme ; s'il ne veut pas avoir le charme suranné d'un passé glorieux ou l'aspect rassurant d'une institution bien établie, son témoignage doit passer désormais par une prise en compte effectivement globale des droits de l'homme. Dans un monde mercantile et impitoyable pour les faibles et les malchanceux, le Conseil de l'Europe doit et peut apporter un langage et des gestes neufs, favorisant ce changement des esprits qui fera qu'un jour, enfin, on acceptera comme allant de soi que l'ignorance des droits économiques, sociaux et culturels est véritablement une violation des droits de l'homme et qu'en ce domaine il n'y a jamais de fatalité, mais l'indifférence des uns et la résignation des autres.

 

Pierre-Henri Imbert

 

 

3. Déclaration des droits du téléspect'acteur

 

(A l'initiative de Télé Création Citoyenne)

 

L'association Télé Création Citoyenne a pour objet de créer la première télévision indépendante des pouvoirs politiques et financiers, destinée à donner la parole aux citoyens.

 

Article 1. J'ai envie d'une télévision qui m'appartienne.

 

Télévision Création Citoyenne, chaîne privée et indépendante, qui ouvrira au moins 30% de son capital à ses " téléspect'acteurs ", sera diffusée sur le câble et le satellite. Sa vocation : permettre à tous les citoyens de s'approprier enfin la télévision pour s'exprimer, échanger, créer dans tous les domaines de la vie sociale, associative, culturelle, économique, artistique, sportive...

 

Article 2. J'ai envie d'une télévision proche de ma vie.

 

Télévision Création Citoyenne sera une chaîne de proximité nationale, c'est dire qu'elle recueillera et fera circuler la parole, les idées et les images des quartiers, des villes, des régions, mais aussi de l'ensemble des acteurs de la vie associative. Sans exclusive, sans censure et sans frontières, mais dans le respect d'une " charte citoyenne " soutenant les valeurs de la démocratie républicaine.

 

Article 3. J'ai envie d'une télévision où m'exprimer pleinement.

 

Télévision Création Citoyenne consacrera jusqu'à un tiers de son temps d'antenne aux programmes proposés et choisis par ses " téléspect'acteurs ". Chaque jour aura sa couleur, son thème fédérateur, décliné sous toutes les formes : magazines, documentaires, reportages, forums, œuvres de fiction, au sein de " sphères de programmes " qui mêleront espaces de création et espaces d'expression citoyenne, mis en forme avec des professionnels de l'audiovisuel.

 

Article 4. J'ai envie d'une télévision qui ne s'arrête pas à l'audimat.

 

Télévision Création Citoyenne aura une approche innovante et citoyenne de la publicité et des instruments de mesure d'audience qui lui sont associés. Sans nier les impératifs de l'économie et le rôle moteur de la communication commerciale, elle veillera à ce que ses " téléspect'acteurs " demeurent des " consomm'acteurs ".

 

Article 5. J'ai envie d'une télévision qui ne se limite pas à la télé.

 

Depuis six mois se sont créés dans toute la France des dizaines de points de rencontre Télévision Création Citoyenne, qui rassemblent les énergies et les talents de tous ceux qui veulent faire émerger une parole et une image neuves et citoyennes. Dès maintenant, ces lieux de paroles et d'échanges constituent des banques de données de projets et de réalisations Télé création citoyenne, auxquelles s'associeront télévisions et radios locales, en France, en Europe et dans le monde.

 

Article 6. J'ai envie de participer à l'aventure de cette télévision.

 

Je rejoins, par mon adhésion à ce texte, les milliers de personnes qui ont déjà dit " Oui " à l'initiative lancée par Télévision Création Citoyenne, et qui ont envie qu'elle existe vite.

 

(Télé Création Citoyenne, 92, boulevard de Port-Royal, 75005 Paris, tél. 01 43 25 28 08 - Fax 01 43 25 53 95)