Le carré de tête, avec des personnalités politiques, syndicales et associatives, venues de toute l'Italie et du monde entier, vient à peine de se former. Ce samedi 21, vers une heure de l'après-midi, le départ de la gigantesque manifestation, qui rassemble 300 000 personnes dans les rues de Gênes, va être donné. Et c'est alors qu'une pluie de grenades lacrymogènes s'abat sur la tête du cortège.
Exaspérés par une vingtaine de jeunes qui crient " Assassins, assassins " à leur encontre, mais complètement hors de portée, les policiers comme la veille, tirent dans le tas, visant sans distinction les manifestants. Les forces de police ont, avec soin, attendu - voire favorisé - que les bandes de " violents " se rapprochent des rangs des cortèges programmés par cette gigantesque plate-forme commune qu'est le Genoa Social Forum pour charger, utiliser leurs matraques et tirer des gaz lacrymogènes à l'horizontale. Les témoignages de militants, blessés lors de ces véritables opérations de maintien du désordre, commencent à s'accumuler.
Les pacifistes de la Rete Lilliput lèvent leurs mains peintes en blanc vers le ciel. Quelques " noirs " rôdent dans les parages, ils s'approchent, petit à petit, et la police fonce dans le tas, en faisant tournoyer les matraques. Les Tute bianche et les jeunes communistes ont été chargés par des blindés roulant à vive allure. Raphael, militant de AARRG (apprentis agitateurs pour un réseau de résistance globale), a été très durement frappé à la tête lors d'une action non-violente. " Les coups ont été si violents qu'ils m'ont ouvert le cuir chevelu, la face et ont fait exploser les vitres de mon masque à gaz, explique-t-il. J'ai perdu connaissance. Les secours m'ont réanimé et m'ont emmené à l'hôpital Galliera. Les médecins affichent leur connivence avec la police puisqu'ils m'ont fait trente points de sutures à vifs, en me disant : " Tu es un martyr de la révolution ".
Autre victime de cette répression qui n'a rien d'aveugle : Luca, un jeune étudiant en journalisme, qui filmait les cortèges du vendredi. Une brutale charge de la police le surprend et, en tentant de s'échapper, il tombe à genoux. Il lève les mains et les gendarmes lui volent dessus. Ils lui démolissent le visage et la caméra, les coups pleuvent sur sa colonne vertébrale et sur les jambes. " J'ai vu des gens qui voyaient ce qui se passait, mais qui ne pouvaient pas intervenir, tellement ils paraissaient terrorisés, dit le jeune homme. Après, c'est comme si les policiers et les gendarmes se disputaient mon corps, comme si c'était un jouet. J'avais une main dans la menotte d'un gendarme et l'autre dans celle d'un policier. J'ai cru qu'ils allaient m'écarteler... " Lors de la grande manifestation du samedi 21, les forces de police ont volontairement cherché à susciter une panique dans une foule rassemblant des centaines de milliers de personnes. Fabrizio, un jeune ligure de la Rete Lilliput, a cru que, sa femme et lui, ils allaient y laisser leur peau. " Des véhicules blindés, remplis de gendarmes, fonçaient dans la masse et les gens se sont mis à s'enfuir en courant dans le désordre le plus total. Et là, ils ne pourront jamais dire qu'ils poursuivaient des cagoulés vêtus de noir : ils étaient complètement absents de notre partie de cortège à ce moment-là. "