GROUPES LOCAUX - Deux Sèvres (79)

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Pour les beaux yeux de Sara Lee

Une histoire édifiante

 

A 40 km de chez nous une usine est promise à la fermeture, 132 salariés : l'usine Brossard à St Jean d'Angely.

132 salariés, ça frappe moins fort que Vilvorde sans doute. Mais à l'échelle d'une petite ville de 7.000 habitants, et des familles concernées c'est tout comme. Notons de surcroît que dans un triangle de 50 km on trouve aussi deux autres entreprises et petites villes en crise : à Surgères c'est "Cummins-Wartsilla", à St Vaize : "Hugonnet", et tout le Cognac.

Chez Brossard le personnel est en grève depuis 9 semaines (9 semaines !), soutenu par la population, les élus, les syndicats, bien sur.

 

Brossard fonctionnait bien, avec 3 unités de production : St Jean, Pithiviers, Castelsarrazin, ses lignes de production sont modernes, son personnel compétent, et l'entreprise fait du bénef.

Fait du bénef mais pas assez.

 

L'entreprise Brossard, créée en 31 par un patissier local passe entre d'autres mains au départ de son créateur pour tomber, en 97, dans le giron de Sara Lee Corporation.

Qui est Sara Lee Corp. ? Un géant américain (Chicago) de l'agroalimentaire et du textile, CA de 20 Milliards de $, Profits : 5 Milliards de $, 130.000 salariés dans le monde, ses produits sont distribués dans 140 pays.

Sara Lee c'est aussi (avis aux amateurs de boycott) Douwe Egbets, Eggs, Hillshire Farm, Jimmy Dean, Mr Turkey, Coach ...

Mais aussi : La Maison du Café, Cochonou, Justin Bridou (qui a une si bonne tête d'auvergnat), Reybier, Benenuts, jambon Aoste, Brossard, bien sur ...

Mais aussi : Dim, Chesterfield, Rosy, Cacharel, Champion, Wonderbra, Playtex, Hanes, Bali, Adams-Millis, Lovable ...

Mais aussi : Kiwi, Catch, Vapona, Williams (pour les raseurs), eau de toilette Savane, ligne de soins Sanex ...

Et j'oublie pas mal de sous-marques et non moins de marques ou d'appellations différentes selon les pays ...

Et je ne parle pas des marques que Sara Lee ne produit pas mais commercialise, ni des appellations des différentes chaînes de distribution ou de vente directe, de la simple boutique aux franchises de restauration rapide ...

Que se passe-t-il donc avec Brossard ?

Dès 1996 John Bryan, PDG de Sara Lee Corp. précisait ses objectifs : 15 % de retour sur capitaux investis, avec une pente annuelle de 8 % de croissance du bénéfice par actions et 20 % de rendement des fonds propres.

Après avoir fermé aux EU 90 sites de fabrication et supprimé 9.500 emplois, John Bryan avertissait : "les activités du groupe qui n'atteindront pas l'objectif de 15 % de retour sur capital investi devront être examinées afin de savoir s'il faut les restructurer, les fermer ou les vendre". (Fig. éco. 12/11/96)

 

La stratégie en œuvre est la suivante (c'est l'exemple Sara Lee, ici, mais il est assez répandu sur le modèle Coca Cola ou Nike) :

 

1er temps, croissance externe : Pour chaque ligne de produits : produits alimentaires, textile et habillement, entretien et cosmétiques, Sara Lee procède dans un premier temps par "croissance externe" en faisant son marché parmi les multiples marques en déshérence, fabriques en bon état dont la succession n'est pas assurée ou recourrant pour se développer à un financement boursier, "offert" à qui le souhaite.

 

2 ème temps, étude des performances : Sara Lee prend en main. Réforme s'il y a lieu des processus de production (il y a toujours lieu), dégraissages, révision des approvisionnements, des produits (on les "américanise" pour les rendre plus "globaux" c'est à dire exportables partout), des circuits et méthodes de commercialisation … et puis on regarde … peu de temps, parce que si l'objectif ne peut être atteint on le saura tout de suite.

 

3 ème temps, "déverticalisation" : Pour qui atteint la dimension permettant de jouer au niveau mondial, qui a déjà une position incontournable sur son marché, il n'est plus vraiment utile de consacrer de l'argent et de l'énergie à l'activité de production : ça occupe beaucoup trop de monde, et ça immobilise les sous.

Plutôt que de continuer à intégrer toutes les opérations, conception, fabrication, distribution, le groupe se concentre sur les seules activités du marketing et de la commercialisation. Il arrête ou vend les usines et sous-traite ses approvisionnements. Aux repreneurs éventuels il propose un contrat d'exclusivité pour 1 ou 2 ans, puis ensuite il fait jouer la concurrence, au gré des fluctuations monétaires, avec les pays où la fabrication coûte moins cher.

 

Les avantages de la "déverticalisation" ?

 

D'abord de faire baisser le prix du travail.

- Si on casse l'usine on perd sa valeur mais on a tout de suite les mains libres pour s'approvisionner ailleurs, moins cher ou, dans le cas Brossard, pour concentrer la fabrication dans 1 seul lieu, où l'on produira moins mais à un coût unitaire moindre. Dans tous les cas la valeur du travail dans le produit a baissé. A valeur de matières premières égale, la marge de bénéfice est plus grande. Or les matières premières baissent également …

- Si on vend l'usine, le repreneur pourra faire baisser le prix du travail (les salariés accepteront bien quelques sacrifices pour conserver l'emploi). Si Sara Lee achète la production au repreneur elle pourra peser sur son prix.. Mais à l'expiration du contrat elle sera libre d'acheter encore moins cher ailleurs. (Verra-t-on un jour des "boudoirs" asiatiques ou brésiliens ?

C'est de la "délocalisation" déguisée, dites vous ? Allons, Sara Lee achète, voyons, ce n'est plus elle qui produit !

- Si alors le repreneur est alors obligé de fermer l'usine, Sara Lee n'y sera pour rien. Et puis l'augmentation du chômage pèsera encore davantage sur le prix du travail en général par tous les "encouragements à la modération" que cette situation procure à ceux qui travaillent encore. Et les fabrications qui restent n'en deviendront que plus profitables.

- L'entreprise mère bénéficie à cette étape d'une structure dont le coût logistique, à terme, peut se trouver très allégé : quelques très bons hommes (ou femmes) de marketing centralisant les observations mondiales sur les segments de marchés visés, capables d'interpréter les goûts et schémas esthétiques locaux pour les faire converger vers les "canons" mondiaux, et des têtes de réseaux d'approvisionnement et de commercialisation.

 

Et un service financier, bien entendu, qui valorise l'ensemble, car ce n'est pas tout :

- En vendant, Sara Lee se fait de la trésorerie

- Avec la trésorerie disponible, elle rachète ses propres actions en Bourse.

- Elle peut les distribuer sous forme de stock-options à ses cadres les plus "méritants" et/ou …

- … elle réduit d'autant ses fonds propres et, à performance de profits égale, rémunère mieux chacun de ses actionnaires de référence (souvent les Fonds de Pension)

- Elle accroît ainsi sa crédibilité boursière et soutient son cours

- La rentabilité de ses capitaux propres sera encore accrue (par "effet de levier") si elle se refinance par l'emprunt (le taux de profit des capitaux propres étant supérieur au taux d'intérêt)

 

Qu'ajouter à cet édifiant tableau ?

"For Sara Lee Corporation, art is a way of life" affirme M. John Bryan qui a récemment reçu une distinction honorifique pour être l'un des bienfaiteurs du "Art Institute of Chicago".

M. Bryan n'est pas seulement un esthète mais un grand humaniste. Jugez plutôt :

"Women make up more than half the world's population and we therefore feel we have a special responsibility to women". Aussi la Fondation Sara Lee finance des programmes d'aide pour les femmes "qui veulent réaliser toutes leurs potentialités", en attribuant des "Awards" à des personnalités comme Madeline Albright, et en accordant des bourses pour l'Association des Professionnelles du Golf.

Et Sara Lee lutte aussi, bien entendu, contre la faim dans le monde, c'est bien le moins : "We take an active role in the campaing to eradicate hunger". Avec Second Harvest, Sara Lee Foundation approvisionne 180 banques alimentaires dans le monde.

La boucle est bouclée : la fabrique de pauvres achète aussi sa bonne conscience.

 

Voilà.

 

"Biscuits Brossard, chacun sa part" ! Mais à Sara Lee tout le gâteau.

 

Jean DUCOS

23/03/1999

 

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