28 Juillet 2001 - INTERNATIONAL

Le témoignage de Vincent, battu jusqu'à la torture

Casqués, armés de matraques et équipés pour la guérilla urbaine, les gendarmes en escadron approchent. Etudiant en histoire africaine, Vincent, militant d'AARRG (Apprentis agitateurs du réseau de résistance globale) et manifestant au sein d'un cortège non violent - celui de la Pink Marche -, s'assied par terre et lève les bras. " Pour signifier notre pacifisme ", dit-il. Avec quinze de ses camarades, vendredi 20, en milieu d'après-midi, il vient de s'engouffrer dans une ruelle génoise pour fuir les heurts entre les " violents " cagoulés et les policiers.

Vincent et les autres ne menacent rien ni personne. Ils lèvent les mains en l'air et les policiers répondent par un matraquage en règle pendant cinq minutes. Assis à une extrémité de la chaîne ainsi constituée, Vincent en est extrait, isolé pour être frappé pendant plusieurs minutes. " Il y a eu une accalmie pendant laquelle je me suis levé et j'ai dit qu'il fallait se calmer, indique-t-il à l'Huma. Ils m'ont remis à terre avec les autres. Un des policiers s'est mis en travers pour empêcher certains de ses collègues de nous taper à nouveau. Il n'a pas tenu très longtemps puisqu'ils nous ont retapés en visant l'entrejambe et la tête. "

Repus, les policiers finissent par partir. Vincent et ses camarades, la tête ensanglantée, rejoignent une artère principale et montent dans une ambulance. Arrivé à l'hôpital, Vincent subit différents examens. On le soigne. Les médecins le placent ensuite, avec les autres, dans une pièce où ils doivent, leur dit-on, remplir " des formalités administratives ". " Petit à petit les policiers sont devenus plus agressifs, continue Vincent. Nous avons demandé à voir un avocat. Deux avocats sont venus, nous ont parlé en italien et sont repartis au bout de deux minutes. Puis chacun de nous a été emmené par deux policiers jusqu'à une voiture qui nous a conduits au centre de rétention de Bolzaneto. Après le contrôle d'identité, Ils m'ont confisqué mes papiers et j'ai été placé dans une salle où il y avait une vingtaine de détenus. "

Et c'est alors que le calvaire, déjà bien entamé, prend toute son ampleur. " Les policiers nous ont ordonné de mettre nos mains contre le mur et nous ont interdit de regarder en arrière. Pendant au moins quatre heures, ils m'ont donné des coups de pieds dans les jambes et dans le dos. … un moment, un médecin est venu me voir. Il m'a donné une compresse car on voyait mon sang couler le long du mur. Puis ils ont repris et m'ont à nouveau frappé alors que je demandais à voir un avocat. … côté de moi, des jeunes avaient les mains menottées. Les policiers venaient régulièrement pour les serrer de plus en plus fort. J'ai ensuite été pris en main par un policier très costaud qui m'a dit : "Petite merde de Français, tu vas souffrir." " Pendant une heure, ce policier fait subir à Vincent des torsions de bras et lui envoie des coups de pied et de poing. " Pendant qu'il me tapait dessus, j'entendais dans les salles à côté des cris et des gémissements. Puis il m'a à nouveau changé de salle, pour jouer à un jeu avec ses collègues : ils me posaient des questions en italien et lorsque je disais que je ne comprenais pas, ils me cognaient dessus. "

Vincent est ensuite conduit dans un couloir où se tiennent une soixante de carabiniers. " Ils m'ont fait parader dans le couloir, et à chacun de mes passages, ils me donnaient des coups de pieds et des coups de poing. " Ses tortionnaires l'amènent plus tard dans une salle pour prendre ses empreintes, sa photo, son identité. " La situation était surréaliste. Pendant que je remplissais ces formalités administratives, les secrétaires ne paraissaient aucunement gênées par le policier qui continuait à me faire des torsions de bras. Ils ont voulu me faire signer une feuille avec uniquement mes empreintes. J'en ai déduit qu'ils pouvaient ensuite écrire n'importe quoi comme déposition. J'ai refusé de signer. " Les policiers proposent alors une nouvelle déclaration à Vincent. Il était écrit dessus qu'il était sorti du centre à 23 h 30, alors qu'il était déjà plus de minuit. Il demande à ce qu'on lui traduise le texte. Tout en continuant à lui donner des coups, un policier esquisse une vague traduction. … bout, Vincent signe ; il est remis en liberté. En le jetant dehors, sans lui rendre ses papiers, les policiers lui crient : " Toi, mon gars, si on te revoit, on te tue ! " Vincent prend la menace au sérieux. " Je ne sais pas comment j'ai fait pour tenir. … un moment donné c'était tellement surréaliste que je restais calme, pacifique. Ils m'ont tellement frappé que je ne sentais plus mon corps. Le lendemain j'avais tout le visage qui avait enflé de deux à trois centimètres. Mes yeux et leurs contours étaient violets. "