Pourquoi, selon vous, cet actuel mouvement des chômeurs?.
La première raison tient dans le fait que le chômage
est une réalité massive. Ce n'est pas à la marge de
la société. Le Commissariat général au Plan
vient de faire paraître un rapport qui évalue à 7 millions
le nombre de personnes touchées par le chômage aujourd'hui,
qu'un Français sur trois a été au moins une fois touché
par le chômage depuis dix ans, que cette proportion atteint 55% pour
les 25-29 ans, que le chômage de longue durée touche les deux
tiers de ceux qui n'ont pas de travail et que 9 millions de personnes ont,
dans leur famille, quelqu'un qui est touché par le chômage.
C'est une réalité centrale de l'organisation du travail en
France. Il ne s'agit pas simplement d'une crise de l'emploi, mais d'une
crise du salariat, de la forme marchande et réglementaire qu'a prise
l'emploi avec le capitalisme. Et cette crise se caractérise aujourd'hui
par la précarisation généralisée du travail.
On pourrait dire que le chômage apparaît comme la forme ultime
du salariat, car la flexibilité, telle qu'elle existe aujourd'hui
sous sa forme sauvage, existe grâce à des chômeurs dont
l'existence pèse sur l'ensemble du monde du travail.
Qu'est-ce qui caractérise ce mouvement?
Deux choses: d'abord il est minoritaire. Actif, avec des organisations
qui drainent des chômeurs, mais, quand on vient de voir qu'il y plus
de chômeurs que de fonctionnaires ou d'ouvriers, cela reste plus
une mobilisation de type exemplaire qu'une révolte de masse. Hélas!
Ensuite, concernant le terrain sur lequel porte cette mobilisation, on
constate qu'il ne s'agit ni d'un appel à la charité ni de
la lutte immédiate pour l'emploi. Dans l'immédiateté
de l'urgence, les chômeurs amènent à poser la question
de la place du travail dans la société et de l'organisation
d'ensemble. Il y a une dialectique entre les revendications urgentes, comme
la prime de Noël, et les principes qui peuvent fonder ce type de revendication.
Ce n'est pas parce que les gens n'ont pas d'emploi qu'ils ne sont pas des
travailleurs. Et qu'ensuite ils n'aient pas de droits, comme la dignité.
Cela met sur le devant de la scène le point de vue de 7 millions
de chômeurs, qui n'est ni un point de vue de pure rationalité
économique ni de peur de perte de l'emploi, mais qui affirme: nous
ne sommes pas des gens en trop, nous sommes des travailleurs privés
d'emploi.
Ce mouvement pourrait s'inscrire dans la durée?
Il s'est déjà inscrit dans la durée. L'APEIS,
par exemple, a déjà dix ans. La question est de savoir s'il
va s'élargir. Si le point de vue du chômeur va s'étendre
un peu plus. Au-delà de la CGT, qui organise depuis longtemps les
chômeurs, il est pour cela nécessaire que l'ensemble du monde
syndical prenne en compte ces phénomènes qui sont en train
de monter. D'autant qu'améliorer la situation de ceux qui sont privés
d'emploi aujourd'hui, c'est desserrer l'étau qui réduit les
salaires et les garanties de ceux qui ont un emploi.
- Propos recueillis par Jean Santon
L'Humanité - 30 Décembre 97
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