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Après l’état-nation
Portée et limites de l’apport habermassien pour penser la crise actuelle des modes de légitimation politique.

Jacques Capdevielle.

 Directeur de recherche au Centre d'étude de la vie politique française.

 

Pourquoi s’intéresser aujourd’hui à la pensée d’Habermas ? Cet auteur connaît aujourd’hui en France une certaine vogue mais, plus sérieusement, il exerce en Allemagne un magistère important depuis de nombreuses années et, surtout, ses analyses récentes me paraissent rejoindre, sur le plan théorique, les objectifs politiques revendiqués par Attac.

Son dernier ouvrage proposé dans une version française, Après l’état-nation, est composé de trois contributions. Les deux premières correspondent à des chapitres d’un ouvrage paru en 1998 à Francfort, sous le titre La constellation post-nationale. Essais politiques. La troisième a déjà été publiée dans les Blätter für deutsche und internationale Politik en 1999.

Ces textes constituent un ensemble court et d’un abord relativement facile, au regard de la plupart de ses autres productions, rassemblées dans des ouvrages disponibles en Français.

Par ailleurs, les deux derniers traduits ici se réfèrent à l’actualité la plus immédiate. L’un propose une approche renouvelée de la crise du politique en Allemagne, à partir de la fin des années quatre-vingt. Face à des défis sans précédents - 2,7 millions d’assistés dans la seule RFA et plusieurs millions de citoyens y vivant en dessous du seuil de pauvreté, une croissance simultanée du chômage et des cours de la Bourse un peu partout dans le monde, un développement de crimes racistes, un creusement du fossé Nord-Sud, une montée des fondamentalismes religieux, des menaces écologiques aggravées, une libanisation et des conflits ethno-nationalistes dans certaines régions proches comme l’ex-Yougoslavie - les responsables politiques nationaux paraissent impuissants. Ils sont de ce fait confrontés à une crise de leur légitimité qui ne sera résolue, pour Habermas, qu’à travers une sortie « par le haut », en développant dans les sociétés civiles et les espaces publics la prise de conscience d’une « solidarité cosmopolitique ».

L’autre aborde la question de l’élargissement de l’Europe vis-à-vis des institutions européennes, au regard plus précisément de l’alternative « souverainisme/fédéralisme ». Ce texte a été écrit avant même que l’initiative de Joschka Fischer ne vienne relancer cette question. On se souvient en effet que c’est le 12 mai 2000, dans un discours « prononcé à titre personnel » à l’Université Humboldt de Berlin, que Joschka Fischer, leader des Verts allemands et ministre des Affaires étrangères, réactualise le débat sur le fédéralisme, en appelant de ses vœux le passage à terme « de la coopération renforcée à un traité constitutionnel européen », sanctionné par la création d’un gouvernement et d’un parlement européens, qui exerceraient les pouvoirs exécutifs et législatifs au sein d’une Fédération.

Les positions d’Habermas sur ces thèmes, actuels s’il en est [1], sont l’aboutissement d’une réflexion poursuivie depuis le début des années soixante et amorcée avec la publication en RFA de son ouvrage sur L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, en 1962.

Cette réflexion est à la fois faite de ruptures et de continuités qui, sans entrer dans une discussion proprement philosophique, doivent être prises en compte si l’on veut saisir la pleine mesure de son apport et de ses limites dans les débats actuels. Le support retenu pour communiquer sa pensée confirme et encourage cette dimension évolutive. La plupart de ses ouvrages sont en effet des recueils de conférences ou d’articles publiés auparavant dans des revues philosophiques ou scientifiques. L’objet de chacun de ces apports consiste souvent à réviser ou à préciser ses propos antérieurs, en réponse à tel ou tel de ses critiques. Cette pratique éditoriale, courante en RFA mais étrangère à celle qui règne dans notre pays, stimule des débats intellectuels qui gagnent en vivacité et en précision ce qu’ils perdent en formalisme, quitte à s’exposer à une certaine redondance dans les ouvrages en question.

Ce sont ces ruptures et ces continuités théoriques que je rappellerai d’abord, avant d’aborder les perspectives politiques ouvertes par Après l’Etat-nation.

La genèse de la critique habermassienne.

La filiation avec Marx et l’Ecole de Francfort.

S’inscrivant dans la tradition de la pensée critique, après une thèse consacrée à Schelling dans les années cinquante, Habermas entreprend dans L’espace public une étude de la naissance du concept d’opinion publique, exposé, alors selon lui, tantôt à la fiction juridique, tantôt à sa dissolution à travers une approche psycho-sociologique.

La filiation avec le marxisme de Lukàcs et de l’école de Francfort est encore directe dans cette étude, Habermas s’assignant comme objectif un approfondissement des phénomènes de réification dans le monde moderne. L’infrastructure économique reste déterminante, « les procédures » de la discussion publique peuvent, au mieux, « assouplir les formes coercitives d’un consensus extorqué par contrainte » [2].

C’est toujours cette filiation qui le conduit, dans La technique et la science comme « idéologie », à une critique d’un positivisme hypostasiant la science, de telle sorte que celle-ci, et plus encore les techniques, légitiment les rapports de production existants, donnant à la domination un caractère nouveau. Cette dernière se réclame de « la justice de l’équivalence dans les relations d’échange », « l’activité de type communicationnel étant le fondement de la légitimation » [3]. La distanciation par rapport à Marx est pourtant en même temps déjà présente : Habermas écrit en effet qu’« une théorie critique de la société ne peut plus prendre la seule et unique forme d’une critique de l’Economie politique » [4] mais doit s’attaquer aux nouvelles formes de légitimation de la domination politique et réfléchir aux fondements philosophiques nécessaires à la création d’un espace pour le débat politique.

Habermas se réfère explicitement, dans les textes rassemblés pour cet ouvrage, aux analyses du processus de « rationalisation » produites par Weber. En se technicisant, les interventions de l’Etat échappent en effet à la discussion politique, entraînant une dépolitisation des citoyens : « D’un côté, la conscience technocratique est ‘moins idéologique’ que toutes les idéologies antérieures (…). D’un autre côté, l’idéologie aujourd’hui plutôt transparente qui domine à l’arrière-plan et fétichise la science est plus irrésistible et va beaucoup plus loin que les idéologies de type ancien. (…) Elle affecte jusqu’à l’intérêt émancipatoire de l’espèce dans son ensemble » [5].

Comme le montre Yves Sintomer tout au long de la somme qu’il a consacrée à Habermas, celui-ci va désormais jouer Marx et Weber « l’un contre l’autre » [6]. Habermas refuse l’alternative weberienne réduisant le politique au seul pouvoir de la bureaucratie ou au ralliement épisodique et irrationnel des masses à un chef charismatique, et soutient la possibilité d’une démocratie politique. Mais s’il récuse le réalisme cynique d’un Weber faisant de la rationalité bureaucratique l’horizon indépassable de la modernité, il récuse tout autant l’utopie marxiste d’une société transparente et réconciliée avec elle-même.

La question des conditions dans lesquelles la démocratie est possible, qui résulte de ce double refus, est le fil conducteur de toute son œuvre [7].

Dès 1976, année où paraît en allemand Zur Rekonstruktion das Historischen Materialismus - traduit en français en 1985, sous le titre Après Marx [8] -, Habermas s’appuie aussi bien sur les approches structuralistes et la linguistique, que sur la psychologie cognitive de Jean Piaget et sur les acquis des sociologies fonctionnalistes et systémiques, pour tenter de fonder une anthropologie dans le cadre d’une « reconstruction » du matérialisme historique. Si Habermas se réclame encore du matérialisme, la distanciation par rapport à Marx est en revanche consommée, le paradigme de la « communication » prenant la place du paradigme de la « production ».

Les contraintes spécifiques de la communication argumentée font par ailleurs appel à une recherche de rationalité propre à l’espèce humaine. Ce constat suppose un retour à la philosophie. Un retour qui s’accompagne toutefois chez Habermas d’un refus de la totalité hégélienne qui, dans les Principes de la philosophie du droit, réduisait l’opinion publique à un simple moment subjectif de l’Universel incarné par l’Etat. Contre la totalité hégélienne, contre l’économisme de Marx et contre la rationalité instrumentalisée de Weber, il opte pour le retour à une rationalité normative, de type néo-kantien : « A la différence de l’action rationnelle par rapport à une fin, l’action communicationnelle s’oriente en fonction notamment de la poursuite de normes inter-subjectivement en vigueur (…). Les exigences de validité universelles (vérité, justesse, véracité) que ceux qui sont engagés dans une action communicationnelle revendiquent au moins implicitement et qu’ils se reconnaissent réciproquement rendent possible le consensus dont se soutient l’action en commun » [9].

La réhabilitation d’une rationalité normative.

La Théorie de l’agir communicationnel (publiée pour la première fois en Allemand en 1981) consacre cette prise en compte privilégiée d’une rationalité normative.

Contrairement aux sociétés traditionnelles, le désenchantement qui caractérise les sociétés modernes fait que les normes pratiques ne peuvent désormais y acquérir leur légitimité qu’à travers un consensus obtenu par l’échange d’arguments, dans le cadre de la discussion publique [10]. La Théorie de l’agir communicationnel réintroduit une philosophie critique confrontant le contenu de la raison aux limites des acquis empiriques des sciences humaines [11]. Parmi ces dernières, Habermas valorise la sociologie par rapport à la science politique ou l’économie.

Pour lui en effet, la science politique, ayant dû s’émanciper du droit naturel rationnel, s’est réfugiée dans un empirisme qui la conduit à traiter « la politique comme un sous-système de la société tout en se délestant de la tâche de concevoir la société dans son entier. A l’encontre du normativisme jusnaturaliste, elle exclut de ses considérations scientifiques les questions morales-pratiques de la légitimité. Ou alors, elle les conçoit comme des questions empiriques où il s’agit de décrire une croyance en la légitimité » [12].

Quand à l’économie, également en concurrence avec le droit naturel, « elle a élaboré l’autonomie d’un système d’actions dont la cohésion n’est pas assurée par des normes, mais par des fonctions. (…) La science économique traite elle aussi son objet comme un sous-système de la société, et elle se déleste des questions de légitimation » [13].

En revanche, la sociologie, « science des crises par excellence (…) et des aspects anomiques liés à la décomposition des systèmes traditionnels (…) est la seule discipline parmi les sciences sociales qui ait maintenu le rapport aux problèmes de la société globale. Elle est toujours restée aussi théorie de la société ». « La sociologie aussi bien que l’anthropologie culturelle se trouve confrontée au spectre entier des manifestations de l’agir social » [14].

Dans la sociologie, pour autant qu’elle prétende à une théorie radicale de la société, « le problème de la rationalité se pose aux trois niveaux en même temps : métathéorique, méthodologique et empirique » [15]. Ce constat conduit Habermas à privilégier la littérature sociologique et à relire Weber à partir d’un long détour critique par Parsons.

Parce qu’il ne prend pas en compte la différence principielle entre « système » et « monde vécu », Parsons ne parvient pas à prendre en compte la réification des structures symboliques du monde vécu par les impératifs de sous-systèmes différenciés et autonomisés à travers l’argent et le pouvoir. Parsons est de fait incapable de rendre compte des pathologies sociales abordées par Weber avec sa thèse de la rationalisation. Le constat de cette impasse chez Parsons conduit toutefois Habermas à revenir sur la cause du processus de réification que Weber impute à l’Etat rationnel et à la bureaucratisation. Pour Habermas, cette explication est trop courte et trop prisonnière du modèle occidental. Contre la thèse weberienne qu’il juge réductrice, la réification est pour lui le résultat d’une disjonction entre système et monde vécu, qui se traduit à terme par une « colonisation » croissante du monde vécu par les systèmes.

C’est cette même insuffisante différenciation entre système et monde vécu qui explique l’impasse de l’analyse marxienne de la réification [16], et c’est précisément cette « disjonction entre système et monde vécu » qui doit être au fondement d’une théorie critique de la société.

Habermas voit dans l’Etat social (l’Etat-providence) un cas exemplaire de colonisation du monde vécu : « En effet, des aspects touchant la conduite de la vie privée et une forme de vie culturelle-politique sont détachées des structures symboliques du monde vécu, à travers la redéfinition monétaire des fins, des relations et des services, des espaces et des temps vécus, à travers aussi la bureaucratisation de décisions, de devoirs et de droits, de responsabilités et de dépendances » [17]. Il étend cette analyse à la législation sur la famille ou à l’emprise accrue des Mass médias, en insistant chaque fois sur les aspects contradictoires et porteurs de potentialités protestataires nourris par cette colonisation du monde vécu [18].

C’est à un réexamen des rapports entre Etat de droit et démocratie dans les sociétés modernes qu’Habermas consacre, en 1992, un autre ouvrage important : Droit et démocratie.

Ecoutons son diagnostic exposé dans l’introduction de cet ouvrage : l’effondrement du socialisme d’Etat s’accompagne d’un renoncement du camp victorieux, qui « n’a pas le courage d’aborder énergiquement, à l’échelle effrayante de la société planétaire, la tâche de domestiquer le capitalisme par l’Etat-providence et l’écologie. Il s’empresse, certes, de respecter l’autonomie systémique d’une économie régulée au moyen des marchés ; et il est à tout le moins sur ses gardes pour éviter une extension excessive du pouvoir en tant que médium des bureaucraties étatiques. Ce qui fait cependant défaut, c’est une sensibilité non moins grande quant à la ressource véritablement menacée, celle d’une solidarité sociale garantie par les structures juridiques, mais qui doit constamment être régénérée » [19].

Sensible aux critiques qui ont suivi la publication de la Théorie de l’agir communicationnel, Habermas précise d’emblée les limites de la raison communicationnelle : « elle part des prétentions à la validité, mais n’offre elle-même aucune orientation concrète pour résoudre les tâches pratiques », « elle offre bien plutôt un fil conducteur pour reconstruire le tissu de discussions où se forment à la fois des opinions et des décisions, fondement du pouvoir démocratique exercé dans un cadre juridique » [20].

Habermas veut rompre avec une opposition entre factualité et validité comprise en termes d’extériorité, pour lui substituer une compréhension en termes de tension interne, inhérente à la raison communicationnelle. Cela afin de dépasser l’opposition, traditionnelle dans la théorie juridique, entre les modèles sociaux du droit civil (de type contractuel et libéral) et ceux du droit de l’Etat-providence (de type paternaliste et redistributif).

Il précise : « Il faut entendre ‘validité’ au sens épistémique d’une ‘validité qui nous paraît fondée’ » ; en sachant que « pour chaque prétention à la vérité, le locuteur et l’auditeur transcendent les critères provinciaux d’un collectif particulier et d’une pratique d’entente particulière, localisée ici et maintenant ». Ce n’est que lorsque les prétentions à la validité débordent de leur caractère provincial qu’elles rencontrent la factualité du monde vécu.

C’est cette tension entre validité et factualité, inhérente au langage, que le droit positif vient stabiliser provisoirement.

« Penser avec Habermas contre Habermas » ?

L’originalité de ce modèle est certaine. D’une part, il s’oppose d’un côté aux théories libérales et aux conceptions atomicistes de la société qui, fascinées par le modèle du marché, entendent réduire le champ du politique au strict minimum. D’autre part, il s’oppose à l’approche rousseauiste ou républicaine, qui réduit généralement - en recourant aux structures conceptuelles d’une philosophie du sujet - la diversité des individus privés à une communauté politique « considérée comme une unité organique ou comme une totalité morale intégrée », avec le risque de donner libre cours « aux fantasmes d’omniscience d’une communauté qui tend à ne pas reconnaître en son sein de pluralisme véritable (à cet égard, l’utopie marxienne peut être considérée comme une variante antiétatiste du républicanisme qui pousse si loin l’idéal de la transparence qu’elle entend constituer le communisme comme un au-delà de la démocratie et de la République » [21].

Si la construction habermassienne aboutit bien à une condamnation sans appel de la vision libérale et de l’utopie marxiste d’une société réconciliée avec elle-même, elle n’est pas pour autant exempte des critiques qu’on a pu adresser au déterminisme économique de Marx et à la séparation entre infrastructure et superstructure telle qu’il la développe dans L’idéologie allemande. La problématique sous-jacente à la Théorie de l’agir communicationnel reproduit en définitive, même si c’est en l’inversant, une séparation semblable. Elle dissocie et autonomise d’un côté l’économie (qui, médiatisée par l’argent, obéit à une rationalité de type systémique) et l’Etat (qui fonctionne au pouvoir et à la contrainte), de l’autre la démocratie, qui prend place dans l’espace public.

La légitimité reste, pour Habermas, extérieure à la logique systémique de l’économie. Une simple observation de l’actualité économique dément pourtant cette extériorité, que l’on prenne les efforts actuels des multinationales en matière de communication avec le grand public ou ceux d’instances internationales comme l’OMC, le FMI ou la Banque mondiale. La firme Monsanto a dû par exemple renoncer récemment à la commercialisation de ses semences génétiquement modifiées, dénoncées par leurs contestataires sous le nom de « terminator ». On est au total, avec Habermas, en présence d’une part, d’une approche réductionniste du rôle politique communicationnel de l’économie et des bureaucraties modernes, et, de l’autre, d’ « une idéalisation peu réaliste d’une société civile conçue comme fondamentalement communicationnelle » [22]. C’est faire peu de cas des rapports de forces et des enjeux qui, en amont, dans la structure sociale, hypothèquent les pratiques langagières. On voit de suite qu’une telle approche s’expose à la critique, entre autres, d’un Pierre Bourdieu ou de ses épigones [23].

Par ailleurs, cette éthique de la discussion tend à privilégier, contre l’antagonisme des intérêts et la pluralité des convictions morales, la recherche du consensus. Ces présupposés consensuels ne sont pas très éloignés de ceux qui animent Rawls [24] et restent marqués par l’influence des Lumières.

Faut-il alors « penser avec Habermas contre Habermas », comme Yves Sintomer nous y invite ?

La faiblesse mais aussi la force de la critique habermassienne tiennent à ce que le concept d’agir communicationnel, englobant à la fois le factuel et le normatif, s’inscrit dans un projet de réhabilitation de l’éthique politique. Sa force tient aussi à ce que son système souligne que la délibération démocratique « a sa logique propre, qui n’est pas d’ordre agrégatif. Elle n’est pas un marchandage, elle met en jeu des opinions qui se forment, s’éduquent et se modifient dans sa dynamique. (…) Ce qui est convaincant dans la notion de société ‘post-traditionnelle’ avancée par Habermas, ce n’est pas l’idée d’une fin des mythes et des traditions, c’est la conviction que toute tradition, que toute norme, peut en principe être légitimement contestée ou soumise à critique. (…) L’espace public (…) constitue un cadre qui ne peut se réduire aux majorités déterminées qui se forment en son sein, il représente une source d’où jaillit la légitimité et qu’aucune légalité particulière ne parvient à épuiser » [25].

En même temps, la démocratie est un mode de gouvernement « raisonnable », certes parce qu’elle permet la formulation d’un consensus provisoire, mais plus encore parce qu’elle domestique les dissensions, parce qu’elle canalise la violence et le conflit dans des limites acceptables par tous, qui évitent de déboucher sur une guerre civile ou sur une dictature.

Recentrant l’attention sur les problèmes de légitimation, on devine d’ores et déjà l’intérêt de ce cadre théorique pour penser la crise actuelle de la représentation politique, observable dans de nombreux pays ayant pourtant derrière eux un long passé de formalisme politique démocratique. Pour penser aussi les aspirations portées par des mouvements comme le féminisme, les chômeurs, les sans-papiers, ou les mobilisations contre la mondialisation libérale des échanges qui se développent depuis Seattle. Derrière l’ensemble de ces manifestations partielles, fragmentées, un regard optimiste peut y déceler les signes d’une recomposition en cours d’un nouvel espace public, qui déborde les frontières classiques des espaces publics nationaux.

Au-delà de l’état-nation.

Les trois articles rassemblés dans cet ouvrage donnent tout particulièrement à son contenu une impression de répétitions au moins partielles, qui ne doit pas pour autant en décourager la lecture [26].

Un regard malgré tout optimiste sur notre contemporanéité.

Les deux  premiers textes de cet ouvrage [27], « Tirer la leçon des catastrophes ? Rétrospective et diagnostic d’un siècle écourté », et « La constellation postnationale et l’avenir de la démocratie », sont extraits d’un volume, Die postnationale Konstellation. Politische Essays, paru en 1998 à Francfort.

En dépit de son intitulé, la première contribution repose sur un constat relativement optimiste. Croissance démographique explosive du tiers monde, tertiarisation et urbanisation sauvage, imprévisibilité des conséquences des progrès scientifiques et techniques, guerre froide poursuivie aujourd’hui encore à travers le débat historiographique, totalitarismes, Holocauste et génocides : autant de constats qui ne doivent pas faire « disparaître la singularité de l’unique événement qui non seulement divise chronologiquement le siècle, mais encore représente une ligne de partage du point de vue économique, politique et surtout normatif : je pense à la défaite du fascisme. (…) La victoire et la défaite (c’est un Allemand qui parle) de 1945 ont durablement déprécié les mythes qui ont été mobilisés à une large échelle pour dénoncer l’héritage de 1789 » [28]. Optimisme et triomphe de la raison toujours, pour Habermas, que l’on retienne l’accord de Reykjavik entre Reagan et Gorbatchev qui aurait pu faire place à une aventure militaire de la part de l’ex-URSS, ou encore les péripéties ayant malgré tout abouti à la décolonisation, ou l’extension des droits sociaux dans le cadre de l’Etat-providence.

Ce regard optimiste sur notre contemporanéité doit pourtant être relativisé, à la lumière de la crise qui affecte en particulier cet Etat-providence (Habermas utilise le terme d’Etat social) un peu partout dans le monde développé, à partir des années 80. La réorientation des politiques économiques vers l’offre au détriment de la demande et ses conséquences (dérégulations, privatisations, flexibilité, pauvreté et précarité) se traduisent par un éclatement des solidarités sans lesquelles « les sociétés à culture démocratique ne peuvent guère développer l’universalisme qui les caractérise » [29].

Pour Habermas, la « mondialisation » transforme structurellement le système de l’économie mondiale et limite le rayon d’action des acteurs de l’Etat-nation. Habermas, au prétexte que le keynésianisme dans un seul pays ne fonctionne plus, exclut pourtant un peu rapidement deux options traditionnelles de l’Etat-nation : le protectionnisme et les politiques économiques fondées sur la demande.

Ces deux points méritent discussion. La plupart des observateurs s’accordent à reconnaître, aujourd’hui encore, la persistance de pratiques protectionnistes occultes, ou déguisées derrière des réglementations hygiéniques ou sanitaires. Quand aux politiques économiques privilégiant la demande, si elles échappent au cadre strictement national, elles ne sont pas sans lien avec les fluctuations monétaires observées entre grandes aires géographiques transnationales. Les taux d’intérêt ou les taux de change du yen ou de l’euro vis-à-vis du dollar se répercutent largement sur les balances commerciales, favorisant ou défavorisant l’investissement, les marchés intérieurs et les capacités exportatrices. Les conséquences de la stabilisation du franc par rapport au mark dans le cadre de l’euro - avec en particulier la détente sur les taux d’intérêt qu’elle a permise - en sont un bon exemple [30].

Il n’en reste pas moins vrai que l’Etat-nation, ouvert au cours du XIXe siècle aux formes démocratiques de légitimation, puis étendu dans l’après-guerre à l’Etat social, voit aujourd’hui ses fonctions menacées. D’où l’interrogation conclusive de cette première partie : « Au-delà de l’Etat-nation ? ».

La création d’unités politico-économiques regroupant plusieurs espaces nationaux, comme l’ALENA ou l’Union européenne, constitue une réponse défensive et limitée à cette difficulté, en créant des espaces économiques élargis et intégrés, mais toujours régulés par les marchés. Elle ne se prolonge pas, en l’état actuel, par la formation d’une volonté politique à l’échelle de la planète.

Quelles pistes de solution avance alors Habermas ? La solution in abstracto consisterait à transférer les fonctions remplies par les Etats-providence nationaux à des instances supranationales contraignant les économies nationales à prendre en compte certains critères sociaux. Un tel projet devrait « simuler une péréquation des charges et des revenus acceptable par tous, tout en esquissant la forme que pourraient prendre les procédures et les pratiques susceptibles de la mener à bien » [31].

Face à des « conflits d’intérêts irréconciliables », cette démarche est subordonnée à l’institutionnalisation de procédures permettant la formation d’une volonté transnationale. Sa mise en œuvre « se fera moins à l’initiative des élites gouvernantes en place qu’à celle des populations elles-mêmes » [32].

Habermas se défend de verser dans l’utopie. Il se réfère à l’exemple de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme par l’ONU, Déclaration qui condamne les guerres offensives et les crimes contre l’humanité, et qui a pu acquérir une efficacité normative propre, même si cette efficacité reste faible. Si une « politique de redistribution des charges est indispensable », elle ne s’opérera pas sous la forme d’un Etat mondial, mais sur la base d’une « solidarité cosmopolite ».

Pour que les élites prennent une telle initiative, « une réforme préalable des orientations axiologiques de la population est nécessaire. C’est pourquoi les premiers destinataires d’un tel ‘projet’ ne sont pas les gouvernements, mais les mouvements sociaux et les organisations non gouvernementales, autrement dit les membres actifs d’une société civile qui ignore les frontières nationales » [33].

Deux remarques pour conclure provisoirement sur cette première contribution. On mesure d’abord combien cette analyse concrète de la conjoncture présente s’inscrit dans le prolongement de sa critique théorique : Habermas en appelle à la création d’un nouvel espace public, international cette fois – « cosmopolite » pour reprendre ses propres termes, en échos à ses références kantiennes. On ne peut ensuite qu’être frappé par l’adéquation de cette problématique avec le rôle nouveau des ONG tel qu’on peut l’observer depuis l’échec du sommet de l’OMC. Je rappelle que la version allemande de ce texte a été publié en 1998, un an avant les événements de Seattle et leurs prolongements ultérieurs, à Davos, Washington, Genève, Bangkok ou, plus près de nous, Prague et Nice.

La « constellation postnationale ».

La question philosophique posée par le droit rationnel – Comment réaliser, grâce au droit positif, une association de citoyens libres et égaux ? – « engendre une attente d’émancipation, laquelle attire l’attention sur les résistances qu’offre une réalité apparemment irrationnelle » [34]. L’étude de ces résistances, celle des tensions, des conflits et des contradictions qu’elles engendrent constitue l’objet même de la sociologie.

Incapables d’apporter des solutions, les responsables politiques (allemands, en l’occurrence) tentent aujourd’hui de désamorcer le regard critique qui transforme ces résistances en « défis » [35].

Les problèmes actuels (pauvreté, chômage, crimes racistes, disparités Nord/Sud accrues, libanisation et conflits ethno-nationalistes, etc.) ne peuvent toutefois devenir des demandes « politiques », pour Habermas, qu’à deux conditions. Il faut d’abord qu’il existe un destinataire qui se croit – et que l’on croit – encore capable d’entreprendre une transformation clairement orientée de la société. Il faut ensuite que se développe une « volonté citoyenne » qui donne au concept juridique d’auto-législation une dimension politique. C’est pour Habermas la réunion de ces deux conditions qui a porté, dans l’après seconde guerre mondiale, le projet politique réformiste « social-démocrate » en appelant à une société « juste ». Il se réfère ici nommément à Rawls.

Les tendances qui annoncent une « constellation postnationale » ne nous apparaissent comme des « défis politiques » - plutôt que des « projets » réalisables hic et nunc - que parce que nous les envisageons dans le cadre familier de l’Etat-nation. Il s’agit d’élaborer une « réponse politique » face aux défis posés par une constellation postnationale déjà largement réalisée sur le plan économique.

Habermas va développer son argumentation en cinq temps.

1) Quels sont les traits classiques et les conditions d’existence de l’Etat-nation ?

Passons rapidement sur ce premier point qui reprend de façon synthétique une évolution connue.

L’Etat moderne est d’abord né en tant qu’Etat administratif (renvoyant à une spécialisation fonctionnelle, lui permettant de prendre des décisions engageant la collectivité) et en tant qu’Etat fiscal (pour assurer le financement des fonctions administratives).

L’Etat territorial vient délimiter à la fois le peuple – comme sujet d’une autolégislation – et la société – comme objet sur lequel s’exerce cette autolégislation. La Nation complète ensuite cet ancrage géographique par une intégration culturelle [36].

L’association entre sujets de droits libres et égaux s’achève enfin avec la légitimation démocratique. En même temps, cette légitimation débouche sur une « dialectique égalité juridique/égalité réelle » qui appelle le rôle correcteur de l’Etat social (l’Etat-providence).

2) Comment la mondialisation affecte-t-elle cette construction ?

Si l’Etat national se maintient lorsqu’il s’agit de garantir le droit de propriété, ses fonctions administratives sont en revanche confrontées à des risques qui ne respectent aucune frontière (Tchernobyl, pluies acides, criminalité organisée, etc.) tandis que ses fonctions fiscales sont tributaires de la pression de capitaux de plus en plus mobiles.

A travers la formation des blocs militaires ou le développement des réseaux économiques, on a vu naître des « régimes » (des instances politiques) qui permettent de « gouverner au-delà de l’Etat national » : FMI, Banque mondiale, GATT, bureaux spéciaux de l’ONU, ALENA, ASEAN, Union européenne, compensant ainsi les pertes en matière d’autonomie que subit l’Etat national.

Avec ce passage du niveau national au niveau supranational, « de tels changements de compétence font brutalement apparaître des déficits de légitimité » [37]. C’est sur ce vide que ce sont développées les premières ONG comme le World-Wide Fund for Nature, Greenpeace ou Amnesty International.

A ce déficit démocratique, s’ajoute le fait que la mondialisation affecte aussi « le substrat culturel de la solidarité entre citoyens, tel qu’il s’est développé dans le cadre de l’Etat-nation » [38].

D’un côté, à travers les médias, une prise de conscience mondiale des écarts entre la prospérité du Nord et la pauvreté du Sud aboutit à une accélération des flux migratoires, qui provoque en retour un durcissement des identités nationales, y compris dans les sociétés multiculturelles. « Erigée en culture nationale, la culture majoritaire doit se dissocier de la fusion dans laquelle elle est entrée, pour des raisons historiques, avec la culture politique générale » [39]. La solidarité des citoyens n’est plus fondée sur des « traits substantiels communs » liés aux origines de la communauté. Elle tend à se réduire à un « patriotisme constitutionnel » abstrait. Les péripéties de l’élection du successeur de Clinton et l’acceptation apparente de ces péripéties par le peuple américain, toutes classes sociales confondues, illustre bien cette réduction de la citoyenneté à un patriotisme constitutionnel abstrait [40].

D’un autre côté, avec la mondialisation des marchés et la consommation de masse, on observe une dialectique nouvelle « entre le nivellement et la différenciation créatrice » [41]. Face à la pression uniformisante de la mondialisation, les cultures locales adaptent des réponses différenciées, créant « une diversité nouvelle de formes hybrides », « en perpétuelle construction », qui « accroissent les forces centrifuges à l’intérieur de l’Etat national ». D’où, pour Habermas, la nécessité de « défaire la symbiose entre républicanisme et nationalisme » et d’ « associer l’esprit républicain de la population à une forme de patriotisme constitutionnel », si l’on souhaite préserver une solidarité citoyenne minimale. On voit cette fois encore à quel point Habermas rejoint une certaine lecture de Rawls, différente toutefois de celle que ses exégètes français ont mis en avant pour opposer l’ « équité » à l’ « égalité ».

L’ordre démocratique ne requiert donc pas nécessairement « un ancrage mental dans la ‘nation’ entendue comme communauté prépolitique fondée sur un destin partagé », l’Etat démocratique palliant, dans une optique libérale, les lacunes de l’intégration sociale par la participation politique de ses citoyens. A une condition pourtant : que le processus démocratique satisfasse « aux critères reconnus de la justice sociale ». L’Etat social ne remplit donc pas seulement une fonction de redistribution, il « assume aujourd’hui une fonction de légitimation qui n’est pas négligeable » [42].

La mondialisation libérale, en imposant « une course folle à la dérégulation par l’abaissement des coûts », n’entraîne pas seulement une remise en question du type et du champ des interventions de l’Etat-providence. « L’éviction de la politique par le marché » se traduit par une crise profonde de la légitimité de l’Etat national.

« Il est temps de changer les choses » proclament Bill Clinton ou Tony Blair. Et Habermas de constater : « Au vide sémantique d’une politique ainsi réduite au ‘changement’ correspond, chez l’électeur, l’abstention informée ou l’éloge du ‘rayonnement personnel’ » [43], avant de terminer ce développement en citant les cas de Ross Perot et de Silvio Berlusconi.

3) Réagir, en ne perdant pas de vue l’équilibre nécessaire entre l’ouverture et la fermeture sur les formes de vie fondées sur l’intégration sociale.

C’est probablement dans ce développement et ceux qui suivent que réside l’apport le plus original de la réflexion habermassienne.

« L’image du maître du territoire qui perd le contrôle de ses frontières a suscité deux stratégies rhétoriques, opposées l’une à l’autre » : la rhétorique défensive (protectionnisme, fermeture à l’immigration, repli sur une culture autochtone), et la rhétorique offensive (ouverture des frontières, émancipation libertaire des individus). Habermas les renvoie dos à dos et prône un engagement des Etats nationaux qui s’appuie moins sur la « solidité des frontières » que sur « l’interférence entre deux formes de coordination de l’action sociale » : celle des « réseaux » (le mondial) et celle des « mondes vécus » (les sociétés nationales).

Les marchés et les réseaux multiplient les échanges avec d’autres, bouleversant les normes qui étaient intersubjectivement partagées et les valeurs communes, entraînant un « changement de forme de l’intégration sociale » [44]. Avec un sentiment ambivalent pour ceux qui vivent ce bouleversement, partagés entre leur émancipation vis-à-vis de dépendances rétrospectivement vécues comme contraignantes sinon autoritaires, et leur nouvel isolement ou insécurité par rapport aux solidarités antérieures.

Cette libéralisation risque d’engendrer de nouvelles « pathologies sociales » si on ne procède pas à une réorganisation du monde vécu. La solidarité citoyenne doit pouvoir « se régénérer au niveau plus abstrait d’un universalisme sensible aux différences » [45].

Habermas reprend alors la thèse développée par Karl Polanyi dans La grande transformation, selon laquelle le fascisme serait une tentative de fermeture politique à retardement, à la suite de l’effondrement du système de libre-échange fondé sur une monnaie or à taux fixe. Le régime monétaire de Bretton Woods aurait à l’inverse réussi l’instauration d’un dispositif de fermeture politique à l’échelle de la planète, aujourd’hui confronté à une nouvelle ouverture par les marchés financiers et une redéfinition de la division internationale du travail.

La question actuelle est alors celle « de la possibilité de réaliser la fermeture politique d’une société mondiale hautement interdépendante et formant un réseau à l’échelle de la planète, cela sans provoquer de régression » du type des expériences fascistes des années trente [46]. Il faut pour cela « prêter attention à cet équilibre très particulier entre ouverture et fermeture qui a caractérisé les étapes relativement heureuses de l’histoire de la modernisation européenne » [47].

4) En quoi l’Union européenne préfigure-t-elle une démocratie postnationale ?

Habermas distingue quatre positions vis-à-vis de la construction européenne, renvoyant à des degrés différenciés d’adhésion à la démocratie postnationale : les eurosceptiques (qui considèrent prématurée la création d’une monnaie unique), les europhiles (qui acceptent l’euro comme achèvement d’un grand marché et souhaitent en rester là), les eurofédéralistes (qui veulent la légitimité d’une constitution politique), et les cosmopolites (qui considèrent l’Etat européen comme le fondement d’un régime basé sur des traités internationaux, mettant en place « une politique intérieure à l’échelle de la planète ».

Ces positions se concrétisent dans des réponses divergentes qui apparaissent à l’occasion de débats précis. Habermas en retient quatre, comme préalables.

La thèse défendant la fin de la société fondée sur le travail.

Soit on la nie purement et simplement, et « on libère le politique de la tâche de procéder à une restructuration radicale du système de redistribution » [48]. L’Etat se contente d’intervenir pour réduire les coûts, dans un sens favorable au capitalisme.

Soit on la conteste, mais les arbitrages imposés par une redistribution radicale ne peuvent être réalisés dans un cadre national. Ils supposent des démarches concertées au niveau international.

La controverse entre justice sociale et efficacité économique.

Le néolibéralisme est une théorie normative qui se réclame d’un concept de justice fondée sur l’échange (en référence au droit contractuel, qui garantit la liberté). Dans l’abstrait, le marché est censé assurer la transparence des informations et l’égalité des chances, alors que « les marchés réels reproduisent - et accroissent - les avantages comparatifs, préalablement établis, des entreprises, des ménages et des personnes » [49].

L’Union européenne peut-elle compenser les compétences amoindries des Etats nationaux ?

Il n’existe pas, pour un espace donné, une et une seule combinaison optimale des ressources (main-d’œuvre, capital, matières premières). Cette optimisation économique ne passe pas nécessairement par une réduction des coûts, et laisse des marges de manœuvre à l’Etat national (soutien à l’innovation, formation de la main-d’œuvre, infrastructures d’accompagnement, impôts négatifs sur les bas revenus, etc.).

Par ailleurs, la Commission, le Conseil des ministres et la Cour européenne ont d’ores et déjà mis en place un tissu serré de régulations harmonisant les régimes nationaux de l’Etat-providence, pour les rendre compatibles avec un grand marché intérieur. La question est alors celle de savoir si ces régulations se poursuivront sur la base d’une intégration négative (avec un nivellement par le bas, et tous les risques politiques inhérents), ou bien sur la base d’une intégration positive, visant à corriger le marché ? Les eurosceptiques justifient leurs réserves mettant en avant l’échec des tentatives successives pour créer une « Europe sociale ». Les euro-optimistes invoquent la Politique agricole commune ou les fonds structurels redistribués aux régions.

Face à ces constats discordants, l’évolution dépendra de la capacité des eurofédéralistes à projeter, au-delà du statu quo, « une image de l’Europe future qui éveille l’imagination et suscite, dans les différentes arènes nationales, un débat public autour d’un thème commun, dramatisé à grande échelle » [50].

Une légitimité démocratique postnationale incarnée par une Constitution est-elle envisageable ?

Si l’espace européen bénéficie encore d’une indépendance économique relativement importante par rapport à la concurrence mondiale, il n’est en revanche pas la base territoriale d’une légitimation européenne démocratique. Peut-il le devenir et à quelles conditions ?

Le passage à une communauté politique dotée de sa propre Constitution « requiert non seulement - au-delà des espaces publics nationaux - une procédure démocratique, mais encore une pratique commune de formation de l’opinion et de la volonté, nourrie aux racines d’une société européenne de citoyens et développée dans une arène européenne » [51].

Il n’existe pas de « peuple européen », dans le sens d’une « communauté prépolitique » partageant une histoire et un destin communs dans un cadre national. Toutefois, si la nation renvoie à une « identité collective qui se nourrit encore des projections d’une communauté d’origine » [52], elle est aussi le produit d’une identité construite, à partir du droit et des médias de masse, comme le montre la création, au XXe siècle, d’un certain nombre d’Etats.

Habermas précise : la construction d’une identité européenne ne sera pas la conséquence directe des interdépendances économiques. Avant d’en arriver à une Constitution définissant et organisant les compétences respectives des Etats nationaux et de l’Etat européen, il faut enclencher un processus de légitimation sur la base de ce nouvel espace territorial, à partir des partis politiques, des ONG, des syndicats, des mouvements de citoyens, des médias, des systèmes éducatifs nationaux existants, etc.

L’histoire européenne crédibilise ce processus d’apprentissage [53].

5)  Les limites d’un Etat fédéral européen.

Un Etat fédéral européen, en supposant qu’il existe, ne correspondrait qu’à une alliance défensive plus efficace, sans changer fondamentalement la logique de la mondialisation néolibérale.

Les crises récentes au Mexique et en Asie ont fait apparaître un besoin de réglementation des marchés monétaires et financiers, sans pour autant que les Etats manifestent la volonté et la capacité d’adapter des régulations appropriées. Habermas prend l’exemple de la taxe Tobin.

Une instance internationale « limitant la concurrence sauvage » et dotée d’une « capacité de régulation redistributive » n’existe pas.

Les pouvoirs contraignants de l’ONU sont quasiment inexistants. On peut imaginer un gouvernement mondial doté par l’élection d’une légitimité démocratique. Un tel gouvernement ne correspondrait pas pour autant à une identité renvoyant à une citoyenneté universelle, fondée sur « une dimension commune, d’ordre éthico-politique » [54].

Il faut, pour Habermas, d’un côté rejeter l’utopie d’un gouvernement mondial, et, de l’autre, repenser les processus de légitimation tels qu’ils s’exerçaient et s’exercent toujours, dans le cadre de souverainetés nationales, incarnés par des consultations électorales.

Il propose ici deux pistes possibles.

D’une part, il suggère que les procédures mises en œuvre dans les négociations internationales soient ouvertes, de telle sorte qu’elles soient en elles-mêmes un élément de légitimation : « A tout le moins peut-on ainsi obtenir de force - comme dans le cas des conférences au sommet de l’ONU sur l’environnement, sur l’égalité entre les sexes, sur l’interprétation controversée des droits de l’homme, sur la pauvreté dans le monde, etc. - que soient discutées les matières qui doivent faire l’objet de réglementations et qui, sans de telles mises en scène, ne sont ni perçues ni inscrites sur l’agenda politique » [55].

D’autre part, on ne saurait s’en remettre aux élites politiques, avant tout attentives à leur réélection. Il faut que, dans les sociétés civiles nationales, se développe préalablement « une conscience de la solidarité cosmopolitique ». Les premiers concernés par cette conscience « cosmopolitique » sont les citoyens et les mouvements sociaux. Quant aux partis politiques, ceux « qui refusent de se cramponner au statu quo ont besoin d’une perspective qui les dépasse. (…) Il leur faut, en effet, anticiper les marges d’action de l’Europe, et ce dans le cadre national, le seul dans lequel ils puissent aujourd’hui agir. Il leur faut créer cet espace européen de façon programmatique, en poursuivant un double but : créer une Europe sociale, et faire en sorte qu’elle jette tout son poids dans la balance du cosmopolitisme » [56].

L’Etat-nation européen sous la pression de la mondialisation.

Cette dernière contribution, plus courte, reprend largement l’argumentation qui précède. Elle ajoute des éléments de réflexion sur les convergences ou les divergences tactiques, observables dans la période récente sur la scène politique des principaux Etats européens.

Habermas dénonce la troisième voie défendue par Tony Blair, cette « nouvelle gauche » adoptant en définitive « les représentations éthiques du néolibéralisme » [57].

Pour lui, « l’opposition centrale entre eurofédéralistes (favorables à l’adoption d’une Constitution européenne) et europhiles (qui souhaitent en rester à l’union douanière et monétaire existante) se complique (…) du fait que ces derniers forment une coalition tacite avec d’anciens eurosceptiques qui cherchent, sur la base de l’union monétaire existante, une troisième voie. Et il semble bien, en effet, que Tony Blair et Gerhard Schröder ne soient plus très éloignés de Hans Tietmeyer » [58].

Habermas parle de son point de vue, d’Allemagne, mais on pourrait aussi souligner la convergence observée en France, entre des eurosceptiques néolibéraux comme Pasqua, et des eurosceptiques dirigistes comme Chevènement, ou sur la rencontre entre Bayrou et Cohn-Bendit, convergences qui, en l’état actuel, ne contribuent pas à clarifier le débat.

Habermas souligne à nouveau les limites d’une Constitution européenne, tant que n’aura pas été créé « un élargissement des bases de la solidarité »  à tous les citoyens de l’Union, « de telle sorte que, par exemple, (…) Suédois et Portugais se sentent responsables les uns pour les autres » [59].

De toute façon, le type d’Etat fédéral éventuellement adopté ne pourra pas se faire sur le modèle des Etats fédéraux existants. L’accord entre Etats-nation membres étant un « élément clé » dans cette construction et son point de départ nécessaire, c’est d’abord dans le cadre des arènes politiques nationales que devra être développée une prise de conscience des intérêts qui dépassent les frontières. En même temps, « ce débat doit être synchronisé dans les espaces nationaux formant réseau dans toute l’Europe, de telle sorte que l’on parle des mêmes thèmes aux mêmes moments ; c’est ce qui permettra à une société de citoyens de se former à travers des groupements d’intérêts, des organisations non étatiques, des initiatives civiques, etc. » [60].

Il y a là un appel à vivifier le débat politique au sein de la société civile, dont nous avons vu qu’il correspond à une constante dans la pensée d’Habermas, mais qui est aussi en phase avec certaines mobilisations citoyennes de type nouveau, observables en France mais aussi chez nos voisins ou aux Etats-Unis, à partir de préoccupations environnementales ou humanitaires.

Il termine en revenant sur les limites d’un Etat fédéral européen, qui obtiendrait au mieux des « effets d’échelle », « des avantages comparatifs dans le cadre de la concurrence mondiale », sans remettre en question les incohérences et les conséquences néfastes de cette dernière. On rejoint une autre constante chez lui : l’agir communicationnel doit assumer une dialectique de national et de l’international, du national et du « cosmopolitisme » pour reprendre ses propres termes.

Pour conclure…

Quand on prend l’ensemble des écrits d’Habermas, auteur particulièrement prolixe, un mot est rarement présent, « conflit », et une expression quasiment absente : « rapport de forces ».

Bien qu’il s’en défende et prenne beaucoup de précautions dans son argumentation, il y a chez lui une certaine idéalisation de la raison et du rôle du droit, héritage d’un néo-kantisme qui le rapproche de Rawls [61]. On a le sentiment, en le lisant, que le droit est doté d’une autonomie normative agissant en retour sur la société. Pour reprendre ses termes, la validité l’emporte sur le factuel. Le droit n’est pas analysé comme un arbitrage visant à stabiliser provisoirement des conflits d’intérêts ancrés dans l’économie. Quelle que soit la radicalité dont il se réclame dans sa critique, on est en présence d’une pensée fondamentalement consensuelle et contractuelle, dans la postérité des Lumières plus que dans celle de Hobbes.

Une question reste en suspens chez Habermas : le politique doit-il se borner à corriger en aval les excès du marché, ou bien doit-il au contraire se substituer au marché pour imposer des choix et des arbitrages en amont, dans des domaines concernant un certain nombre de besoins, ou encore pour imposer des solidarités transnationales ou intergénérationnelles ? En même temps, il dénonce l’impuissance affichée des réformistes et en appelle à un normativisme cosmopolitique, seul à même de véritablement contrer la « morale du marché » revendiquée par les néolibéraux.

Par ailleurs, on l’a longuement évoqué, son souci de se démarquer de Marx - en accordant un rôle premier à l’agir communicationnel qui se développe dans l’espace public - le conduit à une compréhension réductrice à la fois de l’économie et des processus de légitimation. A la séparation entre infrastructure et superstructures, notamment idéologiques, il substitue en définitive une autre séparation entre, d’un côté, l’économie, qui relève d’une régulation systémique grâce au seul média de l’argent, et, de l’autre, l’espace public, où se jouent l’actualisation normative et les processus de légitimation.

L’intérêt du dernier livre d’Eve Chiapello et de Luc Boltanski est précisément d’insister sur les jeux et les enjeux en termes de légitimation qui se situent dans l’économie, aussi bien au niveau macro qu’au niveau micro, dans l’entreprise. Les déboires de Nike, de Monsanto ou de Totalfina  illustrent bien cela.

Il n’en reste pas moins que la démarche d’Habermas est un plaidoyer volontariste pour fonder la démocratie, contre une régulation effectuée par les seuls marchés et au profit exclusif de ceux-ci. Il est injuste de réduire son approche à une justification théorique de la « Troisième voie » élaborée par Anyhony Giddens [62].En recentrant l’attention sur la notion d’espace public et en s’efforçant de développer, à propos de ces espaces publics, une dialectique du « national » et du « cosmopolite », son apport éclaire la conjoncture politique présente et esquisse des perspectives pour les nouvelles formes de mobilisation qui apparaissent à partir de l’échec de l’OMC à Seattle. Par ailleurs, sa tentative pour fonder philosophiquement la nécessaire constitution d’un espace public transnational - « cosmopolitique » - évite de verser dans l’élaboration de propositions institutionnelles concrètes qui, en l’état actuel, risquent de rester utopiques [63]. Cet espace public n’en est qu’à ses prémisses ; on ne saurait donc reprocher à Habermas, comme le fait Bertrand Badie, de ne pas en fournir une définition claire et précise [64], sauf à tomber dans cette utopie que, précisément, Habermas refuse.

Bien que la notion de « rapport de forces » soit absente dans ses écrits, il se montre sans illusion par rapport aux élites politiques au pouvoir quant à leur volonté de vivifier les espaces publics existants et de les élargir. Il s’en remet d’abord, pour cela, à l’initiative des citoyens de base.



[1] Rendant compte dans Le Monde, daté du 8 décembre dernier, d’une conférence ayant réuni Jürgen Habermas, Dominique Schnapper et Alain Touraine, Daniel Vernet insiste sur la similitude des positions défendues par le philosophe de Francfort avec celle des manifestants rassemblés à Nice à l’occasion du sommet européen.

[2] L’espace public. Archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, Paris, Payot, 1978, p. 260.

[3] Jürgen Habermas, La technique et la science comme « idéologie », Paris, Gallimard, 1973, p. 30 (1ère édition allemande en 1968, reprenant des articles écrits entre 1964 et 1968).

[4] Idem, p. 38.

[5] Idem, p. 55

[6] Yves Sintomer, La démocratie impossible ? Politique et modernité chez Weber et Habermas, Paris, La Découverte, 1999, 404 p.

[7] « Depuis son premier ouvrage sur l’espace public jusqu’à sa dernière œuvre maîtresse, Droit et démocratie, la question démocratique a été le centre de la théorie politique du philosophe de Francfort et peut être considérée comme le problème pratique à partir duquel celle-ci fut édifiée », Idem, p. 15.

[8] Jürgen Habermas, Après Marx, Paris, Fayard, 1985, 340 p.

[9] Idem, p. 64.

[10] « Les fonctions d’intégration sociale et d’expression, d’abord remplies par la pratique rituelle, passent dans l’agir communicationnel : dès lors, l’autorité du sacré est progressivement remplacée par l’autorité d’un consensus tenu pour fondé à une époque donnée », Théorie de l’agir communicationnel, Tome 2, Pour une critique de la raison fonctionnaliste, Paris, Fayard, 1987, p. 88.

[11] « La pensée philosophique provient du devenir réflexif de la raison incorporée dans la connaissance, dans la parole et dans l’action », Théorie de l’agir communicationnel, Tome I, Rationalisation de l’agir et rationalisation de la société, Paris, Fayard, 1987, p. 17.

[12] Idem, p. 19-20.

[13] Idem, p. 20.

[14] Idem, 20-21.

[15] « Au niveau métathéorique, elle sélectionne des concepts fondamentaux qui sont ajustés au phénomène de rationalité croissante du monde vécu moderne. Chez presque tous les penseurs classiques de la sociologie, les catégories qu’ils mirent en place dans leur théorie de l’action sont ainsi faites qu’elles puissent appréhender les aspects importants du passage de la ‘communauté’ à la ‘société’. Au niveau méthodologique, le problème de l’accès par la compréhension du sens au domaine d’objets constitué par les réalités symboliques est traité de façon correspondante ; la compréhension des orientations rationnelles de l’action devient l’horizon de référence pour la compréhension de toutes les orientations de l’action », Idem, p. 22.

[16] « Comme le jeune Hegel, Marx conçoit l’unité entre système et monde vécu sur le modèle de l’unité d’une totalité éthique scindée, dont les moments qui se sont abstraitement séparés sont condamnés à disparaître. (…) Marx conçoit à ce point l’économie capitaliste comme une totalité qu’il méconnaît la valeur propre, pour l’évolution historique, des sous-systèmes régulés par des médiums. Marx ne voit pas que la différenciation entre appareil d’Etat et économie représente aussi un niveau supérieur de différenciation du système, qui simultanément ouvre à de nouvelles possibilités de régulation », Théorie de l’agir communicationnel, Tome 2, p.373.

[17] Théorie de l’agir communicationnel, tome 2, p. 355.

[18] Aggravation de la crise de l’adolescence, cultures de la protestation et de l’abstention chez les jeunes, consécutives au nivellement de l’autorité paternelle. Création de nouveaux espaces publics au fur et à mesure que les mass médias « font sortir les processus de communication du provincialisme de contextes limités dans l’espace et le temps », Idem, p. 422 et suiv.

[19] Droit et démocratie. Entre faits et normes, Paris, Gallimard, 1997, p. 12 (1ère édition allemande en 1992.

[20] Idem, p. 19

[21] Yves Sintomer, op. cit., p. 188-189

[22] Idem, p. 139.

[23] Cf. entre autre Pierre Bourdieu, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard, 1982, p. 103-161.

[24] Cf. le débat entre ces deux auteurs, in Jürgen Habermas, John Rawls, Débat sur la justice politique, Paris, Cerf, 1997, 187 p.

[25] Yves Sintomer, op. cit., p. 380-381.

[26] « On ne cherchera pas (…) à savoir s’il était opportun de constituer des livres en recueillant et en traduisant des articles épars qui souvent sont mal articulés entre eux, se chevauchent ou se répètent partiellement. On profitera surtout de cette chance de dialoguer avec le grand sociologue et philosophe allemand, qui sait mettre à profit sa science de l’Etat sans tomber dans les facilités qui aujourd’hui appauvrissent le débat en l’emprisonnant, soit dans le dogme néo-libéral de la fin du politique, soit dans la vulgate de la statolâtrie, de l’intégrisme de l’Etat et du fondamentalisme de la Nation », Badie (Bertrand), « Vers la responsabilité cosmopolitique ? A propos d’Habermas, Après l’Etat-nation », Les Temps modernes, 610, septembre-octobre-novembre 2000, p. 95.

[27] Jürgen Habermas, Après l’Etat-nation. Une nouvelle constellation politique, Paris, Fayard, 2000, 149 p.

[28] Idem, p. 23.

[29] Idem, p. 29.

[30] Voir sur ce point Jean-Paul Fitoussi, Le débat interdit. Monnaie, Europe, Pauvreté, Paris, Arléa, 1995, 318 p.

[31] Après l’Etat-nation, op. cit., p. 35.

[32] « Il ne faut pas attendre que les élites gouvernantes opèrent un tel changement de perspectives, qui consiste à passer des ‘relations internationales’ à la mise en place d’une politique intérieure à l’échelle de la planète ; il faut plutôt que les populations elles-mêmes, dans leur propre intérêt bien compris, encouragent ce changement », Idem, p. 37.

[33] Idem, p. 39.

[34] Idem, p. 43.

[35] Idem, p. 44.

[36] « La conscience nationale apporte à l’Etat territorial (…) le substrat qui lui assure la solidarité citoyenne », Idem, p. 52.

[37] Idem, p. 62.

[38] Idem, p. 63.

[39] Idem, p. 67.

[40] Dans cette société multiculturelle par excellence que sont les USA, « la confusion actuelle sur le résultat des élections ne représente pas un danger. Il n’y a pas d’émeutes, personne n’en appelle à l’armée. C’est plutôt une bataille de mots. Le processus juridique semble aller très vite, les juges étant à l’écoute des deux parties », Abby Cohen, associée-gérant de Goldman Sachs et « gourou » de Wall Street, entretien au Monde du 21 novembre 2000.

[41] Après l’Etat-nation, p. 68-70.

[42] « A longue échéance, seul un processus démocratique qui munit les citoyens de droits à la fois appropriés et équitablement répartis pourra être considéré comme légitime et engendrer la solidarité. Pour rester source de solidarité, le statut du citoyen doit conserver une valeur d’usage et se monnayer en droits sociaux, écologiques et culturels », Idem, p. 71.

[43] Idem, p. 76.

[44] Idem, p. 80.

[45] Idem, p. 83.

[46] Idem, p. 84.

[47] Idem, p. 89.

[48] Idem, p. 94.

[49] Idem, p. 98 (souligné dans le texte).

[50] Idem, p. 104 (souligné dans le texte).

[51] Idem, p. 106 (souligné dans le texte).

[52] Idem, p. 108.

[53] « Plus que celui d’autres cultures, le développement de l’Europe, depuis la fin du Moyen Age, est caractérisé par des scissions, des différences et des tensions (…). Ces conflits aigus, souvent mortels, ont été - aux époques les plus heureuses - à la fois un aiguillon pour le décentrement des perspectives de chacun (…) et une motivation pour surmonter le particularisme, pour apprendre à pratiquer la tolérance et pour institutionnaliser les conflits. Ces expériences réussies d’intégration sociale ont marqué la conception normative qu’a d’elle-même la modernité européenne, cet universalisme égalitaire », Idem, p. 110-111.

[54] Idem, p. 118.

[55] Idem, p. 122-123.

[56] Idem, p. 123-124.

[57] Idem, p. 141.

[58] Idem, p. 144 (Hans Tietmeyer est Directeur de la Deutsche Bank au moment de la rédaction de ce texte).

[59] Idem, p. 146-147 (souligné dans le texte).

[60] Idem, p. 148.

[61] Selon Habermas, pour Rawls, « le libéralisme politique ou libéralisme de l’Etat de droit part de l’intuition selon laquelle l’individu et sa vie individuelle doivent être protégés contre toute intervention du pouvoir étatique (…) Tel que je comprends le républicanisme kantien, il part d’une intuition différente. Nul ne saurait être libre aux dépens de la liberté d’un autre. Dans la mesure où les personnes ne sont individuées que par le moyen de la socialisation, la liberté d’un individu ne peut pas être liée à celle de tous les autres d’une manière purement négative, définie par des limitations réciproques. Les délimitations correctes sont au contraire le résultat d’une auto-législation qui s’exerce en commun », Habermas (Jürgen), Rawls (John), op. cit., p. 186-187.

[62] Comme le fait Klaus-Gerd Giesen, « La constellation postnationale : Habermas et la seconde modernité », Les Temps modernes, 610, septembre-octobre-novembre 2000, p. 115-119.

[63] Contrairement, par exemple, à certaines propositions avancées par Jean-Marc Ferry, dans La question de l’Etat européen, Paris, NRF, Essais, 2000, 316 p.

[64] Badie (Bertrand), article cité, p. 102-103.