Toujours ce samedi 21, en fin de soirée, dans l'école Diaz - le centre névralgique du Genoa Social Forum -, un petit groupe de médecins et d'aides-soignants, volontaires pour apporter les premiers soins lors des manifestations, prépare une conférence de presse pour le lendemain. Ils entendent dresser la liste des nombreuses violences auxquelles ils ont pu assister pendant deux jours.
Elle est déjà longue, leur liste : des policiers qui brisent les vitres des fourgons transportant des blessés, balancent une grenade lacrymogène à l'intérieur et confisquent les documents professionnels des médecins ; un policier qui matraque à plusieurs reprises les jambes d'un manifestant déjà très mal en point dans une ambulance, pendant que ses collègues éloignent les services de soins ; des gendarmes qui frappent sans discernement tous les manifestants et un caméraman en faisant le " V " de la victoire, etc.
La liste va s'allonger encore pour devenir interminable. " Des policiers par centaines, tous vêtus de leurs combinaisons antiémeutes, sont arrivés, raconte Enrico Cordano, coordinateur des médecins. Ils ont commencé à frapper sauvagement les gens qui se trouvaient dans la rue. Nous étions aux fenêtres, paralysés par l'horreur. Les policiers ont démoli le portail de l'école Pertini, juste en face de notre centre, et ont pénétré dans les lieux où étaient hébergés ceux qui n'avaient pas trouvé d'autres endroits où dormir. Ensuite, pendant une heure, nous avons entendu des cris terrifiants et des supplications très fortes qui provenaient de l'intérieur du bâtiment. Entre-temps, les policiers nous ont retenus enfermés dans notre salle et nous n'avons pas pu nous approcher pour soigner les victimes. "
Egalement présente sur place, Luisa Morgantini, parlementaire européenne du Parti de la refondation communiste (PRCI), a décrit, dans le Manifesto du 25 juillet, cette descente d'une violence proprement inouïe. " Nous sommes entrés dans l'école seulement quand la police en est repartie. Il restait quelques filles et garçons, hébétés ou en pleurs. Au deuxième étage, il y avait du sang partout, sur les murs, par terre, sur les fenêtres. Des images de la Palestine, du Chili et de l'Argentine me revenaient. Effroi, douleur, rage, impuissance. Jamais je n'ai ressenti comme cette nuit-là la perte de tout droit, ici, dans mon pays, en Italie. Cela a été un coup d'Etat, avec la police au-dessus de toutes les lois. Les avocats, les médecins, les parlementaires n'existaient plus, il ne restait que la police et nous, nous étions leurs jouets. Il y avait, chez eux, la volonté de casser et d'arrêter un mouvement qui présente une alternative. La volonté de nous terroriser. Et tenter une fois de plus d'emprunter la route des années de plomb. "
Que cherchaient les policiers ? Une heure et demie à peine avant ce blitz " à la chilienne ", la Sette, une chaîne de télévision privée, mais n'appartenant pas au groupe Mediaset de Berlusconi, a diffusé un très troublant film du réalisateur italien Davide Ferrario. On y voit un policier cagoulé, déguisé en " anarchiste ", donner des ordres à une escouade de policiers en tenue de combat. Or, les deux écoles, cibles des violences policières, font office de centre de presse du Genoa Social Forum depuis une semaine. Les militants qui alimentent Indymédia - le réseau de sites Internet de contre-information, né pour couvrir Seattle - y ont installés leurs quartiers généraux. D'autres médias italiens, plus ou moins alternatifs, ont fait de même. Des journalistes y traînent à longueur de journée. Dès lors, les raisons invoquées par les autorités italiennes pour justifier cette " perquisition " - " le Genoa Social Forum abrite des membres du black bloc très violents " - apparaissent peu crédibles. Pendant quelques jours, les policiers ont fait des descentes chez les photographes et cameramen pour saisir les images existantes. Ils ont profité de l'assaut dans les deux écoles pour s'emparer de toutes les listes des volontaires du Genoa Social Forum, des médecins et des avocats. D'une pierre deux coups, les forces policières ont tenté de terroriser les militants et de bâillonner les médias. Un journaliste anglais d'Indymédia a été grièvement blessé et reste, depuis lors, dans le coma. Un reporter d'un quotidien bolognais, qui dormait sur place, a été agressé - bras fracturé et blessure à la tête - avant d'être arrêté. … côté de la centaine de blessés et les 96 arrestations, on compte 16 journalistes victimes, tout comme les militants qui n'avaient absolument rien à se reprocher, de ce carnage prémédité.