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Intervention lors du meeting du Groupe pour une Suisse sans Armee (GSsA) le 11 mai 2001 à Genève de Peter Streckeisen du secrétariat national d’attac suisse
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"Le bras armé de la mondialisation" texte de Claude Serfati
(Février 2000)
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L’IMPERIALISME SUISSE

Intervention lors du meeting du Groupe pour une Suisse sans Armee (GSsA) le 11 mai 2001 à Genève
Peter Streckeisen (secrétariat national d’attac suisse)
Tel.: 061 481 24 91 - E-mail: pstreckeisen@yahoo.com

Il existe des mots qui ne sont plus guère utilisés aujourd’hui, malgré leur réalité et leur pertinence incontestables. L’impérialisme fait partie de cette catégorie de mots qu’on ne doit plus prononcer de nos jours, sous peine de se faire accuser d’idéologue attaché à un passé révolu et nostalgique d’un régime bureaucratique écroulé. Je crois néanmoins que c’est justement parce que nous ne sommes pas des défenseurs nostalgiques d’une aventure autoritaire, bureaucratique et qui s’est soldée, objectivement, par un échec total par rapport aux objectifs proclamés, parce que nous nous tournons résolument vers l’avenir et nous battons au contraire pour un autre monde, une autre société plus juste et plus humaine, que nous devons continuer à utiliser ce type de notions comme l’impérialisme. Car la lutte contre la mondialisation du capital et ses effets dévastateurs, y compris en termes de conflits militaires, doit se développer sur la base d’une analyse précise des mécanismes et dynamiques de celle-ci, si elle veut être efficace.

On m’a donc demandé de parler de l’impérialisme suisse, de quelque chose dont une majorité de gens habitant dans ce pays est convaincu que cela n’existe pas. Comme si la propriété des moyens de production et la richesse n’étaient pas, aujourd’hui, plus concentré que jamais dans l’histoire de l’humanité, et ce à l’échelle de la planète entière: de nombreux rapports officiels de l’ONU le prouvent. Comme si une petite minorité de riches et de puissants ne déterminait pas, tous les jours, largement les conditions de vie et de travail d’une énorme masse de gens, distribués dans toutes les régions du monde, de peuples entiers. Et comme si, dans tout cela, les grands groupes industriels et financiers suisses (Nestlé, Novartis, ABB, Credit Suisse, UBS, Holderbank et d’autres) ne jouaient aucun rôle.

En réalité, le capitalisme suisse possède les traits classiques de l’impérialisme moderne. Tout d’abord, une concentration industrielle et bancaire très forte, avec des imbrications réciproques entre l’industrie et le secteur financier multiples et déterminantes: Il suffit de voir qui siège dans quel conseil d’administration pour s’en faire une image. Malgré la petitesse du pays, la Suisse figure parmi les 10 premières puissances du monde quand on prend le critère du nombre d’entreprises suisses se trouvant parmi les 500 groupes plus grands de la planète. A cela il faudrait ajouter que la Suisse est le siège de nombreux holdings de grands groupes étrangers comme Metro-Konzern ou Richemont, pour des raisons fiscales. Ensuite, le capitalisme helvétique est très exportateur de capitaux (investissements directs à l’étranger), et ce depuis plus d’un siècle. Ainsi en 1999, plus de 1.6 millions de salarié-e-s travaillaient dans des entreprises suisses à l’étranger. Comparé-e-s aux quelque 3 millions de salarié-e-s en Suisse, ce rapport est sans doute plus élevé que pour tous les autres pays industriels. Enfin, cette exportation de capitaux se combine avec une importation de main d’oeuvre étrangère: Le capitalisme suisse, sur les quelque 3 millions de salarié-e-s employé-e-s en Suisse, utilise la force de travail de 750'000 travailleurs / -euses étrangers / -ères.

Il est vrai que l’impérialisme suisse était depuis ses origines un impérialisme sans contrôle politique ouvert, un impérialisme sans colonies. Mais cela est tout aussi vrai pour la première puissance impérialiste de nos jours, les Etats-Unis. Et depuis la Seconde Guerre Mondiale, respectivement les années 50 et 60, même les impérialismes les plus classiques et traditionnels: anglais, français, hollandais, allemand et autres, sont devenus des impérialismes sans colonies. Il s’agit d’un changement de forme, non pas d’une disparition. L’éclatement de la crise de la dette des pays du sud, au début des années 80, a montré qu’une majorité de pays du monde se trouve plus que jamais sous la domination brutale des puissances impérialistes du nord, gouvernements et grands groupes réunis. A travers le Fonds Monétaire International (FMI), la Banque Mondiale et d’autres institutions, ils „guident“ la politique des gouvernements des pays du sud à l’aide de „conseils“ bien utiles – à leurs propres intérêts - ; ils imposent des programmes d’ajustement structurel, d’ouverture de marchés, de privatisation, de véritable guerre contre la population. On connaît les effets en termes de mortalité infantine, de conflits militaires, de niveau de vie et autres choses. La Suisse participe d’ailleurs activement à cette „administration“ des pays endettés: Elle dirige au sein du FMI la zone de l’Asie centrale et du Caucase, une région de misère et de conflits militaires. „Administration“ qui rappelle le contrôle des finances de l’Empire Ottoman au 19e siècle par les représentant-e-s de l’impérialisme britannique, avant son écroulement qui a permis aux puissances occidentales de re-tracer les frontières dans tout le Moyen Orient, région encore aujourd’hui complètement soumise à l’impérialisme des puissances du Nord et déchirée par des conflits militaires sans fin.

 

Sur l’impérialisme suisse, j’aimerais souligner encore trois aspects:

1. Depuis la Seconde Guerre Mondiale, il s’est développé systématiquement dans le sillage de la politique étrangère des Etats-Unis, devenus alors indiscutablement la première puissance impérialiste du monde. L’Amérique latine, qui a subi dans les derniers 50 ans une multitude d’interventions militaires, ouvertes ou cachées, dirigées par le Pentagone, en est le meilleur exemple. Les dictatures militaires dans cette région ne devaient jamais craigner aucune réprobation de la part des milieux d’affaires helvétiques, au contraire: C’était toujours, comme durant la Seconde Guerre Mondiale en Allemagne nazie et ailleurs: business as usual. Le Chili de Pinochet est le modèle-type d’un coup d’Etat militaire appuyé par les Etats-Unis (et approuvé largement par les grands groupes suisses), d’une défaite militaire infligée à une population qui se battait contre un ordre économique et social qui écrase ses droits et ses espoirs. Dans la plupart des pays de l’Amérique latine, la Suisse se trouve parmi les 5 ou 10 premiers pays d’origine des investissements extérieurs.

Aujourd’hui l’intervention américaine en Colombie, vendue comme soutien au gouvernement de Pastrana dans la lutte contre le traffic de la drogue, doit permettre d’imposer définitivement le nouvel ordre néolibéral à toute l’Amérique latine, avec une zone de libre échange comprenant tous les pays américains (à l’exception de Cuba) et permettant, entre autres, une exploitation sans obstacles des richesses inestimables de la fôret amazonienne par les entreprises transnationales, dont celles de l’industrie pharmaceutique, Roche, Novartis et d’autres, qui s’approprient le vivant afin de transformer la diversité biologique de cette région en source de profits extraordinaires et exclusifs. En termes d’investissements suisses directs à l’étranger, la Colombie est le 4e pays d’Amérique latine, après le Brésil, le Mexique et l’Argentine. Des entreprises suisses y emploient directement plus de 7'000 salarié-e-s. En plus des entreprises pharmaceutiques déjà mentionnées, ABB, Sulzer, Ascom, Holderbank (Schmidheiny) et d’autres groupes suisses sont implantés en Colombie.

A côté de l’Amérique latine, on pourrait donner bien d’autres exemples, notamment la Turquie, régime militaire de terreur, pays pivot de l’OTAN et allié stratégique de Washington, qui mène depuis 20 ans une guerre à l’interne contre le peuple kurde. Vous avez entendu parler de la brutalité avec laquelle le gouvernement turc traite les prisonniers/-ères grévistes de la faim, qui protestent actuellement contre les conditions de détention et les tortures, ainsi que contre un régime qui criminalise tout opposition politique (12'000 prisonniers/-ères politiques). Inutile de vous rappeler que la Suisse figure au 5e rang des investisseurs étrangers en Turquie et qu’un Business council Suisse-Turquie réunissant des représentants du secteur privé des deux pays est en voie de formation actuellement, au moment où la Turquie se prépare à privatiser l’essentiel des entreprises étatiques, sous pression du FMI et dans le cadre d’une crise économique et d’endettement profonde.

2. Lorsque la concentration de la richesse et de la propriété des moyens de production atteint un tel degré que des centaines de millions d’êtres humains vivent dans des conditions inhumaines, qu’une grande majorité se trouve exploitée par une petite minorité, il n’y a pas de véritable neutralité possible. On se trouve soit du côté des exploité-e-s, des opprimé-e-s, soit du côté des puissants, des exploiteurs. La fameuse neutralité suisse n’a toujours concerne que les relations avec les autres puissances impérialistes. En renonçant à un rôle de leadership politico-militaire, elle a permis aux milieux d’affaires helvétiques de maximiser les profits de toute provenience. Les deux Guerres Mondiales sont un bon exemple pour cela, mais aussi, plus récemment, l’Afrique du Sud sous le régime de l’apartheid. La fonction de la neutralité est de donner une marge de manoeuvre maximale au gouvernement et au patronat suisses, y compris par rapport aux sanctions imposées par les Etats-Unis et / ou l’ONU à un pays pour telle ou telle raison. Par contre, comme le prouve très bien la période de la Guerre Froide, elle n’a jamais empêché „la Suisse“ de se positionner politiquement. Je crois que l’intégration progressive de l’armée suisse au dispositif militaire de l’OTAN, sans adhésion formelle à celle-ci, est l’expression de la volonté des milieux dirigeants helvétiques de continuer sur cette voie, dans des conditions historiques qui ont changé de manière importante, bien sûr.

3. Enfin, il ne faudrait pas oublier la place financière et le secret bancaire lorsque l’on parle de l’impérialisme suisse. Sa fonction de réceptacle-recyclage du capital impérialiste, c’est-à-dire de „pays-refuge“ pour des profits réalisés par les grands groupes et investisseurs tout autour de la planète et mis à l’abri des autorités fiscales est bien connu. Il en va de même des grosses fortunes des dictateurs de tous les pays du monde, soutenus par les puissances impérialistes (les Mobutu, Suharto, Marcos et autres personnalités aimables). Cet argent a fait la fortune des grandes banques helvétiques, notamment du Crédit Suisse et de l’UBS, qui comptent aujourd’hui parmi les 200 entreprises transnationales les plus puissantes du monde, donc parmi les principales forces impérialistes. Plus généralement, la balance suisse des paiements, toujours excédentaire, montre l’importance de l’accaparement direct ou indirect, par le capitalisme suisse, de richesse produite dans d’autres pays. Enfin, les sociétés suisses spécialisées dans les assurances, comme la Z (Zurich Financial), jouent aujourd’hui un rôle de pointe, à l‘échelle internationale, dans la diffusion des fonds de pension, ce nouvel instrument de l’impérialisme, visant à fonder un financement instable des retraites sur les résultats directs de l’exploitation de l’homme par l‘homme et, en particulier, des travailleurs / -euses des pays du sud par les grands groupes du nord. Dans cette entreprise, les groupes suisses peuvent s’appuyer sur l’expérience d’un pays qui a joué un rôle pionnier dans l’introduction des fonds de pension il y a très longtemps déjà, alors que ce point n‘est à l’ordre du jour qu‘aujourd’hui en France, en Allemagne etc. et rencontre des fortes résistances dans la population.

Pour terminer, je me réjouis de constater que nous ne sommes pas seul-e-s à parler d’impérialisme. Depuis Seattle, un nouveau mouvement international contre la mondialisation du capital, donc anti-impérialiste, commence à se développer, et ceci même en Suisse, un petit peu, lentement, comme les évènements autour du World Economic Forum de Davos l’ont montré. Dans ce cadre, attac avait organisé une conférence internationale intitulée l’Autre Davos (www.otherdavos.net), à laquelle d’ailleurs plusieurs intervenants de ce soir avaient participé (Paolo Gilardi, Claude Serfati, Gilbert Ashcar, Robert Charvin) et qui a rassemblée quelques 1'200 personnes à Zurich, dans le Volkshaus. C’était la plus grande conférence anti-impérialiste en Suisse allemande depuis très longtemps, propablement depuis les années 70. Ce „mouvement anti-mondialiste“, encore embryonnaire et tâtonnant, indique des voies permettant non seulement de combattre l’impérialisme suisse, mais d’en finir avec l’impérialisme tout court. Ceci grâce à la solidarité internationale de celles et ceux d’en bas, non pas avec des chars et des soldats. Une perspective que, malheureusement, les dirigeant-e-s de la gauche institutionelle et gouvernementale ne considèrent même plus comme possible, ce qui les conduit à soutenir la réorganisation d’une armée suisse qui ne servira toujours que les intérêts des puissants, comme lorsqu’elle tira, le 9 novembre 1932, sur les manifestant-e-s réuni-e-s sur la Plaine de Plainpalais ici à Genève, à quelques pas de notre lieu de réunion de ce soir.

 

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