[ SAMIZDAT ]


«Chaque fois qu'un
mouvement naît,
on conteste sa légitimité»

Entretien avec Olivier Fillieule,
chercheur au CNRS (Cresal),
enseignant à l'Institut d'études politiques de Paris.

 

Comment analysez-vous le mouvement des chômeurs?

­ Le grand changement, aujourd'hui, c'est que ça marche, alors que ce type de mouvement, qui a démarré dès 1982 avec le syndicat des chômeurs créé par Maurice Pagat, n'avait jamais réussi jusque là. Pagat s'est battu pendant dix ans sans jamaisconnaître la représentativité. Nicole Notat le reçoit aujourd'hui grâce à sa légitimité historique mais surtout parce qu'il est le maillon le plus faible. Lorsque Pagat occupait les Assedic, on n'en parlait guère. Il a abandonné ce terrain pour passer au lobbying et a bénéficié du soutien des communautés chrétiennes -- ce qui n'a pas contribué à la radicalisation de son mouvement. Depuis, des associations comme AC!, le MNCP ou l'Apeis ont vu le jour.

Qu'est-ce qui a changé?

­ Le contexte... En 1982, la gauche n'avait pas encore pris le virage de la rigueur. Ensuite, la campagne présidentielle de Jacques Chirac a suscité beaucoup d'espoirs déçus. Depuis le mouvement de 1995, qui a laissé des traces, il existe un effet «domino». Les routiers, les chômeurs... Beaucoup de gens s'identifient au malheur des autres parce qu'ils le sentent de plus en plus à leur porte. Le choix de la période, Noël, pour les chômeurs, était le plus adéquat. Nicole Notat a certes raison de dire: prendre pour cible les Assedic, c'est injuste. Mais les gens ne se mobilisent que pour ce qu'ils peuvent atteindre. Les étudiants ont l'université, les agriculteurs leur outil de travail. Les chômeurs n'ont rien de tout cela.

Qui sont les militants de ces associations?

Au début des années 90, la gauche de la gauche s'est remobilisée dans plusieurs associations qui se connaissent et s'entraident. Cela va du sida au logement, avec Act Up, AC!, l'Apeis, le DAL, Droits devant!!, le Groupe des dix, le Comité des sans-logis, etc. Certains de leurs militants, après avoir quitté partis et syndicats, se retrouvent et sont disposés à descendre dans la rue. Leur mode d'intervention se caractérise par des actions «commandos» à valeur symbolique, avec peu de monde. Les militants de l'Apeis, par exemple, pour obtenir les transports gratuits, entouraient un quai de métro de ruban adhésif. A dix, ils occupaient... Cela réussit, parce que c'est médiatique.

Ces associations sont-elles représentatives des chômeurs?

­ Cette question est d'abord un enjeu de lutte. Chaque fois qu'un mouvement naît, on remet en cause sa légitimité. Il n'est cependant pas anodin que, pour d'autres (étudiants ou médecins), on ne s'en préoccupe pas. A ses débuts, Act Up a bénéficié d'une couverture sans commune mesure avec ses forces. Pour les syndicats, ce n'est pas seulement leur nombre d'adhérents, plutôt faible en France, qui compte, mais aussi leur faculté à mobiliser. La question pertinente est: au sein de ces associations, y a-t-il des chômeurs? La réponse est oui. Il y a dix ans, Pagat ne mobilisait pas de chômeurs. Leur première revendication est d'être représentés par eux-mêmes et non par des syndicats de salariés. Il faut distinguer représentativité réelle et légale. La première est difficile à mesurer; la seconde intervient lorsque le gouvernement reconnaît un mouvement. C'est ce qui vient de passer, avec Jean-Claude Gayssot et Martine Aubry, et qui rend Nicole Notat furieuse. Mais on ne reviendra pas en arrière. Il faut accepter que les chômeurs ne soient plus représentés par procuration. Au-delà de ces polémiques, surgit aussi une question de fond. Reconnaître ces associations, c'est accepter qu'il y ait un «statut» de chômeurs permanents et non plus de travailleurs privés d'emploi temporairement, comme persistent à le penser Notat ou Aubry.

Vous occultez le rôle de la CGT...

­ Surtout pas. Elle a beaucoup contribué au mouvement parce que ce syndicat a des moyens. Mais ses comités de chômeurs ont pris le train en marche. Derrière AC!, apparaît une option idéologique sur un revenu détaché du travail, ce qui est évidemment loin des idées de la CGT. La prime de Noël a permis de trouver un terrain d'entente commun.

Des élections de syndicats de chômeurs, ce serait une bonne chose à votre avis?

­ Oui. Si on demandait aux chômeurs, surtout de longue durée, de voter, on saurait s'ils préfèrent une identité de chômeur ou bien s'ils la refusent.

Recueilli par Isabelle Mandraud
Libération ­ 6 janvier 1998



 
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