Récit subjectif dune participante au contre-sommet
Retour à Paris - De la solidarité entre les manifestants à Gènes, il me reste des images fortes, celle des petits groupes anti-lacrymogènes proposant, imposant à la chaîne, citron et eau (des milliers de bouteilles deau minérale écrasées, dispersées et amassées jonchaient samedi soir les rues génoises de la Place Brignole au centre de convergence) durant les charges à tous les gazés. Image qui résiste à la désagéable impression (à la lecture de certaines réactions, « pour ou contre »), que le temps des donneurs de leçon, de gauche et pseudo-radicaux, est de retour lui aussi et risque de nous refroidir rapidement.
Mais bon ! Petit récit, donc, des marches génoises dune bande de copains et copines, devenus spontanément correspondants de Samizdat, « armés » de foulards, lunettes de soleil, et pour certains veinards de portables, lunettes de plongée, masques à gaz et casques de chantier. Dune petite équipe mobile aussi bien dans ses parcours que dans ses affinités (entre Black Bloc et Tute Bianche) mais résolument non dogmatiques.
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Passer la frontière sest révélée très facile mais conséquence des rumeurs et des mésaventures de copains, nous avons opté pour des itinéraires diversifiés. Une voiture par Vintimille, une autre par un col peu fréquenté près de Gap. Par portable, on sest rassuré sur nos passages ; peu avant la frontière après Nice, une cinquantaine de gardes mobiles gardaient lautoroute en contrôlant plutôt les camionnettes. Sur laire dautoroute de Beausoleil où devait se tenir un point dinfo dAttac, deux ou trois clampins assis à une table, à côté dune banderole, et perdus au milieu dune masse compacte de camions et de voitures de tourisme
Larrivée à la frontière après le tunnel de Vintimille, est brutale : le poste-frontière est rempli de flics, de cars, de voitures de police, polarisés sur le faciès des voyageurs
on ne sattarde pas, et on file très vite vers lautoroute. Il est 17h, mercredi. Coup de fil pour informer les permanents de Samizdat de la situation à la frontière. Daprès leurs infos, les trains spéciaux commencent à arriver à Gènes. Dautres comme celui de Globalise Resistance sont bloqués à Calais par Gayssot (Berlusconien ?).
Nous prenons la direction de Gènes. Lautoroute est mortelle, la circulation ralentie et finalement immobilisée à cause dun accident prêt de Gènes. Le pompiste avec qui nous discutons après avoir quitté lautoroute pour la nationale, nous affirme que tout est bouché à cause du G8.
21h : on repère la voiture des copains dans un des nombreux souterrains de Gènes, on décide de se suivre pour emprunter la sortie dautoroute permettant de se rendre à Brignole.
De lautoroute traversant la ville et surplombant le port, on aperçoit dabord les paquebots immenses, éclairées « abritant » les patrons du G8, puis des grilles hautes de 4m, et des essaims duniformes : verts pour les militaires, bleus foncé pour la police, bleus clair pour les carabiniers et gris pour la garda di finanza
Des milliers de flics, des centaines de voitures, de cars, 15000 flics (soit à ce moment 1 flic pour 5 manifestants). Et des hélicoptères, tournant, sans fin dans un bruit qui rappelle Apocalypse now.
Arrêt Piazza della Vittoria, vidée de ses voitures, seuls quelques taxis stationnent, qui nous déconseillent dy laisser la voiture à cause des flics. Certains dentre nous se rendent au Centre de convergence pour écouter le concert de Manu Ciao ; jen entends quelques notes sur le portable dun copain. Impossible de se parler, trop de bruit, et difficultés à utiliser les portables
Saturation du réseau ou brouillage ?
Jeudi 19 - Sur la Place Brignole, durant la nuit, de longs containers ont été placés tout autour, ainsi que dans certaines petites rues, et au début de la rue permettant daccéder au centre de convergence (mais le passage reste possible). Tous les magasins sont fermés, pas de clopes, pas deau en vente. Les vitrines des magasins, agences, bureaux officiels situés dans les rues entourant le centre de convergence sont protégées par des panneaux de bois.
Rencard collectif au centre de convergence. Un immense parking en bord de mer, sans accès aux plages, fermé par des rochers nauséabonds. Deux entrées, dont une près de la scène musicale.
Des tables dans une partie du lieu, certaines protégés sous la grande bâche abritant aussi un self, un resto, des buvettes
Plus vers la scène, des stands politiques dont celui du GSF où on sarrache le plan militant de Gènes. Face aux tables, un stand de Clandestino, donnant des sachets-repas aux sans-argent (mais pas plus dun par personne), et le bedding fournissant des listes de lieux dhébergement.
Tout est propre, il fait chaud, des groupes de Socialist Worker séchauffent la dialectique et sapplaudissent mutuellement. On voit quelques individus dAttac, dAct-up en tee-shirt, des kurdes
A 17h, la manif des sans-papiers part du centre de convergence, je cherche les sans-papiers ; cest plutôt une première parade des anti-mondialisations. Divers cortèges dont entre autres : la rete Lilliput, cathos du GSF, la main peinte en blanc tendue vers on ne sait quoi, très « anti-débordement », SudRibelde, regroupant des centres sociaux ralliés à la dernière minute aux Tute et prônant une désobéissance incivile », les No Pasaran à peine sortis du train avec une banderole, quelques cénétistes drapeaux au vent, etc
Mais pas les Tute Bianche qui paraît-il, travaillent « industriellement » le plexiglas (pour les boucliers). Sur les côtés, ici comme ailleurs des têtes connues, et déjà beaucoup de flics au contact des manifestants. Des génois aussi dans les petites rues, visiblement mal à laise, et inquiets. Inquiétude crée par lEtat italien dans une stratégie de la tension avec des attentats très probablement issus des milieux fachos, et surtout avec les flics qui ont dramatisé la situation et encouragé les habitants du centre de la ville à partir.
Manif sans autre intérêt que de se voir et se compter. Le soir, au GSF, les derniers arrivés sactivent pour intégrer tel ou tel groupe pour laction du lendemain. Ceux qui décident de défiler avec les Tute Bianche, se hâtent de rejoindre leur camping au stade Carlini
sous un orage cacophonique et déferlant qui noie le centre de convergence. Nous décidons de nous séparer le lendemain entre le cortège Black Block et le cortège Tute Bianche.
Une info marrive quelques heures après : il faudra rejoindre le stade Carlini assez tôt dans la matinée.
Vendredi 27 - Réveil difficile. On vérifie notre tenue, on prend du sérum phi (damned, on a oublié le citron !), les foulards, des sacs plastiques pour les papiers
Départ vers le stade Carlini sous un soleil de plomb, plus de bus sur la Place de Brignole qui sera bientôt interdite (daprès les infos données à la télé locale).
A lheure prévue, nous entrons dans le stade Carlini. On accède dabord à un espace étroit et long remplie de tentes. Après, une immense bâche abrite du soleil des centaines de sacs de couchages
et des groupes de gens découpant et scotchant des protections pour les bras, les jambes, le torse, filles et garçons indifféremment. Larrivée sur la partie centrale du stade est absolument impressionnante : des bruits, des voix hurlant au mégaphone des consignes « camarades, nous ne partons pas encore, alors reposez-vous ». « nous rappellons aux camarades que nos moyens sont ceux de la désobéissance civile, alors protégez toutes les parties de votre corps de manière autonome, pas de barres, ni de bouteilles ; si vous voyez des gens en possédant, veuillez les éloigner du cortège ! ». Cette consigne est donnée en français, anglais, espagnol. Le ton est donné.
Des milliers de manifestants sont assis dans les gradins, autour de la gigantesque tente, debouts, des centaines dentre eux achèvent de confectionner leurs armures de mousse, bouteilles de plastique, les bouées de sauvetage passent de main en main, les casques de moto, intégraux ou non, de chantier, les masques à gaz
masquent les têtes.
Au milieu, une rumeur perce la cacophonie : celle des « compagni » sexerçant à tester les boucliers en plexiglas, sur roulette. Chaque assaut est applaudi par les gens présents. Dautres interventions sont faites au mégaphone : « Des heurts se déroulent en ce moment. Il y a des arrestations ». On pense à nos potes défilant avec le Black Block. Coup de fil
ça na pas encore commencé. Démenti au mégaphone : « Linfo était fausse. On ne vous donnera maintenant que des infos vérifiées ».
On croise des militants anti-fascistes français un peu déçus de ne pas avoir les protections permettant daller au « front ». Il fait de plus en plus chaud. Soudain, vers 12h, une voix féminine annonce que le départ aura lieu dans une heure. Les consignes précédentes sont répétées. On en informe les permanents de Samizdat qui nous apprennent que Attac sest fait matraqué et que les heurts ont commencé au niveau du cortège du Black Block. En outre, lalliance entre BB et Cobas a vécu (alliance tactique pour le moins surprenante entre lautonomie de classe et les « noirs ». Les BB attaquent leurs objectifs.
Peu avant le départ du stade, les boucliers, à roulette, latéraux et individuels sont remontés en haut des gradins, la sortie se faisant par là.
Bientôt le cortège sébranle, 15000 personnes, avec les Tute Bianche dont la LCR, les jeunesses communistes, les basques etc. En tête, derrière les boucliers frontaux et latéraux, 500 à 600 personnes en tenue de gladiateur, puis un millier de courageux, moins bien outillés, et après le cortège des organisations. Au milieu, courent les groupes anti-lacrymogènes poussant des caddies remplis de bouteilles etc,
Une nouvelle consigne est donnée enjoignant ceux et celles qui ne « se la sentent pas » ou qui nont pas de matériel de quitter la tête de cortège.
Et cest la longue descente en direction des voies de chemin de fer. Dun immeuble, une habitante fait descendre à laide dune corde une bouteille deau sous les applaudissements de la foule
On retrouve nos copains qui ont décroché du cortège des BB. Fatigués et déjà pleins de gaz. Une voiture finit de brûler. Cest notre lieu de retrouvaille.
Le cortège avance dans une rue très étroite fermée à droite par un haut mur. Les heurts côté Tute Bianche commencent. La foule panique et commence à courir. On met en place les foulards contre les lacrymos qui pleuvent.
Consigne est donnée de se replier dans le calme, du camion de Ya basta. A ce moment, apparait de fait une cassure dans le cortège entre ceux qui veulent avancer vers la ligne de front formée des 500 personnes derrière les boucliers et la majorité du cortège qui a manifestement peur.
Les lacrymos créent à nouveau la panique parmi les manifestants. On décide de sortir du cortège à cause des réactions de la foule et par une petite rue, on tente de rejoindre la tête de manif. Course puis arrivée sur une place où à gauche quelques Tute Bianche tentent de maintenir lassaut des flics avec leurs boucliers. Dautres lacrymos sont jetées : on narrive plus à résister à la douleur et à la suffocation. A droite, un car de flics brûle près dun tunnel. Une centaine de manifestants courent en tout sens, certains renvoyant les lacrymos aux flics. On décide davancer car les copains assurant la communication nous annoncent quun groupe de Tute Bianche a réussi à percer un cordon de flics et quils appellent le cortège à sy rendre le plus vite possible. Nouvelles lacrymos, on est obligé de décrocher, on quitte la place par le tunnel envahi de gaz. Le cortège de la désobéissance na pas suivi. Les Tute Bianche ne sont pas passées. Les infos données par Samizdat sont dures : on parle de deux morts et dun flic gravement touché.
De lautre côté du tunnel, beaucoup de manifestants crachent et pleurent. Dans la fumée des lacrymos, on croise un groupe qui vient de « brûler » la prison. Dune épicerie, des gens sortent des bouteilles deau et des yaourts.
On rejoint le cortège qui stagne presque au même endroit. Les Tute bianche semblent débordées. Du camion, on apprend que les camarades de tête ont réussi à se regrouper, quils se replient pour se reposer un peu. Les caddies foncent en tête avec leau et le citron
La « leader » de Ya Basta appelle le cortège à reculer à cause de charges que nous ne distinguons pas. On sénerve un peu devant cet appel.
Du matériel est distribué du camion : on sy précipite pour essayer de récupérer des masques à gaz. Mais celui quon nous donne est rempli de sang qui nous coule sur la main
Nouvelles charges des flics qui entreprennent de faire remonter la manif vers le haut de la rue. Ironie de lhistoire, cest la LCR qui se retrouve en tête de manif, peu à laise et pressée de décrocher. Image là totalement flippante des ligards en chaîne
Japerçois un copain de Padoue et lui demande des infos sur ce qui va suivre. Les bras men tombent quand il me répond que la manif se replie à Carlini. Pas dautre dispositif na été prévu. cest la déroute amère, et teintée de haine envers le Black Block. Beaucoup de blessés parmi les Tute Bianche qui ont été massacrés par les flics.
Les engueulades se multiplient entre les groupes. Melucci, chef des cobas de Rome et de lautonomie de classe est à lhôpital, après avoir été frappé.
On sort du cortège, un copain à nous a passé deux fois la zone rouge, on se regroupe pour aller au centre de convergence.
Halte chez des copains génois devant leur « boîte à image ». Images de lassassinat de Carlo. La télé locale annonce quune manif est en cours là où il a été tué. En fait, sur place, il ny a que quelques personnes, certaines font le signe de croix. A terre, des pots de fleurs qui semblent avoir été piqués à un bar, remplissent lespace dessiné par les traces de sang et les bougies allumées. La nuit est tombée. Les hélicos tournent sur la ville, lun dentre eux passe et repasse au-dessus de nos têtes. Les doigts se lèvent. Un mec décide tout seul dempécher les voitures de passer près de lendroit où Carlo est mort et confectionne une barricade avec les poubelles.
On a les boules. Deux dentre nous décident de retourner au centre de convergence pour demander aux gens de venir à cet endroit.
Sans succès. Cest comme si une partie des gens ne savaient pas ou refusaient de comprendre. Fatigue ? Peur dautres débordements ?
Au centre de convergence, on mange, on dort, on discute, et certains sont très inquiets pour la suite.
Autour, les immondices samassent, lorage a laissé des flaques deau qui stagnent, et la charge des flics dans le centre a accru la désolation du lieu.
Samedi 21 - Retour au centre de convergence. La tension est palpable. Les conneries dune partie des Black Block occupent toutes les conversations. On parle de flics déguisés, de provocateurs.
En fait, cest surtout le samedi quils semblent avoir été en action. Nous étions sûrs pour notre part quune grande partie du Black Block était parti de Gènes la veille au soir.
Dès 13h15, les premières lacrymos pleuvent sur la rue où se trouve le centre de convergence. Le cortège est coupé en deux, une partie dans la rue Casaregis, lautre dans le corso Torino. Des heurts violents ont lieu près du centre. Les deux cortèges sont régulièrement grenadés et matraqués par les flics dont lobjectif est daccélérer larrivée de la manif à Ferraris.
Les manifestants crient, « génova libera », « assassini » ; les plus pacifistes tendent les bras au mot de « pas de violence ! ».
Les charges sont très violentes, les flics très agressifs. Des barricades sont montées après les deux tunnels derrière Brignole. Une partie des manifestants se montrent très hostiles envers ceux qui cassent quelques vitrines ; une mini-embrouille avec un génois qui nous accuse « de salir sa ville » fait monter la tension que nous ressentons.
A travers les tunnels, une centaine de flics sont visibles dans un halo de lumière crée par la réverbération du soleil sur leur uniforme.
On sent que la charge est imminente. On préfère décrocher vers Brignole. Il est 19h.
On napprendra que le lendemain que le centre des média et lécole située à proximité ont été dévastés par les flics. Que des perquisitions ont eu lieu. La criminalisation commence
Maria