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Résistances contre les oppressions, notamment des femmes Par: Selima
Ghezali Source:
Sommet des Sept Résistances. (Lyon, 1996) Accepter le monde tel qu'il se dessine, aujourd'hui sous la conduite du G7, s'y résigner, c'est tout simplement accepter la destruction et les massacres sous toutes les formes qu'ils peuvent emprunter. Se résoudre à la politique économique élaborée, entre autre, par le G7, c'est accepter les licenciements massifs, le chômage, l'exploitation des femmes, des travailleurs et des enfants dans les pays les plus pauvres. Christian Delorme m'a présentée tout à l'heure, comme représentant "les femmes algériennes". Je voudrais rectifier. En effet, je ne représente pas les femmes algériennes et je ne pourrais représenter personne de l'Algérie d'aujourd'hui, simplement parce que les Algériens sont privés du droit de désigner ceux qui les représentent. J'incarne aujourd'hui une forme de résistance face à la situation qui empêche les Algériens et les Algériennes de désigner ceux qui ont le droit de les représenter, une résistance contre la fragmentation qui traverse les luttes des femmes. C'est un honneur, en même temps qu'un grand moment pour moi de participer à ce contre-sommet du G7. C'est un honneur et un grand moment parce qu'il se tient sous le signe de la solidarité et que cette dernière est non seulement un signe de bonne santé politique et morale mais c'est aussi l'indice d'un esprit qui se réfuse à la mutilation, et c'est très important aujourd'hui, à la mutilation de ce qu'il y a comme dignité humaine en chaque homme et en chaque femme. Accepter le monde tel qu'il se dessine, aujourd'hui sous la conduite du G7, s'y résigner, c'est tout simplement accepter la destruction et les massacres sous toutes les formes qu'ils peuvent emprunter. Se résoudre, à la mondialisation telle qu'elle est à l'oeuvre, c'est accepter son cortège de guerres. Dans toute leur évidente brutalité, comme le cas du Burundi ou du Rwanda où la guerre est visible, mais aussi les guerres masquées, les guerres occultées comme celles qui se déroulent en Amérique latine, comme celles qui se déroulent dans l'ex-Union soviétique ou comme celle dans mon pays, en Algérie et qui font des dizaines de milliers de morts. En Algérie, nous en sommes à 60 000 morts depuis bientôt cinq ans. Nous en sommes à une dizaine ou à une quinzaine de milliers de morts par an, sans compter toutes les autres violences. Se résoudre à la politique économique élaborée, entre autre, par le G7, c'est accepter les licenciements massifs, le chômage, l'exploitation des femmes, des travailleurs et des enfants dans les pays les plus pauvres. C'est accepter que le monde avec ses villes, ses campagnes, ses hommes et ses femmes, ses langues et ses cultures, soit soumis à la loi du marché. Soumis à la loi du marché, cela veut dire tout simplement à des intérêts unilatéralement définis par des groupes financiers et des multinationales dont la puissance aujourd'hui est en passe de dépasser celle des Etats. Par conséquent, cette mondialisation échappe au contrôle des citoyens, y compris dans des Etats avancés et des Etats où les citoyens existent en tant que tels et non pas simplement en tant que chiffres de population. Se soumettre à la loi du marché, c'est aussi se résoudre au nouvel ordre mondial, comme on dit, avec ses conflits meurtriers, avec ses épidémies gérées par des odieux marchandages, avec ses famines, sa pollution, la remontée des extrémismes, des racismes et des fanatismes sous prétexte d'impuissance. Qu'il s'agisse de l'ex-Yougoslavie, de l'Algérie ou de la Somalie, c'est toujours d'impuissance que l'on parle alors que cette impuissance est tout simplement organisée. Se résoudre à tout cela, c'est renoncer tout simplement au droit des hommes et des femmes, au droit des sociétés et des peuples d'intervenir dans la gestion, d'intervenir dans leur présent et leur avenir. Ce renoncement n'est pas simple. Il est lourd de conséquences. Il signifie, et je pèse bien mes mots, une régression sans précédent dans l'histoire de l'humanité. Parce que c'est une régression qui ne se fait ni sous le signe d'une idéologie ni sous le signe d'une religion; c'est une régression qui se fait sous le signe apparemment neutre du marché tout puissant. Résister aujourd'hui encore plus qu'jier, c'est tout simplement refuser la fatalité. Et tous ceux qui soutiennent qu'il n'y a pas d'alternative possible aux médications prescrites par le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et le G7, sous prétexte d'impératifs du marché, imposent en fait une nouvelle fatalité présentée comme irrémédiable. Or, justement, toute fatalité est porteuse d'obscurcissement, de fermeture de l'horizon des possibles, avec ses foules manipulées et conduites à se massacrer. De l'obscurcissement de l'horizon au désespoir et à la terreur nihiliste, il n'y a qu'un pas que des milliers de gens franchissent aujourd'hui chaque jour. Contre cela aussi, il est vital de résister. Et c'est d'une infirme partie de ces résistances que je suis venue témoigner. Je suis née il y a trente sept ans dans un pays en guerre. Tout mon enfance, j'ai baigné dans un chuchotement permanent de femmes qui disaient un certain nombre de mots: arrestation, torture, liquidation, assassinat, bombe, égorgement, vengeance, guerre... Tout ces mots ont entièrement constitué le background de mon enfance. Les hommes n'étaient pas visibles: ils étaient à la guerre. Même quand ils étaient présents, ils n'étaient pas visibles, on ne les voyait pas. C'est seulement à leur retour, militairement victorieux en tant que guerriers, que nous avons vu les hommes et plus du tout entendu les femmes, et plus du tout vu les femmes. Cette visibilité à la faveur d'une victoire d'un rapport de forces militaires aura des conséquences désastreuses dont celles que nous vivons aujourd'hui. Les guerriers sont revenus et ils sont revenus parés de leur gloire. Ils ont gommé jusqu'à la moindre trace de toutes les autres formes de résistances, de toutes les autres formes deluttes qui n'avaient pas emprunté les voies de la violence et du rapport de forces. Cette attitude qu'ils ont développée, une fois qu'ils ont pris le pouvoir après l'indépendance nationale, a installé le rapport de forces brutal comme élément structurant tous les rapports à l'intérieur de la société: des citoyens avec leur administration et leurs gouvernants, des hommes avec les femmes, des parents avec les enfants. Tous les rapports à l'intérieur de la société étaient structurés autour de cette notion de rapport de forces. Celui qui gagne, c'est celui qui est le plus fort. Aujourd'hui, justement, c'est de nouveau la guerre dans mon pays, j'ai des enfants et mes enfants grandissent dans ce murmure autour de la guerre et les mêmes mots sont de retour: torture, bombe, égorgement, viol, enlèvement, camps de concentration. Tous ces mots sont de retour. Simplement le monde a évolué et les dirigeants ont affiné avec une subtilité et une sophistication extraordinaire la façon avec laquelle aujourd'hui, on opprime les gens. Aujourd'hui, on fragmente les luttes, de manière à ce que des luttes qui doivent aller dans le même sens de libération se retrouvent dans des dualités fictives opposées les unes aux autres et versant dans le maintien du système oppresseur. Aujourd'hui, la question de l'identité, telle qu'elle est exprimée par exemple en Algérie par la question berbère, par la question islamique aussi et par la question de l'identité arabe est fragmentée et mise ne conflit, chaque paramètre l'un contre l'autre. Aujourd'hui, la revendication du droit à l'identité, du droit culturel est mise en conflit avec l'universalité. Aujourd'hui la question du droit des femmes est mise en conflit avec le droit des hommes et inversement. Aussi bien au niveau des islamistes, des fondamentalistes ou encore des traditionnalistes qui ne sont pas pour autant islamistes (on n'a pas attendu les islamistes en Algérie pour renier le droit aux femmes). Tous ont d'abord construit leur discours sur la négation des droits des femmes, sur le droit des hommes de contrôler ces femmes. Mais aujourd'hui au milieu de la guerre, on focalise de façon hypocrite sur les violations des droits des femmes par les islamistes pour occulter les violations des droits de l'Homme commises par les autorités et par les gouvernements. Or si il y a dix ans nous nous sommes mobilisés en tant que féministes pour revendiquer l'intégration des droits des femmes aux questions des droits de l'Homme, on a demandé que le droit des femmes soient partie intégrante des droits de l'Homme, ce n'est pas pour aujourd'hui occulter, au nom de la protestation contre les violations des droits des femmes, les violations des droits de l'Homme. C'est cette fragmentation dans le sillage de la mondialisation économique, la fragmentation des luttes qui fait qu'aujourd'hui, dans un pays comme l'Algérie, les femmes payent le prix le plus fort. Elles paient le prix sur le plan physique, avec les viols, les enlèvements, les assassinats, mais aussi avec la chair de leur chair: avec leurs enfants, arrêtés, emprisonnés, massacrés... Elles paient le prix fort au niveau de la fonction de citoyenne qui ne leur est pas reconnue, dans la mesure où la législation ne reconnait pas la majorité des femmes, ne reconnait pas le droit des femmes. Mais elles paient aussi sur le plan symbolique l'instrumentalisation abjecte par le pouvoir en place de sa prétendue défense des droits des femmes. Il utilise simplement les femmes comme justification de la répression contre les hommes, et cela c'est absolument inadmissible. En plus de cela, les mobilisatins qui se font de façon partielle, sont des mobilisations qui sont contre-productives. En effet, la mobilisation contre une des violences qui ne soit pas une mobilisation contre toutes les violences alimente et l'une et l'autre de ces violences. La guerre, et tous ceux qui soutiennent la guerre, quelle que soit la raison pour laquelle ils la soutiennent, évacue la question des droits des femmes, évacue la possibilité sur la question des droits des femmes de trouver un lieu d'expression, parce que cette lutte là a besoin que les armes se taisent, a besoin que la paix soit présente, que la paix soit là pour pouvoir se faire entendre, pour pouvoir imposer sa logique et participer de la pluralité des expressions. Or, aujourd'hui, ce n'est pas le cas, la parole est aux armes, la parales est à cexu qui doivent choisir leur camp: soit on est dans le camp de ceux qui torturent, soit on est dans le camp de ceux qui égorgent. Mais on ne peut être dans le camp de ceux qui disent: "Non, je refuse de me salir les mains avec le sang". Je revendique pour tous l'obligation et le devoir de s'asseoir autour d'une table pour discuter sans permettre à la confusion de jouer, sans permettre aux islamistes de dire que les femmes sont des voleuses d'emplois. Ce ne sont pas les femmes qui sont des voleuses d'emplois, c'est le plan d'ajustement structurel, la Banque mondiale et les choix économiques qui volent l'emploi des hommes. Toutes les conséquences de la globalisation conduisent à l'oppression du peuple, l'oppression des femmes par conséquent. Toutes les oppressions: le chômage, l'exclusion, la guerre, la pollution, tout cela est ressenti aussi par les femmes et par conséquent, tout cela fait partie aussi des luttes des femmes. Si on décide de se solidariser pour empêcher les dualités fictives, c'est pour prohiber la lutte, pour induire la solidarité et pour créer un monde meilleur qui ne soit pas géré par la lutte qui légitime les violences contre une autre violence. |