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Pour un plein emploi de qualité
Critique du social-libéralisme, à propos du rapport Pisani-Ferry

Fondation Copernic

Ont participé à la rédaction de ce document: Jean-Christophe Chaumeron, Pierre Concialdi, Thomas Coutrot, Jean-Marie Harribey, Liêm Hoang-Ngoc, Michel Husson, Pierre-André Imbert, Pierre Khalfa, Jacques Nikonoff, Christophe Ramaux, Henri Sterdyniak.

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Sommaire

1- Introduction 
2- Emploi, croissance et 35 heures
3- Des contraintes d'offre sur le marché du travail ?
4- Les baisses de cotisations sociales ont-elles fait la preuve de leur efficacité ? 
5- Les infortunes du "chômage d'équilibre"
6- L'impôt négatif n'est pas une mesure progressiste
7- Le plein emploi... mais avec quels emplois ?
8- L'emploi et la répartition des gains de productivité
9- A propos des politiques macroéconomiques en Europe
10- Croissance et emploi, pour quoi faire ?
11- Conclusion


 

Introduction

Le retour au plein emploi est redevenu un objectif crédible. Une telle perspective, impensable il y a encore peu - qu'on se rappelle l'aveu mortifié de l'ancien président de la République qui disait avoir tout essayé contre le chômage - modifie ou plutôt devrait profondément modifier les termes du débat économique. 

A sa manière, le patronat a pris en compte cette éventualité. Car, de son point de vue, le bilan n’est pas totalement satisfaisant. Certes, la précarité a considérablement augmenté et la montée apparemment irrésistible du chômage a profondément marqué les esprits. Les revendications salariales sont encore (pour combien de temps ?) contenues et surtout l’imprégnation idéologique des thèmes patronaux se fait sentir dans toute la société. Bref, l’inversion des rapports de force au profit du patronat, que l’on peut lire dans le recul (10 points) de la part des salaires dans la valeur ajoutée, semble pérenne. Pourtant, plus d’un quart de siècle d’offensive patronale n’ont pas réussi à détruire l’emploi stable qui couvre encore l’énorme majorité des salariés (85 %) – même si nombre de contrats stables des deux dernières décennies incluent du temps partiel imposé, des bas salaire, etc -, et ceux-ci acceptent de plus en plus mal la rigueur salariale qui leur est imposée. La montée, à l’échelle internationale, des mouvements de lutte contre la mondialisation libérale, suite à Seattle, remet en cause les fondements même du fonctionnement actuel du capitalisme et la logique de la marchandisation. Le mouvement syndical, certes divisé, traversé par des orientations contradictoires n’a pas disparu de la scène, ne s'est pas rallié, dans sa majorité, au social-libéralisme, refusant de se contenter d’amender à la marge les projets patronaux. 

Bref, le patronat aborde la phase de croissance dans une situation contradictoire et voit poindre le spectre d’une conjoncture qui permettrait aux salariés d'inverser les rapports de force actuels. Car une croissance durable peut tout changer. Faisant baisser le chômage, elle desserre l’étau, modifie la perspective et redonne confiance dans l’avenir. Le projet de refondation sociale constitue la réponse patronale à cette éventualité. Il vise, de son point de vue, à engranger tout ce qui peut l’être avant qu’il ne soit trop tard en essayant de construire un nouveau cadre institutionnel qui lui permette d’asseoir les rapports de force actuels. D'où l'enjeu des débats autour du contenu en emplois de la croissance, du type d’emplois qu’elle génère et de sa soutenabilité.

C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire la sortie du rapport Pisani-Ferry sur le plein-emploi. Le gouvernement agit par touches successives, à la manière d'un peintre impressionniste - une touche de réduction des charges sociales et d'emplois jeunes, par ci, de réduction du temps de travail, de privatisations, de baisse d'impôts, par là -, sans que ne soit jamais vraiment explicitée la cohérence de la politique menée. Il la rend ainsi difficilement lisible par l'opinion et surtout émousse la critique des choix effectués. Pisani-Ferry n'a pas les contraintes de la gestion gouvernementale. Il peut donc se permettre une mise en perspective des mesures qu'il préconise et de les adosser à la fois à un diagnostic et à des outils théoriques.

Disons-le tout net, c’est l’ensemble que nous contestons. Non, la croissance actuelle ne vient pas buter sur des contraintes d’offre tant en matière de travail que de capital. Diagnostic étonnant, alors qu'au contraire la faible croissance de la décennie précédente s'explique essentiellement par la faiblesse de la demande et la mise en oeuvre d'une politique budgétaire restrictive. Non, les difficultés de recrutement que prétendent avoir les entreprises françaises, alors que le chômage reste massif, n’indiquent pas que l’inflation serait au coin de la rue et qu’on se rapprocherait du “ taux de chômage d’équilibre ”, notion dont nous montrerons qu’elle est dépourvue de pertinence opérationnelle. Contrairement à ce qu’affirme Pisani-Ferry, aucune étude basée sur des données effectives n'a réussi démontrer que les baisses de cotisation sociales ont été un facteur de création d’emplois et nous ne sommes pas enfermés dans le choix mortifère entre hausse des salaires et création d’emplois. C'est au contraire l'augmentation du pouvoir d'achat des salaires qui est une des causes de la reprise actuelle. Non, il ne faut pas revenir sur les 35 heures, même si leur mise en place concrète a été profondément pervertie, et cette mesure doit être appliquée aux petites entreprises. Bien plus, la réduction du temps de travail doit continuer à être un axe majeur de la politique économique et sociale.

En fait, il y a un choix implicite dans le rapport Pisani-Ferry, celui de ne pas remettre en cause la part des profits dans la richesse produite. Pour Pisani-Ferry, le partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits tel qu'il résulte des rapports de force des dernières décennies est intouchable. Vingt années de développement de la précarité, de montée du chômage ont permis au patronat de s'accaparer la quasi-totalité des gains de productivité et de déplacer fortement le curseur en faveur des profits dans le partage de la valeur ajoutée. Toutes les solutions qu'il propose visent en réalité, nous le montrerons, à permettre qu’une éventuelle baisse durable du chômage ne menace pas cet “ acquis ” de 15 ans de désinflation compétitive au service des profits de entreprises et surtout des rentiers.

Ces solutions ne brillent d'ailleurs pas par leur originalité. Avancées par moult auteurs libéraux, on y trouve pêle-mêle la nécessité pour la France de maintenir sa compétitivité fiscale aussi bien en ce qui concerne le capital que le travail très qualifié (les baisses d’impôt pour les hauts revenus ont de beaux jours devant elles), celle de rendre le marché du travail plus “ liquide ” (la domination de la finance s’exerce aussi dans le vocabulaire), de modifier les règles de calcul des pensions et enfin de mettre en œuvre un crédit d’impôt.
Cette dernière mesure qui a été appliquée par le gouvernement sous le vocable de “ prime pour l’emploi ” - miracle de la rhétorique jospinienne –, présuppose que le retour à l’emploi doit se faire sous la forme de temps partiel, vise à reporter sur la collectivité ce qui ressort de la responsabilité des entreprises - payer des salaires -, et constitue une remise en cause larvée du SMIC par ailleurs sérieusement bousculé ces dernières années. C'est beaucoup, pour une mesure que certains s'acharnent à présenter comme étant de gauche. Sa mise en place s'est faite dans un climat où le débat public a été remplacé par les admonestations de ses partisans. Ainsi, Olivier Blanchard (Libération, 08/01) tance les opposants qui ne peuvent être que des “ ignorants ”. Pour Michel Rocard, ils font preuve d’une “ effarante stupidité ” (Le Monde, 12/01). Tout cela est loin de l’exigence de Pisani-Ferry qui demandait “ un débat ouvert, tourné vers l’avenir, respectueux des points de vue ” (Le Monde 16/12). 

Cette note essaiera de respecter la demande de Pisani-Ferry en prenant le débat au sérieux. Nous partirons donc d'un diagnostic sur la situation économique. Puis nous analyserons les mesures préconisées par Pisani-Ferry et nous donnerons quelques pistes pour une politique économique et sociale alternative. Notre objectif est de montrer que derrière des débats techniques, que certains se plaisent à embrouiller, se cachent des enjeux politiques majeurs qui renvoient à une vision de la société, à la place du salariat en son sein et à la nature des liens sociaux à construire. Cette note, qui a été rédigée par un collectif de chercheurs et de syndicalistes dans une approche pluraliste, vise à éclairer ces enjeux.