[ SAMIZDAT ]


Une lutte qui concerne
tout le salariat

Interview d'Alain Bertho,
sociologue, enseignant à la faculté Paris-VIII.

 

Pourquoi, selon vous, cet actuel mouvement des chômeurs?.

­ La première raison tient dans le fait que le chômage est une réalité massive. Ce n'est pas à la marge de la société. Le Commissariat général au Plan vient de faire paraître un rapport qui évalue à 7 millions le nombre de personnes touchées par le chômage aujourd'hui, qu'un Français sur trois a été au moins une fois touché par le chômage depuis dix ans, que cette proportion atteint 55% pour les 25-29 ans, que le chômage de longue durée touche les deux tiers de ceux qui n'ont pas de travail et que 9 millions de personnes ont, dans leur famille, quelqu'un qui est touché par le chômage. C'est une réalité centrale de l'organisation du travail en France. Il ne s'agit pas simplement d'une crise de l'emploi, mais d'une crise du salariat, de la forme marchande et réglementaire qu'a prise l'emploi avec le capitalisme. Et cette crise se caractérise aujourd'hui par la précarisation généralisée du travail. On pourrait dire que le chômage apparaît comme la forme ultime du salariat, car la flexibilité, telle qu'elle existe aujourd'hui sous sa forme sauvage, existe grâce à des chômeurs dont l'existence pèse sur l'ensemble du monde du travail.

Qu'est-ce qui caractérise ce mouvement?

­ Deux choses: d'abord il est minoritaire. Actif, avec des organisations qui drainent des chômeurs, mais, quand on vient de voir qu'il y plus de chômeurs que de fonctionnaires ou d'ouvriers, cela reste plus une mobilisation de type exemplaire qu'une révolte de masse. Hélas! Ensuite, concernant le terrain sur lequel porte cette mobilisation, on constate qu'il ne s'agit ni d'un appel à la charité ni de la lutte immédiate pour l'emploi. Dans l'immédiateté de l'urgence, les chômeurs amènent à poser la question de la place du travail dans la société et de l'organisation d'ensemble. Il y a une dialectique entre les revendications urgentes, comme la prime de Noël, et les principes qui peuvent fonder ce type de revendication. Ce n'est pas parce que les gens n'ont pas d'emploi qu'ils ne sont pas des travailleurs. Et qu'ensuite ils n'aient pas de droits, comme la dignité. Cela met sur le devant de la scène le point de vue de 7 millions de chômeurs, qui n'est ni un point de vue de pure rationalité économique ni de peur de perte de l'emploi, mais qui affirme: nous ne sommes pas des gens en trop, nous sommes des travailleurs privés d'emploi.

Ce mouvement pourrait s'inscrire dans la durée?

­ Il s'est déjà inscrit dans la durée. L'APEIS, par exemple, a déjà dix ans. La question est de savoir s'il va s'élargir. Si le point de vue du chômeur va s'étendre un peu plus. Au-delà de la CGT, qui organise depuis longtemps les chômeurs, il est pour cela nécessaire que l'ensemble du monde syndical prenne en compte ces phénomènes qui sont en train de monter. D'autant qu'améliorer la situation de ceux qui sont privés d'emploi aujourd'hui, c'est desserrer l'étau qui réduit les salaires et les garanties de ceux qui ont un emploi.

Propos recueillis par Jean Santon
L'Humanité - 30 Décembre 97



 
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