[ SAMIZDAT ]


Ceci n'est pas un journal...

Aris Papathéodorou
Pierre Peronnet
Ludovic Prieur

Ceci n'est pas un journal : c'est une occupation ! Une prise de parole non-autorisée. Une surface de papier rotative investie pour exprimer les craquements qui parcourent actuellement le réel. Alors que l'occupation est devenue pour les chômeurs et les précaires le mode d'investissement de l'espace public pour faire entendre leur révolte, il fallait bien que l'occupation s'étende à la parole, aux mots, aux images, aux signes c'est nôtre pari

* * *

La révolte des chômeurs et des précaires a surpris tout le monde. Non seulement parce que plus personne, ou presque, ne s'attendait à ce que les laissés pour compte du cours nouveau de l'économie capitaliste secouent leur torpeur et leur soumission ; mais surtout parce que personne ne s'attendait à ce que soit posée de façon aussi virulente et radicale la question du revenu, en d'autres termes, de la répartition de la richesse sociale.

D'occupations d'antennes Assedic en blocage de TGV, d'occupations de bâtiments symboliques en manifestations ou en pique-nique dans des supermarchés, la campagne de protestation s'est transformé en un véritable mouvement social. Autour de la revendication d'une "prime de Noël" pour les chômeurs, de la demande de revalorisation des minima sociaux et de celle de l'extension du RMI à ceux qui en sont exclus (en particulier les moins de 25 ans) un ensemble hétéroclite de "sujet sociaux", de parcours individuels et de destins collectifs, se sont cristallisés pour donner corps à une révolte non seulement légitime, mais aussi d'une incroyable modernité.

Ouvriers licenciés au cours des grandes vagues de restructuration et aujourd'hui réduits aux fins de droit, jeunes précaires qui n'ont jamais connu de contrat de travail supérieur à 6 mois et qui n'ont aucune chance (et peut-être aucune envie) de trouver un emploi fixe, ex-cadres dévoués ­ qui n'ont souvent jamais fait grève de leur vie ­ qui survivent désormais avec un RMI, ou encore salariés de PME-PMI débarqués par la conjoncture et contraint à l'équilibrisme entre les "aides sociales" Images d'Epinal simples, voir simplistes, mais finalement si parlantes pour décrire les multiples figures de la précarité aujourd'hui qui se sont mis en mouvement.

Ce qu'il ont tous en commun c'est d'abord la lassitude d'avoir le "pain quotidien relativement hebdomadaire" ­ pour reprendre la belle expression de Jacques Prévert ­, le désir aussi de recevoir "leur part" d'une richesse sociale dont ils sont expropriés, et qui s'exibe avec indécence dans les milliards offert au Crédit lyonnais pour éponger ses dérives financières, ou ces autres milliards offert au patronat contre la promesse d'improbables créations d'emplois C'est de toucher, par leur refus d'être des laissés pour compte, une des contradiction essentielle de notre société où le besoin en travail se raréfiant, celui-ci reste vaille que vaille le maître étalon de la citoyeneté.

* * *

Le pari de cette publication unique est, à l'image de ce mouvement, d'entrouvir un espace d'expression et de confrontation. Un lieu de rencontre entre la parole au quotidien de la lutte ­ celle qui s'exprime dans les tracts, les slognans, les communiqués, les déclarations ­ et des mots, des concepts et d'hypothèses d'intellectuels et de militants. Un instrument de capture de cette intelligence sociale qui a déjà parcouru plus de sept semaines de lutte

"Ceci n'est pas un journal, mais une occupation", disions nous au début. Peut être faudrait-il dire une première occupation. 5000 exemplaires mis en circulation dans le mouvement. Mais dans quelques jours nous occuperons aussi le quotidien italien Il Manifesto pour porter cette parole ailleurs dans l'Europe de Maastricht. Et les jours suivant qui sait




 
|   S A M I Z D A T   |   E - C - N   |   S O M M M A I R E   |