Rien à perdre, tout à gagner ?
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Après plus de six semaines d'actions des chômeurs et précaires, le gouvernement commence enfin à s'intéresser aux revendications portées par le mouvement. Depuis l'arrivée de la gauche au pouvoir en juin dernier, un total immobilisme a prévalu en matière sociale. Ce gouvernement a pour principaux soucis, orthodoxie budgétaire, indices boursiers et sondages de popularité. Les mesures anti-chômeurs du gouvernement précédent, adepte discret du Workfare (projet d'un Revenu minimum d'activité), ont été appliquées avec une constance cynique parce qu'elles permettaient de réaliser des économies à bon compte. La création des "emplois-jeunes" et l'annonce d'une loi d'incitation à la réduction du temps de travail auraient été les seules dispositions nouvelles adoptées par ce gouvernement, en matière de chômage et d'emploi, si le mouvement des chômeurs et précaires n'avait pas pris l'initiative de la lutte. À réaliser les économies décidées par la droite, à promettre pour plus tard une loi contre l'exclusion en chantier depuis trois ans, la "gauche plurielle" a contribué à créer les conditions d'émergence des chômeurs et précaires comme force collective. Depuis, la manière dont Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a géré le conflit avec les chômeurs l'a, pour une bonne part, disqualifiée. La "gauche plurielle" désormais en pleine pluralisation réelle, traverse une crise gouvernementale larvée. Revenu décent, cela voudrait dire, pour AC !, instauration d'un revenu garanti pour tous d'un montant au moins égal au SMIC. Cela veut dire, dans l'immédiat 1 500 F d'augmentation de tous les minima et l'ouverture d'un droit au revenu pour les 16/25 ans, qui constituent l'axe central des revendications. La question du revenu pour tous a dès les années quatre-vingt unifié le mouvement des chômeurs et se repose de façon centrale pour tous ceux qui ne sont exclus du régime d'assurance chômage (jeunes, femmes, immigrés).
Trois avancées, Après des semaines de mobilisation intensive, le mouvements des chômeurs et précaires a obtenu trois avancées partielles sur ses objectifs et deux succès politiques, qui sont autant de reculs du gouvernement. Première avancée : dès septembre, une mobilisation de stagiaires de la formation professionnelle a été engagée contre la destruction des allocations destinées aux stagiaires. L'Allocation de formation reclassement (AFR), financée par l'État, avait vu son budget diminué de 40 % en 97. Sur 2,5 milliards de francs volés aux précaires par le gouvernement précédent, la lutte des stagiaires aura récupéré 500 millions. L'AFR, qui assurait un revenu minimum de 4 400 F à des chômeurs en formation, avait vu son niveau abaissé jusqu'à 1 500 F parmi les stagiaires ayant travaillé à temps partiel avant le chômage. Cette attaque contre les précaires a suscité une riposte (grèves, manifestations, occupations, actions spectaculaires) dans quelques villes, mobilisation que le réseau des collectifs AC ! a su relayer (interpellation de la ministre de l'emploi à Paris) et coordonner (organisation de réunions nationales des stagiaires en lutte). Grâce à la lutte des premiers concernés, le montant de l'allocation plancher est remonté à 3 168,00 F. La méthode Jospin, gagner du temps et ne lâcher qu'au compte goutte, a ainsi dévoilé ses caractéristiques avant même qu'un mouvement d'ampleur nationale n'intervienne. Deuxième avancée acquise par la lutte, pour répondre à la "détresse" des chômeurs, un fonds d'urgence sociale a été crée créée par le gouvernement. Un milliard de francs distribués par des cellules d'urgence départementales vont ainsi servir de levier pour débloquer d'autres financement dans les organismes sociaux (Assedic, DAS, CAF, Centre communaux d'action sociale, etc.). La tradition de lutte instaurée par la CGT Chômeurs dans les Bouches du Rhône a été reprise, avec plus ou moins de succès, dans 80 départements. C'est chaque année qu'une prime de fin d'année est revendiquée. Le conseil d'administration de l'Unedic a supprimé les fonds sociaux qui permettaient aux chômeurs les plus démunis de toucher des aides matérielles d'urgence (des sous !). Cette réforme des Assedic a contraint le mouvement des chômeurs et précaires à s'adresser directement à l'ensemble des organismes sociaux et à politiser la question, à exiger de l'État qu'il commence à être ce qu'il prétend : le garant des droits sociaux des salariés. Que l'Unedic se débarrasse progressivement de toute finalité sociale ne doit pas conduire à un nouvel abandon de ces droits puisque la "désocialisation" du chômeur est directement proportionnelle à la quantité de richesses qui lui est allouée. La troisième avancée regarde l'Allocation spécifique de solidarité, servie aux chômeurs en fin de droits à condition qu'ils aient cotisé cinq ans. Minimum social (et non allocation puisque calculé sur un plafond de revenu), l'ASS avait vu en janvier 1997 la radiation de dizaines de milliers de personnes. Puis, la droite a tapé dans la caisse en excluant de l'ASS des centaines de milliers de chômeurs. L'argent ainsi prélevé devait servir à financer une loi contre l'exclusion qui n'a pas vu le jour. 500 000 personnes dépendent encore de l'ASS, mais cette "allocation" n'avait pas été revalorisée depuis 1994. Le 22 janvier, elle l'a été de 7 à 10 % (après l'avoir été de 2 francs à Noël !). Mais ce que le mouvement a gagné de plus essentiel que ces mesurettes à bas coût, c'est une reconnaissance politique de fait et la mise en débat de ces minima et de l'allocation chômage. Une mise à plat des différents dispositifs est désormais prévu par l'agenda officiel du gouvernement. Après qu'Aubry ait fait l'aumône de 2 francs par jour aux allocataires de l'ASS, de 0,80 centimes par jour au million d'allocataires du RMI, rendu 500 millions pour les stagiaires AFR déjà dépensés en 97 et qui ne remettent pas les compteurs à zéro (un tiers des stagiaires AFR voient leur rémunération dégringoler à 3 168 F au lieu de 4 400), le gouvernement a décidé de faire expulser la grande majorité des occupations (Assedic, DDASS, CAS). Ce gouvernement qui s'est autoproclamé "gouvernement de gauche plurielle" a ainsi une nouvelle fois fait donner la police contre les démunis en lutte pour la dignité de millions de salariés précarisés ou au chômage. Mais Jospin va devoir réviser sa copie et revoir sa "méthode". Croire gagner la paix sociale avec une entrevue, quelques francs par chômeur officiel et quelques coups de matraques, c'est prendre le risque de propulser à nouveau le ressentiment et la xénophobie sur le devant de la scène ; c'est faire la démonstration d'une coupure irréversible entre des décideurs et ceux d'en bas, quotidiennement confrontés à la misère dans l'un des pays les plus riches ; c'est jouer les apprentis sorciers Depuis 1992 et la mise en place par l'Unedic de la dégressivité des allocations, depuis le mouvement anti-CIP, et celui de novembre-décembre 1995, depuis décembre 1996 et la renégociation de la convention Unedic par les "partenaires sociaux", l'unité d'action entre AC !, l'APEIS, les comités de chômeurs CGT, le MNCP et une multitude d'associations et collectifs locaux se renforce chaque jour sur le terrain. Au fil des batailles menées ensemble (dégressivité des allocations, fonds social, minima, droit à la formation, aux transports, à l'emploi, etc.), les revendications ou les traditions de lutte, les expériences d'action collective passent de l'une à l'autre des multiples composantes d'un mouvement protéiforme.
Ils peuvent nous expulser, ils ne Les précaires en lutte ne retourneront pas facilement à la niche de l'atomisation, à l'obscur isolement, au désespoir individuel. Depuis plus de deux décennies, les mouvements de chômeurs et précaires revendiquent l'instauration de droits sociaux nouveaux, de droits correspondants aux situations d'emploi et de survie actuels. Nous n'oublions pas les 35 expulsions policières d'Assedic occupées de l'automne 96. Avant le RMI, institué en octobre 1988, des dizaines d'associations de chômeurs et précaires avaient construit leur unité, au delà des spécificités de chacun, sur la question du revenu garanti. Le RMI n'était pas tombé du ciel comme une amabilité rocardienne consensuelle. Le RMI a été instauré pour répondre, comme savent le faire les gouvernants, au mouvement social, aux exigences de ceux d'en bas. Piètre réponse qui avait relégué à l'accompagnement individuel des chômeurs, aux marges du dispositif de traitement institutionnel et caritatif de la pauvreté, bon nombre des protagonistes du mouvements des années quatre-vingts. Maintenant, après des avertissements réitérés AC ! a été reçu 4 fois sur la future loi contre l'exclusion, et chaque fois des questions concrètes et immédiates ont été posées pour rester le plus souvent sans réponse le gouvernement continue à passer de l'ouverture au mépris sans aucune cohérence. Quand, après avoir recueilli en personne l'avis des syndicats et des mouvements de chômeurs et précaires, Monsieur Jospin débloque un pauvre petit milliard, qui espère-t-il impressionner ? Effets d'annonce, actes manqués et maintenant répression policière massive : la gauche plurielle court à l'échec. Pour vivre quotidiennement dans l'urgence sociale, nous avons appris à résister et savons désormais prendre l'initiative. Contrairement à ce gouvernement qui joue la montre, l'intox, la division et le pourrissement, une patiente ténacité nous anime. Partout on nous sourit, nous approuve, nous soutient. Croire que des mesures répressives vont inverser cette nouvelle qualité de l'existence collective, c'est encore une fois prendre un pauvre désir pour la réalité. Décidément l'imagination n'est pas au pouvoir quand un gouvernement joue la vieille scène de la force publique contre la faiblesse des démunis. L'époque nous appartient déjà en ce que nous la représentons mieux que les marionnettes institutionnelles ne sont actuellement en mesure de le faire. Sous peine d'être contraint à une très brutale réduction du temps de travail il faudra, tôt ou tard, que ce gouvernement exauce les chômeurs et précaires. | |
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