Les média et les commentateurs officiels, relatant les événements de Gênes,ont focalisé sur les affrontements et les destructions, faisant passer au second plan le message, les motivations profondes et les objectifs des manifestant-e-s. De plus, ils n'ont pas hésité à désigner les responsables de la violence et des saccages : les anarchistes. Qu'en est-il ? Que voulaient les manifestant-e-s anti-G8 ?

Les 20, 21, et 22 juillet dernier, s'est tenu à Gênes le sommet du G8,
réunissant les 8 pays les plus puissants du monde. Face à ce sommet se sont
mobilisées des dizaines de milliers de personnes d'horizon divers
(associations, syndicats, mouvements politiques ou simples individu-e-s se
sentant concerné-e-s par l'évolution du monde).

Les média et les commentateurs officiels, relatant les événements de Gênes,
ont focalisé sur les affrontements et les destructions, faisant passer au
second plan le message, les motivations profondes et les objectifs des
manifestant-e-s. De plus, ils n'ont pas hésité à désigner les responsables
de la violence et des saccages : les anarchistes. Qu'en est-il ?

Que voulaient les manifestant-e-s anti-G8 ?

Environs 200 000 personnes se sont rendu à Gênes pour s'opposer à la réunion
du G8. Au-delà de leur diversité, ces femmes et ces hommes avaient en commun
de contester la légitimité de ce sommet. Elles/ils refusaient qu'une poignée
de dirigeants se réserve le droit exclusif de prendre, en huis-clos, des
décisions concernant l'ensemble de la population de la planète. Elles/ils
refusaient l'hégémonie arrogante et uniformisatrice du capitalisme
ultra-libéral imposé par ces chefs d'état et le fait que soient
systématiquement écartées des débats toutes conceptions sociales et
économiques, toutes visons de l'humanité et de la vie, ne rejoignant pas ce
modèle unique. L'objectif des manifestant-e-s était donc de faire entendre d
'autres voix et connaître d'autres projets humains, d'autres conceptions de
l'existence. Une proportion non négligeable des manifestant-e-s étaient en
outre venue avec le but clairement affiché d'empêcher la tenue d'un sommet
non représentatif des aspirations réelles de la majeure partie de la
population mondiale.

Que veulent les anars ?

Au sein de ce mouvement de contestation, les militant-e-s anarchistes
apportent certaines revendications et propositions originales ainsi que
certaines méthodes d'action spécifiques. Ses propositions et méthodes sont
souvent méconnues du grand public ou déformées.

S'il est vrai que les anarchistes prônent la désobéissance civile et l'
action directe, ces conceptions ne sont pas synonymes de violence ou de
désordre.

- La « désobéissance civile » n'est pas une forme de délinquance mais le
principe selon lequel toute personne peut légitimement s'opposer à des
décisions injustes et destructrices, quand bien même ces décisions seraient
prise par des autorités « démocratiques ». Le respect de la vie et de la
dignité des personnes est au-dessus de l'obéissance aux lois et aux
institutions. Dans certaines circonstances, la désobéissance est un devoir
de la conscience libre et responsable. Les anarchistes refusent de se
soumettre à des institutions qui ne représentent en réalité qu'elles-mêmes
et les intérêts étroits d'une minorité de privilégiés et de détenteurs de
monopoles.

- L' «action directe » n'est pas une forme de terrorisme mais une méthode d
'action où les choix sont faits et assumés par les personnes intéressées
elles-mêmes. Contrairement à d'autres composantes du mouvement
anti-globalisation », les anarchistes ne demandent pas à être
consulté-e-s » par les décideurs, ils ne demandent pas à être intégré-e-s à
des institutions dans lesquelles ils/elles ne se reconnaissent pas, ni à
participer aux mécanismes du pouvoir. Ils/elles veulent que soient restituée
à chacune et à chacun la liberté réelle de choisir sa vie, d'élaborer et
mettre en ouvre des choix collectifs par la base, sans délégation d'autorité
ni hiérarchie interposée. Le principe de l'action directe peut inspirer des
démarches très diverses, de la création d'une bibliothèque autogérée à l'
occupation d'un immeuble vide en vue du relogement de familles sans
domicile, en passant par le blocage d'un sommet comme le G8. Mais il s'agit
toujours de rendre les personnes actrices à part entière du processus de
création sociale, de redonner à la population les moyens de concertation, de
prise de décision et d'action, actuellement accaparés par une minorité de
professionnels de la politique et de technocrates.

Un idéal positif et créateur

Ces méthodes d'action s'inscrivent dans un projet plus vaste : la
construction d'une harmonie sociale sans domination, valorisant et
épanouissant la personnalité unique de chacune et de chacun. Contrairement
aux poncifs qui circulent à ce sujet, les luttes dans lesquelles s'
inscrivent les militant-e-s anarchistes ne sont pas uniquement
oppositionnelles ou réactionnelles. L'anarchie ne fait pas que dire « non »
et dénoncer, elle propose un autre projet de vie.
Ainsi, les anarchistes d'aujourd'hui ne se contentent pas de critiquer le
système, elles/ils explorent des alternatives concrètes fondées sur la
solidarité et la libre entente (SEL, comités de quartier, lieux de vie,
coopératives, écoles autogérées, média indépendants.). Elles/ils
expérimentent de nouvelles conceptions éducatives, économiques, culturelles,
de nouvelles conceptions des relations humaines, basées sur l'égalité, l'
autonomie, le refus de toute discrimination et de toute hiérarchisation.
S'appuyant sur une conception élevée de la personne humaine et de ses
capacités d'évolution, les anarchistes pensent que toute femme et tout homme
est capable - par l'éducation, la transformation de son contexte social et l
'effort personnel - de changer de comportements, d'apprendre progressivement
à vivre en cohérence avec ses semblables sans gouvernement. Les anarchistes
ne sont pas des partisan-e-s du chaos, au contraire, ils/elles veulent
construire une société où les personnes n'ont plus besoin d'autorité pour
réguler leurs relations parce que, se hissant à un niveau élevé de qualité
humaine et d'autodiscipline, leur conscience et leur respect de l'autre sont
devenus leur seule autorité. En remplaçant le « chef » par la conscience
personnelle, l'anarchie ne fonde pas le désordre mais le plus haut degré de
l'ordre : la fraternité des individus libres.

Pour les anarchistes, c'est la société actuelle qui est chaos. Chaos
organisé, policé, institutionnalisé, bref « civilisé », mais chaos tout de
même. Ils/elles veulent remplacer cet ordre barbare - ordre du plus fort, du
plus manipulateur, du plus démagogique. - par une société où se décident en
commun les orientations collectives, une société d'individu-e-s s'associant
volontairement et librement dans un esprit de complémentarité, de partage
authentique et d'entraide non imposée, sans rapport avec le collectivisme
forcé et bureaucratique du socialisme d'Etat.

Et la violence dans tout ça ?

Le projet anarchiste vise à mettre fin à la violence, sous toutes ses
formes. Les anarchistes aspirent à une forme profonde de réconciliation
sociale par l'abolition des classes, des inégalités et des discriminations
génératrices de violence. Elles/ils ne considèrent pas pour autant qu'il
faille, au non de la « non-violence », capituler devant un système
autoritaire et injuste. Les anarchistes refusent une conception de la
non-violence » qui serait en fait une soumission à la violence économique
et institutionnelle. Face à la violence du système, ils/elles font le choix
de se défendre et de défendre leur projet social alternatif, non par goût de
l'affrontement mais par nécessité.
S'il est vrai que des militant-e-s anarchistes optent, dans certains
contextes et de façon non systématique, pour le rapport de force et le
recours à certains moyens offensifs, cette violence est souvent dérisoire
par rapport à la violence directe, ou sournoise, exercée au quotidien par
les détenteurs du pouvoir économique et financier, par les forces de
répression qui protège « l'ordre » mondial. Face aux quelques vitrines
cassées à Gênes, des populations sont expulsées de leurs terres pour que des
compagnies commerciales s'y implantent, des cultures vivrières sont
détruites pour faire de la place aux productions occidentales, des milliers
de gens sont exploités, réduit à la disette et à la précarité à cause des
choix économiques et monétaires qu'on leur impose, des ressources sont
pillées pour le profit d'une minorité, pour que fonctionne notre société de
consommation à outrance, des femmes et des hommes sont exclus de tous
processus de décision et de création, confiné-e-s dans des rôles de
consommateurs passifs ou traité-e-s en esclaves ou en marchandises, nié-e-s
dans leur humanité même, etc.

C'est pour tenter d'occulter cette violence omniprésente que les projecteurs
sont braqués sur celle des « casseurs » par les détenteurs du pouvoir et de
la puissance.
Cette manipulation du réel, visant à criminaliser les opposants à la
barbarie capitaliste et étatiste, a franchi plusieurs degré à Gênes.
Pourtant, les faits parlent d'eux-mêmes : un mort - tué à bout portant de
deux balles dans la tête -, 600 blessé-e-s dont certain-e-s gravement, des
centaines d'arrestations, des sévices gratuits et sadiques infligés aux
personnes arrêtées, des humiliations, des menaces de mort ou de viol, des
privations de toutes sortes, etc.
Le but de ces exactions est clair : dissuader, effrayer, briser toute
velléité de révolte ou d'opposition, mais aussi créer un climat de guerre
civile, afin de susciter dans l'opinion un besoin sécuritaire et de
légitimer a posteriori une violence d'état hors de proportion.

Il ne s'agit pas de nier que des anarchistes font le choix d'affronter
violemment les forces de l'ordre ou de s'en prendre à des bien matériels ou
des bâtiments symboliques (banques, concessionnaires de voiture de luxe,
succursale de sociétés transnationales connues pour leurs mépris de la vie
humaine et de la nature, etc.), mais de rappeler que, d'une part, ce choix n
'est pas représentatif de l'ensemble du mouvement libertaire mais de groupes
affinitaires particuliers. D'autre part, que ce choix est évidement sujet à
débat, que l'on peut l'approuver ou le désapprouver, mais qu'il est
malhonnête et méprisant de le réduire à de simples actes gratuits de
défoulement ou de pulsion destructrice. Ces actes manifestent à leur manière
le refus de la réalité actuelle et une aspiration authentique à une autre
réalité, une autre société. Enfin, il n'est pas inutile de rappeler que
certaines violences commises soi-disant par les anars le sont en fait par
des policiers infiltrés, dans le but de brouiller le sens de leur action.
Pour terminer, précisons que tous les manifestants faisant le choix de l'
action offensive ou du sabotage ne sont pas des anarchistes et que certains
pillages ne sont le fait que d'opportunistes profitant du contexte de
manifestation de masse.

Les anarchistes n'entendent pas se faire passer pour des saints
irréprochables, ils/elles ont, comme tout le monde, leurs faiblesses et
leurs contradictions, et peuvent commettre des erreurs. Pour autant
ils/elles refusent d'être systématiquement diabolisé-e-s, que leurs actions
soient régulièrement caricaturées et leur espérance rendue difforme et
décrédibilisée par une propagande cynique et manipulatrice, attisant les
préjugés et la peur afin de les isoler et de diviser le mouvement de
résistance à la mondialisation capitaliste.

des anarchistes (pour l'unité du mouvement libertaire !)