II. RAPPORTS DE SYNTHÈSE DES TRAVAUX EN ATELIER

 

Présentés en séance plénière le 24 novembre

 

Président de séance Willy Pelletier

 

ATELIER " TRAVAIL-EMPLOI "

 

1er groupe

Rapporteur Gérard Alezard

 

Je m'en tiendrai délibérément à une identification des questions et des demandes formulées dans l'atelier, en pointant quelques positions alternatives, et en soulignant d'emblée deux données importantes :

 

— La vérification par la pratique de la richesse potentielle et de la dynamique d'un échange regroupant une telle diversité de participants, militants de terrain, syndicalistes, associatifs, politiques, chercheurs, juristes, salariés avec ou sans emploi ;

 

— La confirmation de ce que notait Bernard Thibault quant à la présence forte des enjeux qui ont marqué le mouvement social de 1995 et le besoin urgent de construire des réponses nouvelles pour contribuer au rassemblement nécessaire.

 

L'atelier a été très clair à cet égard : l'urgence et le long terme, les axes de lutte immédiate et la recherche d'alternatives pour la transformation sociale. En préalable et pour le travail futur, l'atelier a exprimé le besoin de définir les termes et les concepts pour bien savoir de quoi on parle et de quoi les médias et les experts parlent : travail, emploi, précarité, activité, exclusion, industrie, services... Cela est nécessaire pour gagner en compréhension et en efficacité dans nos débats.

 

La faiblesse des rapports entre salariés avec emploi et salariés sans emploi a été soulignée, d'autant plus après les rapprochements notés lors du mouvement de 1995. A cet égard, le syndicalisme a été interpellé pour sa frilosité envers le mouvement associatif en général.

 

Quels sont besoins essentiels abordés par l'atelier ? D'abord, le besoin de mieux appréhender la nature et la réalité de l'éclatement du monde du travail, et notamment la dimension du processus de précarisation, au moment où la recomposition du salariat interpelle tout le monde et particulièrement le syndicalisme. Nombre d'intervenants ont souligné la montée du phénomène d'exclusion et l'existence d'une culture d'exclusion hors travail, mais aussi dans le travail, pour des salariés exclus ou s'excluant du syndicalisme ou de la vie politique.

 

Une grande place a été accordée à la question du travail et de ses rapports à l'emploi, au moment où la fin du travail est annoncée :

 

— le travail aujourd'hui ;

 

— la manière d'améliorer ses conditions, de changer sa nature pour travailler moins, mieux et autrement ;

 

— le rapport travail-formation-métier ;

 

— le rapport travail-hors travail ;

 

— la définition de la crise du travail.

 

La proposition a été retenue d'engager un travail sur le... travail, avec toutes les compétences dont nous pourrons disposer. Le constat a été fait d'une grave lacune du syndicalisme, globalement trop timide sur ce point.

 

La réduction du temps de travail (RTT) a évidemment fait l'objet d'un large échange : quelle RTT, quelle compensation salariale, comment crédibiliser son financement, quelle est la signification de la loi Robien, quelles propositions pour un triptyque RTT-formation-emploi ?

 

Il s'est avéré urgent de tenir beaucoup plus le créneau de l'organisation du travail, comme donnée capitale de la lutte pour une RTT efficace, en liaison avec de vraies créations d'emplois.

 

Enfin, cela pose la question de droits nouveaux de contrôle et d'intervention des salariés, dans les entreprises comme au plan régional et national.

 

De cet atelier, deux conclusions se dégagent : une conviction et une proposition.

 

La conviction : celle des potentialités que contiennent de tels échanges, d'autant plus fructueux qu'ils peuvent se libérer par nature des contraintes d'organisation ou d'appareil, et qu'ils disposent d'une capacité de recul souvent nécessaire pour avancer.

 

La proposition : celle de préciser rapidement les conditions d'une réflexion et d'une activité qui combinent le travail des groupes au plan national et au plan local. Il ne peut s'agir évidemment de jouer la concurrence avec les organisations syndicales et autres, mais de tenir une place originale, dont les Etats généraux montrent aujourd'hui toute la portée.

 

L'enjeu est clairement établi : c'est celui de favoriser la contribution du plus grand nombre à une réflexion plurielle, bénéficiant de toutes les disponibilités et de toutes les compétences.

 

Il y a seulement sept ans, en 1989, un chercheur américain, Fukuyama, annonçait la " fin de l'histoire ". La sanction est claire : l'histoire continue ! Et il ajoutait, imprudemment : " C'est le point final de l'évolution idéologique et l'universalité de la démocratie libérale occidentale ". Mais tel est bien l'enjeu, celui de la transformation sociale.

 

 

ATELIER " TRAVAIL/EMPLOI "

 

2e groupe

Rapporteur Jean-François Perraud

 

C'est de façon arbitraire que j'ai extrait trois points d'un débat très riche.

La discussion les a illustrés à maintes reprises et a défini des articulations entre eux. Il s'agit des évolutions du travail, de la dégradation des emplois et du lien social, et de l'exigence d'avoir des moyens pour vivre.

 

1. En ce qui concerne les évolutions du travail : il faut mesurer concrètement que la crise du taylorisme entraîne leur accentuation, grâce aux technologies. Mais la hausse de la productivité est devenue une contrainte généralisée. Dans l'éducation nationale, par exemple, la conséquence en est le non-emploi de 6 000 maîtres auxiliaires. Autre exemple : la multiplication de PME très mobiles, qui rend difficile l'implantation syndicale. Cela concerne pourtant cinq millions de salariés. Notre atelier exprime le souhait que la solidarité des salariés des PME s'organise à partir des unions locales, au besoin à partir d'une démarche unitaire des organisations syndicales.

 

2. En matière de dégradation des emploi et du lien social : l'atelier est parti de données concrètes. Sur la zone Orly-Rungis, il y a un inspecteur du travail pour 10 000 salariés. A Nanterre, sur 7 000 personnes privées d'emploi, seulement quelques dizaines sont organisées dans les réseaux syndicaux et associatifs. Dans une ANPE rurale près de Bordeaux, pour 7 000 personnes privées d'emploi, il y a 17 employés pour leur répondre. De plus, la réforme mise en route comporte un volet antichômeurs qui consistera à les dissuader de s'inscrire. Et pour économiser sur son budget, l'Etat remplace de plus en plus des emplois de fonctionnaires par des CES. Enfin, le développement de la flexibilité prend des formes extrêmes. Un emploi à temps partiel bénéficie d'aides publiques s'il respecte un minimum de 16 heures par semaine. Dans le commerce, c'est souvent seize heures en six jours. La Poste pratique des contrats de vingt minutes par jour sur six jours. La Fnac prépare un contrat de dix-huit heures en moyenne hebdomadaire annualisée.

 

3. Face à ces constats s'affirme l'exigence d'avoir des moyens pour vivre, la volonté d'exister socialement. Cela pose la question d'un statut social pour les salariés, quelle que soit leur situation. Cela confirme aussi le besoin d'une relation positive au travail, à préserver et, dans certains cas, à gagner.

 

A l'occasion de l'occupation de la rue du Dragon, un débat avec des jeunes s'est engagé. Ils refusent net l'assistanat, c'est-à-dire le versement d'un revenu sans contrepartie, en termes de formation et de travail. Mais pour les moins de 25 ans, qui n'ont même pas droit au RMI, il faut du travail ou des mesures d'urgence.

 

Le problème se pose différemment pour 20% de jeunes, qui très tôt se poussés hors du système scolaire, car l'école publique n'a pas suffisamment de moyens pour lutter contre l'échec scolaire. De plus, une partie des jeunes, en raison de leur situation familiale, ne connaissent même pas le travail comme lien social.

 

Quand on prend l'exemple d'une lutte dans un foyer, à Paris, la revendication était : " Un logement, un emploi, des ressources. " Grâce au rapport de forces, les jeunes ont obtenu un logement et une formation, mais la moitié d'entre eux ne s'est pas présentée. Cela montre que, pour amorcer une dynamique qui crée un nouveau lien social, il ne faut pas se contenter de parler en tant que salarié ayant plus ou moins un emploi, mais qu'il faut dépasser les divisions que la société entretient, afin d'arriver à une démarche dans laquelle chacun, quelle que soit sa situation, puisse se reconnaître.

 

Enfin, et parallèlement à notre volonté d'appréhender les attentes du mouvement social, a été affirmé le besoin d'analyser précisément ce qu'est le patronat aujourd'hui, qui dirige et comment.

 

 

ATELIER " PROTECTION SOCIALE "

 

Rapporteur Didier Menard

 

Cet atelier a été très riche par la diversité des problèmes abordés. Au moment de la synthèse, nous citerons ceux qui ne firent pas l'objet de débats contradictoires et nous nous arrêterons plus longuement sur le problème central, récurrent — la fiscalisation du financement de la protection sociale —, qui fut abordé par plusieurs facettes, chacune nourrissant le débat.

 

1. Diversité des problèmes abordés

 

Nous sommes tombés d'accord pour dire que la question de la protection sociale, même quand elle est décrite dans sa réalité économique, n'est pas un problème technique. Elle pose la question politique du choix de société à construire. Quand nous parlons de protection sociale, il faut entendre l'ensemble des régimes sociaux : vieillesse, famille, maladie. On a trop tendance à réduire la protection sociale à l'assurance maladie. Nous sommes d'accord pour constater qu'il y a une offensive importante pour limiter l'accès aux soins et aux autres régimes de couverture sociale.

 

Il y a d'abord les sans-papiers " produits " par les lois Pasqua, auxquels on retire le droit de se soigner. Il y a tous ceux qui, vivant déjà dans la précarité sociale, ne peuvent pas mener de combat individuel pour la conquête de l'accès aux soins pourtant garanti par la loi, tant le système est complexe, tant les grains de sable mis volontairement ou involontairement dans les procédures bloquent celles-ci. Il y a les populations dont les revenus se situent juste au-dessus des minima sociaux, qui sont trop souvent exclues des soins par l'impossibilité de faire l'avance des frais médicaux. Enfin, l'idéologie de la délation se développe. Il est révoltant de voir combien les gestionnaires de certains régimes sociaux, notamment des allocations familiales, mettent de l'énergie à faire la chasse aux fraudeurs, alors que ce phénomène est très marginal.

 

L'atelier a rappelé que la santé est l'enjeu d'un gigantesque marché où les lois capitalistes font rage et les profits aussi, alors que l'on fait croire à tous que c'est la gabegie du système qui pose problème. Il est curieux de constater qu'il est bon pour l'économie française (selon le message de la pensée unique) d'acheter une voiture et qu'il est mauvais de se préoccuper de sa santé !

 

L'atelier n'a pas osé se lancer dans le débat sur la définition de la santé, mais il a réaffirmé :

 

— Qu'il n'y a pas de santé sans le respect du droit au logement, à l'éducation, à la nourriture, etc.

 

— Qu'il n'y a pas de prévention s'il n'y a pas de place pour l'être humain dans la société, et donc qu'une politique de prévention c'est d'abord une politique de lutte contre l'exclusion.

 

2. Question centrale : faut-il accepter la fiscalisation pour financer la protection sociale ?

 

Au regard des déficits des régimes de protection sociale, au regard des réalités économiques induites par la mondialisation, le coût du travail est trop important : au regard du droit à l'accès pour tous à la santé par la mise en place d'une protection sociale universelle, le choix politique actuel est la fiscalisation du financement de la protection sociale.

 

Après débat, l'atelier semble d'accord pour dire que ce choix politique est dangereux et représente un recul des droits sociaux des salariés, des familles, des jeunes, des personnes retraitées. De plus, il crée l'illusion sur le choix d'une société plus juste, dans laquelle des forces du mouvement social se sont engouffrées (CFDT, mutuelles, etc.).

 

Il a été rappelé :

 

— Qu'à l'amélioration des droits des salariés correspond une amélioration des droits des personnes.

 

— Que la cotisation sociale est un salaire qui garantit, pour le salarié et ses ayant droits, l'accès aux soins, et qui permet la solidarité. De plus, il contraint l'employeur à participer à cette solidarité.

 

De même, il a été rappelé qu'on instaure un régime de protection sociale à deux vitesses :

 

— En retirant du salaire la cotisation sociale pour diminuer le coût du travail.

 

— En fiscalisant la protection sociale par la contribution sociale généralisée (CSG), en asseyant cette fiscalisation sur l'ensemble des revenus, notamment ceux du capital.

 

— En faisant voter par le Parlement un budget plafond de la protection sociale.

 

— En redéfinissant l'accès à la protection sociale non plus par la cotisation sociale mais par la résidence.

 

— En retirant, doucement mais sûrement, la possibilité du contrôle des salariés de la gestion de la protection sociale.

 

Avec une prise en charge universelle des besoins de santé a minima et une prise en charge payante par l'assurance privée pour les soins nécessitant un coût plus élevé, nous sommes bel et bien dans la pensée libérale. Il n'y a plus de représentation des usagers au sein de la gestion des régimes sociaux.

 

Au terme de cet atelier, il a été proposé :

 

— De lancer l'idée d'élections sociales au sein des régimes sociaux.

 

— De réfléchir aux modalités de financement de la protection sociale en tenant compte notamment des réalités économiques (entreprise à forte main d'œuvre par rapport à celle ayant peu de main-d'œuvre, PME-grande industrie).

 

Quelques pistes ont été tracées et des questions soulevées, sur le taux unique de la cotisation sociale, sur les fonds de compensation. Et il est acquis que le débat ne fait que commencer, qu'il faut aller plus loin dans le partage des idées, qu'il faut continuer à mettre en perspective le point de vue des syndicats, des associations, des chercheurs.

 

 

ATELIER " SERVICES PUBLICS "

 

Rapporteur Christian Chartier

 

Deux petites remarques liminaires :

 

— Il n'est pas sûr qu'un permanent syndical d'un des principaux services publics (les PTT) soit le mieux à même de rapporter sur le service public.

 

— Le groupe de travail, à l'exception de trois personnes, était composé uniquement de personnels des services publics, la plupart ayant ou ayant eu des responsabilités syndicales importantes dans les différentes branches des services publics.

 

Ces remarques pour montrer qu'une des premières difficultés pour avoir une discussion sur le fond et commencer à pouvoir élaborer des revendications sur un service public rénové, " véritablement au service des usagers ", ne peut avoir lieu sans les usagers eux-mêmes.

 

Cette difficulté vient de ce qu'il y a souvent une analyse et un discours différents pour une même personne, entre le " producteur " de son propre service public et le " consommateur " des autres services publics.

 

Cette difficulté a des racines objectives, qui tiennent à une tradition française, où la définition et le contenu des missions de service public découlent d'une discussion qui se limite à un tête-à-tête entre les producteurs de services publics et les représentants de l'Etat qui s'arrogent la représentativité citoyenne. Un des exemples les plus frappants de cette situation fut la conception et la mise en place du " tout nucléaire ", où les citoyens ont pour le moins été mis à l'écart du débat. Une autre raison, plus conjoncturelle, tient à une attaque tout azimut et pour une fois sans précédent contre l'ensemble des services publics, et qui oblige avant toute chose à une attitude défensive sur le terrain : contre les suppressions d'emplois, les privatisations totales ou partielles, l'introduction massive de la flexibilité et de la précarité, les blocages salariaux...

 

Une des premières nécessités pour dépasser ces difficultés est de comprendre que les attaques en cours, même si elles prennent des formes spécifiques contre les " entreprises " de service public, ont une origine qui dépasse largement ce cadre, et des conséquences qui touchent l'ensemble des travailleurs et des travailleuses, du public comme du privé, travailleurs pris au sens large et incluant, évidemment, les chômeurs. Au nom de la nécessité de répondre à la concurrence, il faut rentabiliser au maximum les entreprises. D'où une politique systématique de baisse des coûts — coût du travail par blocage des salaires et par licenciements massifs, baisse de la part patronale des charges sociales, baisse des coûts des services (transport, communication, formation...) —, mais aussi de déréglementation généralisée, qui touche aussi bien les services publics que les droits collectifs des travailleurs, le code du travail par exemple.

 

Si on ne peut aborder, dans le temps imparti à ce rapport, les caracté-ristiques précises que prennent ces attaques dans le cas particulier des services publics, on peut dégager au moins trois éléments fondamentaux :

 

1. Une politique visant à faire supporter la baisse des coûts des services offerts par le service public aux grosses entreprises, soit par les petits usagers des services publics marchands (téléphone, courrier, transport, énergie...), soit en transférant une partie des recettes budgétaires de l'Etat vers l'aide aux grosses entreprises (baisse des charges sociales, privatisations ou semi-privatisations au rabais) au détriment des services publics de l'Etat payés par l'impôt (suppression d'emplois, baisse des investissements, désengagement de l'Etat d'une partie de ses obligations...).

 

2. Une politique de privatisation totale ou partielle et de déréglementation permettant aux entreprises privées, dans le cadre de la crise économique, d'investir des capitaux dans des secteurs à très fort développement et à très forte plus value (optimisation rapide de la rentabilité des investissements), le cas de France Télécom étant à ce sujet très révélateur. Evidemment, cette politique a comme contrepartie de laisser à l'Etat ce qui est difficilement rentable à court terme, et donc de faire apparaître les services publics comme coûteux, peu productifs et peu rentables, et de donner ainsi une justification aux suppressions d'emplois, à la baisse des investissements et à l'augmentation des prix des services rendus aux petits usagers.

 

3. Enfin, une offensive idéologique sur le " moins d'Etat ", offensive permettant de cacher les vrais enjeux de l'offensive libérale. Il est à noter d'ailleurs que la déréglementation et la dégradation des services publics se sont faites dans le cadre non pas d'une baisse des prélèvements obligatoires, mais au contraire d'un maintien, voire d'une augmentation des prélèvements obligatoires. Il s'agit donc bien de transferts budgétaires du public vers le privé, et non, pour l'instant, d'un véritable désengagement de l'Etat.

 

Face à cette analyse, il nous semble important que les Etats généraux du mouvement social puissent être un lieu de synthèse entre toutes les parties prenantes (syndicalistes, " usagers ", intellectuel(le)s, au sens de composantes parties prenantes, mais aussi d'apports spécifiques — sociologie, économie — permettant d'avoir une vision plus large des problèmes), pour permettre deux approches parallèles et non contradictoires : une série de mesures immédiates concrètes et une élaboration plus " sociétale ", définissant un véritable projet de service public alternatif à celui que nous connaissons à l'heure actuelle.

 

En ce qui concerne la première approche : il faut définir le service public comme étant, en même temps, un facteur d'intégration au sein de la société, ayant un rôle essentiel à jouer dans la lutte contre l'exclusion sociale et géographique, mais aussi comme un instrument collectif d'égalité et de redistribution au service de tous.

 

Cela signifie, entre autres :

 

— Remettre en cause les politiques de restriction budgétaire : c'est une des conditions essentielles de la survie et de l'amélioration des services publics, financés essentiellement par l'impôt et les prélèvements sociaux.

 

— Mettre un coup d'arrêt à la vague de libéralisation et de privatisation : les activités de service public ne doivent pas devenir de simples marchandises. L'intérêt du plus grand nombre nécessite de les soustraire aux règles habituelles de l'économie de marché.

 

— Empêcher les hausses de tarif des prestations utilisées par le plus grand nombre : en ce qui concerne, par exemple, les télécommunications, il serait inadmissible qu'à l'heure de la " société de l'information " une partie de la population subisse une véritable " éviction par les prix ".

 

— Elaborer des mesures spécifiques en faveur des plus démunis : une inégalité de traitement est en effet parfois indispensable pour tenter de corriger des inégalités sociales. Le droit à l'enseignement, aux soins de santé, à l'énergie, aux télécommunications..., doit être reconnu à chaque individu, indépendamment du niveau de ses revenus.

 

— Défendre l'aménagement du territoire : le maintien de péréquations tarifaires, le maintien de la présence de services publics dans les zones rurales (écoles, bureaux de poste, lignes SNCF...) contribuent fortement à un vrai aménagement du territoire. Certes, les services publics ne peuvent pas à eux seuls régler tous les problèmes d'aménagement du territoire, mais la moindre des choses serait qu'ils ne contribuent pas à amplifier la désertification de certaines zones ! Il en va de même au niveau international. Il convient d'imposer aux pays les plus riches d'aider à équiper les autres pays.

 

— Imposer une coopération entre services publics : tous n'ont-ils pas, en effet, pour mission de contribuer à l'" intérêt général " ? La politique libérale, au contraire, pousse chacun d'entre eux à aller " chasser " sur les terres du voisin. La Poste, par exemple, privilégie la route sur le rail, et la SNCF veut se lancer dans des activités Télécom. Au " chacun pour soi " de l'équilibre comptable, il convient de substituer le " tous ensemble " de l'intérêt du plus grand nombre.

 

— Défendre le statut des personnels : depuis la Seconde Guerre mondiale, le statut du personnel des services publics a servi de point d'appui ou de modèle à nombre de conventions collectives. En défendant son statut, le personnel des services publics ne défend pas seulement sa situation particulière. Il contribue simultanément à enrayer l'extension de la " loi de la jungle " au sein du monde du travail.

 

Il faut être conscient que, seulement pour arracher ces revendications, il faudra un véritable mouvement social d'ampleur au moins égale à celui des mois de novembre et décembre 1995.

 

Les Etats généraux ne joueraient pas pleinement leur rôle s'ils n'essayaient pas, dans le même temps, de définir :

 

— Un véritable projet de service public rénové, dans lequel l'ensemble des composantes (producteurs et consommateurs) puissent décider en commun des grands choix d'investissement, d'implantation, de complémen-tarité, de fonctionnement..., qui permettent à tous non seulement de bénéficier d'un service public de qualité, mais aussi d'un service public au service de tous, facteur d'égalité, de redistribution et de socialisation.

 

— Plus globalement, la place et le rôle des services publics dans le cadre d'un projet de société qui choisirait collectivement ses priorités par rapport aux besoins de tout(e)s et de chacun, non pas selon des critères qui se révèlent être des choix de préservation des intérêts des couchez dominantes de la société.

 

Il faut reconnaître que la tâche est ambitieuse.

 

 

ATELIER " EUROPE "

 

Rapporteur Yves Baunay

 

Débat riche, passionné, contradictoire, constructif surtout et, finalement, très consensuel sur l'essentiel. Il s'est passé quelque chose de fort. Des gens venant de lieux très différents ont échangé et se sont écoutés, avec l'idée qu'ils avaient un projet à construire ensemble. C'est une première — sans doute un résultat positif du mouvement de décembre 1995 —, une originalité française, nous a dit un collègue de Madrid. Un collègue instituteur a résumé dans une formule cette façon nouvelle de débattre ensemble : " Venez avec nous, nous avons un projet à construire ensemble. "

 

1. La dimension européenne s'impose comme un lieu d'affron-tement

 

Sur le contenu de la construction européenne :

 

— Combattre résolument l'Europe telle qu'elle se construit, telle qu'elle se fait, l'Europe du marché commun, de Maastricht, des critères de convergence, du système de la monnaie unique avec une banque centrale omnipotente, sans pouvoir politique en face... Un diagnostic sans concession.

 

— Se battre tout aussi résolument pour l'Europe telle qu'on la veut, pour favoriser de nouvelles avancées sociales, démocratiques, culturelles...

 

Le risque d'une mise en échec de la construction européenne a été posé. Il a pesé lourd dans la détermination de ceux qui ont voté pour Maastricht tout en critiquant le contenu du Traité. Mais faut-il avoir peur de l'échec de l'Europe libérale ? Non, si nous construisons le rapport de forces nécessaire pour promouvoir une autre Europe.

 

Sur l'Europe présente dans les luttes concrètes

 

Le mouvement social de novembre-décembre 1995 a été analysé :

 

— Comme un " non " ferme aux politiques libérales imposées aux niveaux national et européen contre les services publics, la protection sociale, l'emploi, les salaires.

 

— Et comme l'aspiration à des politiques alternatives, à d'autres choix aux niveaux national et européen, même si ces alternatives restent à construire.

 

Des luttes dans chaque pays européen sont menées, qui mettent en cause indirectement ou directement les choix européens et leur mise en œuvre au plan national. La question des convergences à construire se pose de plus en plus fortement et concrètement. Des luttes sont déjà organisées directement au niveau européen : l'exemple des transports, notamment des chemins de fer, a été évoquée par des syndicalistes (CFDT, CGT).

 

Sur la question des outils à se donner pour faire converger les luttes et pour les mener à l'échelle européenne :

 

— Débat sur la capacité du mouvement syndical organisé dans la Confédération européenne des syndicats (CES) à devenir l'instrument efficace de ces luttes. Il y a pour le moins nécessité pour le mouvement syndical de se transformer au niveau européen pour être plus en prise avec les luttes et de combattre les exclusives d'un autre âge (exclusion de la CGT de la CES).

 

— Débat sur l'idée d'Etats généraux européens comprenant organisations syndicales, associations, citoyens, à l'image de nos Etats généraux.

 

— Débat sur l'idée d'une construction européenne fondée sur les luttes menées à la base pour imposer des critères sociaux de convergence.

 

En tout état de cause, la nécessité d'un nouveau grand débat démocratique sur l'Europe paraît nécessaire. Pour construire les alternatives, coordonner les luttes, les développer à l'échelon européen, on a besoin de toutes les organisations, et on a besoin en même temps d'inventer de nouvelles façons de travailler dans les organisations et entre les organisations. C'est aussi un enjeu de luttes.

 

Sur une dialectique qui reste à construire entre :

 

— D'un côté, le mouvement social, les luttes qui se développent chaque jour, dans les différents secteurs, sans attendre le " Tous ensemble " ;

 

— De l'autre côté, les réponses alternatives aux politiques qui sont imposées.

 

Cette articulation des luttes et des propositions alternatives est fondamentale pour casser l'impression du rouleau compresseur libéral. La pression politique citoyenne doit s'exercer en tout état de cause au niveau européen et reconstruire les instruments de régulation publique au niveau le plus pertinent, en articulant les trois niveaux : national, européen, mondial.

 

2. L'Europe pour quoi faire ? Y a-t-il une pertinence de l'espace européen ? Quelle Europe voulons-nous construire ?

 

Sur la pertinence de l'espace européen, la question de l'articulation entre l'Etat-nation et le niveau européen se pose entre :

 

— D'un côté, la prise en charge des questions liées à l'identité nationale, les repères nationaux, les constructions culturelles, sociales et démocratiques nationales.

 

— D'un autre côté, la réponse à l'aspiration forte à construire l'Europe autrement, avec un autre contenu, d'autres perspectives.

 

Les deux dimensions doivent être prises en charge dans leur complémentarité. Leur articulation doit être correctement réglée dans les réponses alternatives, sous peine de laisser le Front national seul à couvrir la première dimension.

 

Sur la mesure correcte des évolutions de l'espace-nation :

 

— D'un côté, il reste un espace pertinent pour régler un certain nombre de problèmes en tenant compte que c'est dans cet espace que se structurent, pour l'essentiel, les luttes, les débats, les politiques mises en œuvre, la construction des rapports de forces.

 

— D'un autre côté, il faut bien mesurer la perte de centralité de l'espace national, avec la transnationalisation de l'organisation d'un certain nombre d'activités : médias, transports, communications...

 

Là encore, c'est une question d'articulation entre les deux espaces.

 

Sur les prolongements européens, il s'avère nécessaire :

 

— d'imposer à tous les niveaux des modalités publiques de régulation ; le développement des services publics ; la taxation et le contrôle des mouvements de capitaux.

 

— d'imposer le contrôle des pratiques de délocalisation des entreprises transnationales qui jouent sur les différentiels de salaires et de droits sociaux est également une nécessité. Il faut travailler à la construction d'un champ social européen.

 

Sur la construction de l'Europe que nous voulons : elle ne doit pas nous faire oublier l'espace mondial. La crainte d'un enfermement au niveau de l'Europe a été exprimée. La vocation de l'Europe n'est pas de s'intégrer à la fameuse Triade, mais de jeter un pont vers l'Est et vers le Sud.

 

3. Approche de la construction de l'Europe que nous voulons à travers les questions concrètes

 

L'Europe apparaît souvent à travers les débats sur les questions concrètes, même lorsqu'elles en semblent apparemment éloignées.

 

Sur la question de la monnaie unique : celle-ci a polarisé une bonne partie des débats.

 

Constat : la pression énorme contre les acquis sociaux que font peser la construction de la monnaie unique et les critères de convergence, même s'il ne faut pas disculper les gouvernements nationaux de leurs responsabilités. Ce sont eux qui arrêtent les choix au niveau de l'Europe et au niveau national.

 

Débat : la nécessité ou la pertinence d'un instrument de régulation monétaire à l'échelle européenne fait débat, qu'il s'agisse de la monnaie unique ou de la monnaie commune.

 

Points d'accord :

 

— Accord pour considérer que la gestion de cette monnaie unique ne peut être laissée à une banque centrale indépendante de tout pouvoir politique, de tout contrôle démocratique.

 

— Accord pour considérer comme inadmissible que des choix soumis normalement au débat démocratique, comme les politiques budgétaires, monétaires..., soient inscrits dans un traité et donc considérés comme clos une fois pour toutes.

 

Il y a urgence à intervenir sur cette question. La Conférence intergouvernementale (CIG) qui se déroule actuellement, et encore pour plusieurs mois, a les moyens de proposer des modifications du Traité.

 

Sur la question des procédures à mettre en place :

 

— Procédures pour construire les politiques européennes, qui concernent les coopérations, les échanges, les synergies entre les Etats, les firmes, les populations, les organisations syndicales ;

 

— Procédures pour construire une Europe démocratique (les nations telles qu'elles fonctionnent ne sont pas considérées comme des modèles de démocratie). Certains processus, comme l'autonomisation des exécutifs ou le pouvoir technocratique, déjà développés au niveau national, trouvent encore plus de poids au niveau européen.

 

Il est donc urgent d'avancer dans la démocratisation, la transparence, la mise en débat public, l'appel aux citoyens, pour trancher les choix essentiels.

 

Sur les grandes questions en débat, nous avons émis un vœu : que les questions évoquées dans les autres ateliers prennent en charge la dimension européenne. Cette dimension ne peut être séparée des autres dimensions : services publics, protection sociale, travail-emploi.

 

Bien d'autres questions demeurent, comme la formation, la mobilité géographique et le marché du travail au niveau européen, la politique agricole, les fonds structurels… Au total, une première qui appelle des suites.

 

 

ATELIER " IMMIGRATION "

 

Rapporteuse Hélène Alexandre

 

Atelier créé sur place, le jour même de la session. Il comprenait une dizaine de personnes : sans-papiers, immigrés non clandestinisés, étrangers naturalisés français, Français depuis un nombre variable de générations, sympathisants du mouvement des sans-papiers en tant que membres d'associations, de syndicats, ou personnalités.

 

Au mois de décembre 1995, au cœur du mouvement social qui a donné naissance au projet des Etats généraux, l'" Appel des sans " fut lancé à Beaubourg : sans-emploi, sans logement et sans-papiers exprimaient leur entière solidarité avec les grévistes et lançaient un appel à l'unité.

 

Cette réalité s'est confirmée comme une évidence à plusieurs reprises : comme pour le mouvement social de décembre, la lutte engagée par ceux que l'on appelle aujourd'hui les sans-papiers a entraîné elle aussi une véritable rupture de consensus, celui régnant depuis plusieurs années sur la nécessaire politique d'un nécessaire contrôle de l'immigration. En même temps, par sa forme, cette lutte a remis en question une autre évidence : celle selon laquelle la question de l'immigration était une question à part et les immigrés une catégorie spécifique, incomparable.

 

L'immigration fait partie intégrante de l'histoire politique et sociale de la France. La place des étrangers est essentielle dans l'histoire des mouvements sociaux, non pas tant sur le plan démocratique — on sait qu'une large partie de la population aujourd'hui de nationalité française est d'origine étrangère — que sur celui du combat pour les droits démocratiques et des luttes sociales.

 

Aujourd'hui encore, la situation faite aux immigrés clandestinisés cristallise tous les enjeux sociaux et politiques que le mouvement social a mis en lumière il y a un an. Précarité, contrôle social, défense des droits sociaux et de la démocratie, question de la citoyenneté : aucun de ces sujets, aussi brûlants les uns que les autres, n'a échappé aux débats et échanges présents au cours de ces huit mois de lutte.

 

C'est un fait : il existe de nombreux travaux de chercheurs, historiens, démographes, sociologues et économistes qui démontrent amplement l'inanité des discours politiques et idéologiques sur l'immigration et les immigrés. Ils sont rarement contestés. Pour autant, ils n'ont jamais convaincu les politiques de changer leur discours.

 

C'est dans la lutte que depuis des mois les sans-papiers réaffirment ces réalités et leurs enjeux. Et c'est par leur lutte qu'ils ont mis fin à leur fatalité.

 

Pourquoi des hommes et des femmes émigrent-ils ? Pourquoi sont-ils amenés à décider de quitter leur pays et leur famille ? La responsabilité des pays riches est lourde : aux conséquences de la colonisation s'ajoutent aujourd'hui, dans le contexte de la mondialisation, les effets de ce néo-colonialisme pudiquement appelé " rapports Nord-Sud ". Nous savons également leur responsabilité dans des situations politiques où indépendance et démocratisation de façade dissimulent à peine la dépendance, la corruption, l'oppression et la répression. C'est cette responsabilité, économique et politique qui est niée, quand on refuse l'installation en France de tous ceux que la misère ou la peur étouffent et broient.

 

Pourquoi des hommes et des femmes immigrent-ils en France ? Les liens historiques de la France avec certains pays du monde, ainsi que le rôle historique de la France dans l'affirmation des droits démocratiques expliquent que ceux qui s'exilent cherchent à y rester. Pour certains, leurs parents se sont battus auprès des Français pour vaincre le nazisme : c'est encore un fait historique qui accroît la dette que la France (et l'Europe) ont à leur égard.

 

L'Etat français veut-il contrôler l'immigration ou les immigrés ? C'est de cette manière qu'il faut en effet poser la question, à l'instar d'une autre : est-ce le chômage que l'on cherche à maîtriser, ou les chômeurs ?

 

La politique dite de contrôle de l'immigration appartient aux politiques sociales de l'Etat. Le problème n'est pas qu'il y ait des immigrés, mais pourquoi il existe une catégorie sociale appelée les immigrés ; pourquoi, à l'intérieur de cette catégorie, il y a les clandestins et ceux qui ne le sont pas ; pourquoi l'immigré non clandestin hier le devient demain.

 

La réponse n'est pas que l'Etat veut l'immigration zéro. La réponse est double :

 

1. La fragilisation accrue des populations immigrées appartient aux logiques de précarisation des travailleurs. Cette précarisation passe par l'instauration et la multiplication des statuts atypiques et par la division et les concurrences que ces statuts instaurent.

 

2. Cette fragilisation s'opère par le renforcement du contrôle social et policier.

 

Dans ces deux points, chacun reconnaît d'autres politiques, d'autres mesures, où le droit du travail occupe une place centrale, mais d'où découlent également le droit au logement, le droit à la santé, le droit à l'éducation, à la culture et au savoir.

 

Ceux qui se disent eux-mêmes non pas clandestins, mais clandestinisés, ont mis à jour la fonction antidémocratique de certaines de nos lois, qui fondent la légitimité de l'arbitraire, qui instaurent l'inégalité devant la loi.

 

Là encore, on reconnaît les conséquences d'autres lois et d'autres mesures, où le " cas par cas " produit des dégâts humains et sociaux considérables : " cas par cas " des négociations établissement par établissement dans le droit social ; " discrimination positive " instaurée par le zonage des politiques locales d'emploi...

 

Les sans-papiers ne sont pas représentatifs de tous les immigrés, dira-t-on. Effectivement, la majorité des immigrés sont seulement des sans-papiers potentiels. On retrouve là les procédés de contrôle social et politique qui visent à fragiliser et paralyser le mouvement social. En se plaçant délibérément en pleine lumière (y compris médiatique), par l'intensité et l'ampleur des débats qu'ils ont suscités, les immigrés ont repris le flambeau des mouvements de décembre et prouvé que la soumission et le silence n'étaient pas une fatalité.

 

Si décembre 1995 a ouvert la voie aux luttes pour la défense de la dignité et de la citoyenneté de l'été et de l'automne 1996 (foyers de travailleurs immigrés, sans-papiers, sans-logis, nettoyeurs de la gare d'Austerlitz...), les restrictions réaffirmées des droits ont constitué la réponse d'une France officielle qui se débarrasse et se délite de tous ses acquis démocratiques. Mais la solidarité civile qui a entouré l'occupation de l'église Saint-Bernard a convaincu que la France populaire en lutte ne s'est pas évanouie et qu'elle est bien debout.