L'onde de choc de la sauvagerie policière, qui a fait couler le sang l'autre semaine à Gènes, n'est pas près de s'évanouir. Les images émises depuis la cité ligure ont dépassé l'imaginable dans un pays de l'Union européenne se réclamant, comme tel, des valeurs de la démocratie. Et pourtant, tous les témoignages que nos envoyés spéciaux ont recueillis sur place, renvoient au souvenir des scènes de répression dignes des anciennes dictatures sud-américaines. Nous ne comparerons jamais pas l'Italie d'aujourd'hui au Chili de Pinochet ou à l'Argentine de Videla, mais les tirs à balles réelles, la mise à sac d'un centre de presse, la torture, dont nombre de manifestants pacifistes ont été victimes, les arrestations, accompagnés de coups, de journalistes - l'un d'entre eux est encore dans le coma - ont un relent de déjà vu là-bas. La mort du jeune Carlo Giuliani, abattu à bout portant puis écrasé par un véhicule blindé, demeurera le symbole d'une machination polico-policière, premier fait d'arme de la coalition droite-extrême droite au pouvoir. Car on retiendra aussi de ce massacre planifié, l'air satisfait, le sourire vainqueur de Silvio Berlusconi, sur les décombres de Gènes, avant même que le sang eût disparu des murs du siège du Genoa Social Forum. Alors, on ne peut en rester là.
Les témoignages commencent à affluer. Des milliers de manifestants, Italiens en majorité, mais aussi Français et d'autres pays européens ont subi des violences, ont été témoins d'actes inqualifiables, ont vu des policiers s'infiltrer dans certains groupes pour les manipuler, encourager leurs actions de vandalisme, les rapprocher, par d'habiles manouvres militaires, des cortèges pacifiques afin de pouvoir tirer dans le tas. Beaucoup de pièces à convictions tendent à démontrer qu'il y eut à Gènes à une opération menée de haute main par le pouvoir. Pour ternir l'extraordinaire mobilisation qui drainait tant de manifestants contre la mondialisation capitaliste sur le lieu même où se réunissaient cette sorte de directoire du libéralisme qu'est devenu le G8. Dans cette tentative le pouvoir a échoué, puisque 300 000 personnes ont défilé samedi en pleine période estivale pour une autre gestion du monde, faite de partage, de développement humain, de sauvegarde de la planète. Mais il a porté un coup terrible à la démocratie.
Oui, le procès du complot de Gènes doit être instruit, afin que les responsabilités puissent être établies, dussent-elle désigner directement Berlusconi. Francis Wurtz, au nom des députés européens de la Gauche unitaire, a saisi la présidente du Parlement de Strasbourg pour qu'une enquête soit diligentée. En Italie, les communistes, avec Fausto Bertinotti, très actifs dans la mobilisation génoise, ont réclamé, avec toute l'opposition, une investigation parlementaire que la majorité berlusconienne a, en toute logique, rejetée. Mais le Cavaliere ne pourra rien n'y faire : l'enquête sera menée, par le mouvement lui-même, par les victimes de la répression, par les associations qui défilaient à Gènes. L'appel à témoins ne fait que commencer. L'Humanité entend bien y prendre toute sa part. Pour que la clarté soit faite sur le crime des comploteurs de Gènes.