GROUPES LOCAUX - Deux Sèvres (79)

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Un nouveau danger pour la cohésion sociale

L’INSTAURATION DES FONDS DE PENSION

 

(dossier de synthèse réalisé par Frank MICHEL pour ATTAC 79)

 

 

 

Lutter contre l’instauration des fonds de pension, c’est d’une part concevoir une répartition plus juste des richesses entre tous les citoyens du monde, et d’autre part s’opposer à la dictature des marchés financiers, dont la croissance anarchique, hors du contrôle des Etats et des Peuples, conduit inévitablement au chaos social, économique et écologique. Il est de l’intérêt de chacun (ou presque) de combattre cette logique financière sur tous les fronts ; la lutte contre les fonds de pension en est un parmi beaucoup d’autres.

 

 

 

Depuis une dizaine d’années, le débat sur les retraites est relancé de manière récurrente en France ; le vieillissement de la population, mais aussi les exigences de baisse du coût du travail, sont à l’origine de ce débat. Récemment, les réflexions ont pris une nouvelle tournure : le système des retraites par répartition est lui-même remis en cause. Au nom de l’efficacité, certains groupes de pression font progresser l’idée d’un système par capitalisation, seul à même, selon eux, de résoudre les problèmes démographiques et économiques posés aux systèmes par répartition. Pour se faire une idée sur des réformes viables et acceptables par le plus grand nombre, il est plus que jamais nécessaire de faire le point sur un vrai débat largement biaisé par des arguments fallacieux.

 

 

  1. Définitions : répartition, capitalisation et fonds de pension

 

  1. La répartition

 

Par leurs cotisations obligatoires, une génération d’actifs entretient une génération de retraités. L’idée repose sur la transmission d’une dette entre générations. Le système repose donc sur la confiance faite à ses enfants et sur la solidarité collective ; les actifs payent pour les inactifs, sur une base démographique large.

 

Les retraites par répartition ont pris de l’ampleur après la seconde guerre mondiale, sous l’impulsion du Conseil National de la Résistance, qui a élargit l’AVTS (Allocation des Vieux Travailleurs Salariés), créée par Pétain en 1941 à la suite de la faillite des systèmes par capitalisation, conséquence de la crise financière des années 30. En 1947, la retraite complémentaire des cadres s’organise d’emblée en système par répartition : l’AGIRC. Elle constitue une double rupture ; rupture avec la logique des régimes d’entreprise, rupture avec la logique de l’épargne préalable. L’AGIRC a rendu inutiles et impossibles sur une vaste échelle les régimes d’entreprise qui se sont développés dans d’autres pays.

 

Au départ, lorsque l’espérance de vie était inférieure à l’âge légal de départ à la retraite, le système assurait contre le " risque " d’être encore en vie à l’âge où l’entreprise vous jugeait trop vieux pour être rentable.

 

Le système par répartition s’est révélé efficace ; pendant 40 ans, il a permis une hausse continue du pouvoir d’achat des retraités et une protection des pensions contre l’inflation. En outre, la répartition participe à la construction du statut du salarié ; la pension est la continuation du salaire. Ainsi, le salarié n’est plus seulement une ressource à rentabiliser pour le capital ; c’est un individu valorisé sur tout le temps de sa vie.

 

  1. La capitalisation

 

Les systèmes par capitalisation reposent sur l’idée d’une épargne individuelle, généralement versée dans un régime d’entreprise abondé par l’employeur. Dans les pays anglo-saxons, il vient compléter un régime minimal - très faible - financé par l’impôt ou des prélèvements sociaux. Les retraites par capitalisation sont financées par un stock de capital accumulé qui doit être valorisé ; c’est ce stock de capital qui est à l’origine des fonds de pension.

 

Les partisans des fonds de pension les présentent comme le troisième étage du système français des retraites, en sus du régime général et des régimes complémentaires.

 

Dans ce système, seuls les hauts revenus sont prêts - et capables - d’épargner suffisamment pour leur vieillesse. Sachant que la moitié des salariés perçoit moins de 9 000 F par mois, la généralisation d’un tel système en France conduirait à un développement important des inégalités chez les retraités, à moins que l’Etat - ou les entreprises ? - participent à l’épargne-retraite des salariés les plus modestes.

 

  1. Les fonds de pension

 

Ce sont des organismes de placement collectifs qui financent les retraites des salariés dans de nombreux pays du monde. Ils se sont constitués soit à partir de fonds commun de placement qui ont développé une clientèle de futurs retraités, soit à partir de la fédération de régimes d’entreprises par capitalisation. Leur montée en puissance a été facilitée par le développement des marchés financiers à partir du début des années 80, conséquence de la déréglementation. Les fonds de pension détiennent aujourd’hui près du tiers des capitaux circulant dans le monde (voir ANNEXE 1).

 

 

  1. Les arguments pour l’instauration des fonds de pension

 

Les partisans des fonds de pension développent 3 séries d’arguments pour justifier leur mise en place et leur développement.

 

  1. Les arguments démographiques

 

 

L’allongement de la durée de la vie et la baisse du taux de natalité conduisent, dans les pays industrialisés, à un abaissement sensible du nombre d’actifs par retraité. La proportion des plus de 60 ans dans la population française devrait passer de 20% en 1998 (12 millions de personnes) à 21% en 2005 et à 28% en 2020 (16 millions de personnes).

Le nombre d’actifs par retraité passerait d’environ 2,5 en 1998 à 1,4 en 2040. Le coût des retraites devrait ainsi plus que doubler d’ici une vingtaine d’années.

 

Dans le contexte économique actuel, il est hors de question, selon les partisans des fonds de pension, de faire peser la nécessaire augmentation des cotisations sur le coût du travail ; la retraite par capitalisation et la constitution de fonds de pension seraient alors le moyen de sauver les retraites sans remettre en cause la compétitivité des entreprises.

 

  1. La protection des entreprises françaises

 

Avec la déréglementation des mouvements financiers, 40% du CAC 40 (valeurs en bourse de 40 grandes entreprises françaises) sont détenus par des fonds de pension anglo-saxons ou nippon. Selon les mois, 15% à 35% de la dette publique française sont également entre les mains de ces fonds de pension étrangers.

 

Selon les libéraux, cela constitue un danger pour nos entreprises (ah bon ? et le libre jeu du marché alors ?). L’exemple d’ALCATEL est édifiant : l’automne dernier, les fonds de pension anglo-saxons se sont massivement dégagés de son capital à l’annonce de bénéfices moins bons que prévu ; 4 milliards de francs au lieu de 6 milliards de francs.

 

Pour protéger les entreprises contre la volatilité des capitaux étrangers et le risque d’OPA hostiles, les fonds de pension français protégeraient le capital des entreprises françaises, par des investissements de long terme.

 

  1. Les fonds de pension assurent la sécurité des épargnants

 

Nul ne connaît aujourd’hui quel sera le niveau des richesses, le taux de croissance, l’évolution démographique, l’inflation, les taux d’intérêt... dans 20 ou 40 ans. D’où la nécessité de développer une épargne de précaution à travers les fonds de pension.

 

  1. L’instauration des fonds de pension : une argumentation fallacieuse

 

  1. Des arguments démographiques fragiles

 

Apparemment solide, l’analyse démographique développée par les partisans des fonds de pension est en fait biaisée :

 

  • Au cours des 30 prochaines années, l’augmentation du taux des personnes âgées sera la même qu’au cours des 30 dernières années, pendant lesquelles il n’y a pas eu de problèmes particuliers.

 

  • L’analyse démographique est incomplète si elle se limite aux seules personnes âgées. Pour estimer les capacités de cotisation par rapport aux bénéficiaires, il faut aussi tenir compte des jeunes et du chômage (voir les définitions dans l’ANNEXE 2) ;
  • Si effectivement le " taux de dépendance vieillesse " doit diminuer de 35% d’ici l’an 2020, le " taux de dépendance démographique " ne baisserait que de 10%. En effet, l’augmentation du nombre de retraités est en grande partie compensée par la diminution du nombre de jeunes à charge ; sur le plan économique, ce n’est pas neutre, même si cela n’apparaît pas sur le plan comptable dans l’équilibre du régime de retraites.
  • En dernier lieu, c’est le " taux de dépendance économique " qui détermine les charges pesant sur les actifs, donc la situation à long terme des retraites. Or ce taux est très lié au niveau de chômage : ce ratio, qui s’établit à 1,4 en 1995, c’est à dire proche des simulations catastrophistes présentées pour justifier les fonds de pension, évoluerait comme suit :
    • ratio stable si le chômage est stable (12% de la population active),
    • ratio en hausse de 3% si le chômage baisse de 0,2% par an,
    • ratio en baisse de 14% si le taux de chômage augmente de 0,2% par an.
    • Ainsi, préserver un régime de retraites équilibré, c’est avant tout lutter contre le chômage !

 

Les analyses démographiques présentées par les partisans des fonds de pension font l’impasse sur l’augmentation de la productivité du travail, l’élément moteur de la croissance économique. Selon eux, nous passerions de 2 cotisants pour un retraité en 1995 à 1,2 en 2040. Or, si la productivité de chaque cotisant augmente de 2% par an comme actuellement, le travail de 1,2 cotisant sera égal au travail de 2,9 salariés de 1995 (1,2 X 2,4), c’est à dire que la situation s’améliorera, à moins de considérer que les gains de productivité ne vont ni aux salariés ni aux cotisations patronales, ce qui en dit long sur le partage des richesses prévu par les libéraux ; tout vers le capital, rien vers le travail. Même si l’assiette des cotisations n’est assise que sur 1% de gains de productivité annuels, l’équilibre actuel ne sera pas modifié en 2040.

 

  1. La capitalisation ne règle pas les problèmes démographiques

 

En admettant que l’évolution démographique soit préjudiciable aux retraités, les fonds de pension ne constituent pas une réponse ; en effet, les richesses accumulées par capitalisation ne sont pas des biens réels, que l’on retrouverait plus tard, mais des valeurs (actions, obligations, titres...) ouvrant un droit au partage du produit national au moment de la sortie de la vie active. Que les systèmes de retraite soient garantis par un contrat entre générations (répartition) ou par des droits de propriété (capitalisation), ce sont les richesses produites chaque année qui sont partagées entre actifs et inactifs. Par exemple, les retraités de 2020 vivront des biens et services créés en 2020 et non des biens et services mis de côté aujourd’hui en vue d’une consommation future.

L’évolution démographique des pays industrialisés, c’est à dire le vieillissement de la population, plaide contre les fonds de pension. En effet, elle provoque une augmentation sensible de la population en âge d’épargner (ce qui explique en partie la hausse des cours de la bourse), et donc du rendement espéré par les fonds de pension. En 2005, cette tendance devrait s’inverser ; arrivant toujours plus nombreux à l’âge de la retraite, les cotisants des fonds de pension vont de plus en plus vendre leurs titres pour vivre et les cours vont baisser progressivement, vu le poids de ces fonds dans la capitalisation boursière (voir ANNEXE 1), tout ceci sans considérer l’éventualité d’un krach.

 

  1. Des arguments économiques mensongers

 

  1. Les fonds de pension au secours des entreprises françaises

 

Les partisans des fonds de pension, vu la fragilité des arguments démographiques, ont récemment développé des arguments économiques pour justifier leur politique. Ceux-ci sont de deux ordres :

 

  • Les entreprises françaises ont besoin de capitaux. Or, rien n’est moins vrai puisque leur taux d’autofinancement () atteint aujourd’hui 120%.

Notons que le taux d’autofinancement des PME/PMI n’est pas aussi élevé ; mais hélas, les fonds de pension ne s’investissent pas (ou très peu) dans le capital-risque, qui pourrait financer ces petites entreprises, souvent innovantes et créatrices d’emplois.

  • Les fonds de pension français seraient à même de protéger les entreprises françaises des fonds de pension étrangers ou des OPA hostiles, notamment en investissant à long terme. Détenus par des assureurs privés français, ils n’auraient donc pas la même stratégie que les autres ? Ils ne chercheraient pas à assurer une rentabilité maximale à leurs titulaires ( ? !), ne se retireraient pas massivement comme les autres en cas d’incertitudes (voir les crises mexicaine, asiatiques, russe, à suivre...). Cette argumentation laisse pantois, d’autant que l’expérience prouve le contraire ; aux Etats-Unis, la détention d’un titre par un fonds de pension ne dépasse pas 7 mois.

 

  1. La sécurité des épargnants

 

  • l’histoire récente du capitalisme est pleine de krach (dévaluations d’actifs), de débiteurs refusant de payer leurs dettes (emprunt russe), de périodes d’inflation rongeant les revenus financiers... Pourquoi tout ceci devrait-il subitement cesser ? D’autant que l’instabilité sociale et financière est en recrudescence. Quelles rentes peuvent procurer des fonds de pension engagés dans la dette mexicaine ou brésilienne, l’immobilier à Tokyo, les banques en Russie, jugés sûrs il y a peu ? Notons que le contribuable occidental est le dernier recours lorsque sombrent les valeurs investies par les fonds de pension privés. C’est en partie lui qui a assuré le sauvetage du système financier, soit par le biais du FMI au Mexique, en Indonésie, en Corée du Sud ..., soit par le biais de banques lors de la recapitalisation du fonds américain LTCM, soit directement en bouchant le " trou " des banques (150 milliards de francs pour le Crédit Lyonnais, 1 000 milliards de $ pour les banques japonaises ...). Ne vaut-il mieux pas abonder les systèmes par répartition ou relever les minima sociaux, plutôt que de garantir les créances douteuses des fonds ? L’économie mondiale, par la relance de la consommation, s’en porterait beaucoup mieux.
  • Aujourd’hui, une bonne partie des avoirs gérés par les fonds de pension sont sous forme de bons du trésor ou d’obligations : ainsi, la dette publique des Etats-Unis est en partie alimentée par des fonds de pension, par exemple japonais. De ce fait, les contribuables américains doivent participer aux retraites des japonais. Existe-t-il un contrat social garantissant ces versements sur le long terme ? On peut en douter.
  • L’hypothèse d’un krach est plus que jamais d’actualité : il peut priver en quelques jours les épargnants de l’essentiel de leurs revenus vieillesse et les précipiter dans la misère absolue. Les répercussions sur la consommation privée, et donc sur la production et l’emploi, seront immédiates. Les effets d’un krach seront irréversibles pour un grand nombre de personnes des classes moyennes ; à 10 ou 15 ans de la cessation d’activité, à supposer qu’ils conservent leur emploi, les souscripteurs aux fonds de pension ne seraient plus à même de reconstituer une épargne suffisante pour leur retraite.

 

  1. Des rendements attractifs

 

  • Non seulement les fonds de pension n’assurent pas les épargnants contre le risque, mais ils n’obtiennent, au bout du compte, que des rendements médiocres ; selon l’hebdomadaire " Marianne ", qui cite une étude à paraître. Ces rendements s’élèvent à 0,3% par an entre 1968 et 1983, déduction faite de l’inflation, de la fiscalité et des frais de gestion. C’était, il est vrai, avant les transferts massifs de richesses vers le capital financier, rendus possibles par la déréglementation des années " Reagan " et " Thatcher ". En fait, la forte rentabilité de la capitalisation par rapport à la répartition est plutôt un phénomène récent, lié aux transferts sans précédent des revenus du travail vers le capital. Il est donc dommage que le raisonnement de M. DAVANNE, du Conseil d’Analyse Economique mis en place par Lionel JOSPIN, parte de ce processus inégalitaire pour justifier " une certaine dose " de fonds de pension en France.
  • Sur le long terme, la valeur des titres n’est assurée que si la création de richesses augmente comme les rendements espérés par les fonds de pension (13% par an, dit-on), ce qui est loin d’être le cas ( la croissance mondiale tourne autour de 2% par an). Ces rendements de 10% à 15% ne peuvent être obtenus qu’en transférant les revenus du travail vers les revenus du capital financier, y compris dans les pays en voie de développement (), au détriment de l’emploi, de l’innovation et des investissements de long terme. Mais ensuite ? Il faut s’attendre à de sévères corrections, c’est à dire une chute des cours boursiers, donc du rendement espéré.
  • La viabilité des retraites par capitalisation repose sur une rentabilité financière élevée. Or, le rendement d’une action ou d’un titre n’est optimisé qu’en s’affranchissant du facteur temps : il faut pouvoir vendre au bon moment, ce qui peut ne pas être le cas lorsqu’il faut verser des pensions à dates fixes, à moins d’envisager une fuite en avant en drainant toute l’épargne disponible, y compris celle qui sert à financer l’innovation, le logement social ... N’est-on d’ailleurs pas déjà dans cette situation, qui fait de plus en plus penser à la " pyramide albanaise " ?

 

  1. Les conséquences désastreuses de la généralisation des fonds de pension

 

Au-delà des arguments pour la recherche de l’équilibre des systèmes de retraites, il est important de s’interroger sur les conséquences économiques et sociales à long terme de la généralisation des fonds de pension.

 

  1. Le développement de l’économie de rente

 

La retraite par capitalisation, versée dans des fonds de pension présents sur les marchés financiers mondiaux, non seulement réclame des taux d’intérêt réels élevés et un accroissement des performances financières des entreprises, mais aussi accroît et favorise la spéculation. Au contraire, la retraite par répartition nécessite une politique économique au service de la production et de l’emploi, puisque le montant des pensions dépend du volume des cotisations prélevées sur les actifs. Ainsi, l’évolution des régimes de retraites vers la capitalisation renforcerait une économie au service de la rente et non au service du travail et du développement humain.

 

L’afflux de nouveaux capitaux, faute d’une croissance mondiale suffisante, alimenterait la privatisation des services publics des pays développés (les marchés dits " émergents " deviennent visiblement trop risqués !). Ces capitaux, à la recherche d’un profit immédiat entraîneraient des modes de gestion dont les salariés et les usagers feraient les frais( ).

 

  1. Une amplification de la crise actuelle

 

Seule une augmentation significative et continue du chiffre d’affaires des entreprises permet de servir un rendement de 10% à 15% aux fonds de pension qui détiennent tout ou partie du capital. Or la croissance économique est beaucoup trop faible pour réaliser à grande échelle ces objectifs annuels. Deux solutions s’offrent alors aux entreprises : réduire la masse salariale et/ou concentrer l’appareil de production pour réaliser des économies d’échelle par fusion/acquisition, favorisant ainsi la constitution d’oligopoles mondiaux. Les salariés sont perdants dans le premier cas, les consommateurs dans le second cas. Ces évolutions auront immanquablement un effet récessif, qui mettra en danger le tissu productif, mais aussi les régimes de retraites par répartition.

 

  1. Une logique économique de court terme : mon licenciement profite à ma retraite

 

La réduction de la masse salariale (blocage, voire réduction, des salaires, précarisation, licenciement ...) afin d’obtenir des rendements élevés aux fonds de pension entraîne une sorte de " schizophrénie " des employés ; des salariés actionnaires exploitent des salariés au travail. La situation peut devenir absurde ; un cotisant à un fonds de pension peut un jour se réjouir de voir monter ses actions suite à l’annonce de licenciements, et le lendemain faire partie de la " charrette ".

 

  1. L’accroissement des inégalités

 

La retraite par capitalisation accroît les inégalités d’une part entre les actifs et les chômeurs, d’autre part entre les actifs à hauts revenus et ceux à plus faibles revenus, la capacité d’épargne individuelle étant directement liée aux traitements. Les fonds de pension anglo-saxons illustrent parfaitement cette situation. Au Royaume-Uni, seulement la moitié des salariés peut souscrire à des régimes de retraites par capitalisation ; ce sont essentiellement des hommes qualifiés, employés dans de grandes entreprises. Les autres, souvent les femmes, doivent se contenter du minimum vieillesse assuré par l’Etat, extrêmement faible. Aux Etats-Unis, 10% des salariés détiennent les deux tiers des actifs des fonds de pension.

En France, le taux de pauvreté des retraités est passé de 14% à 7% entre 1984 et 1994, grâce aux régimes par répartition ; aujourd’hui, encore 900.000 personnes dépendent du minimum vieillesse (moins de 3.500 F par mois), contre plus de 2 millions à la fin des années 70. L’instauration d’un système par capitalisation précipiterait des millions de retraités dans la pauvreté, les salaires de la moitié de la population n’étant pas assez élevés pour permettre une épargne suffisante.

 

  1. Un danger pour la croissance économique

 

Avec la mise en place d’un système par capitalisation, quelle sera la stratégie des ménages ? Deux hypothèses peuvent être émises :

 

  • soit il s’agit d’un simple transfert d’épargne (qui atteint 800 milliards de francs en 1996) vers les fonds de pension, et dans ce cas les effets macro-économiques seront nuls,

 

  • soit il s’agit d’une épargne supplémentaire, et dans ce cas la consommation des ménages devrait baisser, en entraînant une récession, donc une augmentation du chômage.

 

Dans un cas comme dans l’autre, les incitations fiscales seraient indispensables pour développer les fonds de pension, en tout cas tant que le système par répartition fonctionne convenablement. Ces incitations grèveraient le budget de l’Etat. Les déficits publics étant dorénavant sévèrement encadrés par le pacte de stabilité et de croissance européen, quelles seraient les dépenses publiques qui feraient les frais d’une telle politique ?

 

  1. Un danger pour les régimes par répartition

 

Le système actuel bloque tout développement spontané des fonds de pension. Pour que les salariés y souscrivent, il faut donc qu’ils y soient encouragés financièrement. Les allégements fiscaux, parce qu’ils coûtent cher à l’Etat, ne sont en général pas assez incitatifs. La Loi THOMAS, votée sous le Gouvernement JUPPE, et rendu inapplicable pour cause d’élections anticipées, prévoyait donc des exonérations de cotisations sociales conséquentes pour les entreprises qui auraient abondé à un fonds de pension. Cette mesure aurait entraîné une série de conséquences en chaîne. L’exonération de charges sociales aurait provoqué une baisse des ressources pour le système par répartition. Celle-ci aurait donc généré des prestations moins élevées, ce qui aurait incité les individus à souscrire encore plus aux fonds de pension. La boucle est bouclée ; la capitalisation se serait progressivement substituée à la répartition.

 

  1. L’évolution des systèmes de retraites ; un véritable choix de société

 

L’avenir des retraites est un vrai débat ; le vieillissement des sociétés occidentales est un fait incontournable, du moins à un horizon prévisible (2020-2030).

En France, les réformes pour adapter les régimes de retraites à l’évolution démographique ont commencé au début des années 90, à la suite du " livre blanc " commandé par Michel ROCARD, alors Premier Ministre. L’instauration des fonds de pension s’inscrit dans ces réformes. Quelles sont les propositions alternatives pour contribuer à un débat bien mal engagé ?

 

  1. Les fonds de pension seraient l’aboutissement des réformes initiées en 1993

 

Sur la base de simulations démographiques inquiétantes, le Gouvernement d’Edouard BALLADUR a profondément réformé le régime général des salariés du secteur privé ; la durée de cotisations passe de 37,5 ans à 40 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein, laquelle est maintenant calculée sur les 25 meilleures années de rémunération contre 10 années auparavant. Cette réforme porte en germe l’accroissement des inégalités chez les retraités ; d’une part le nouveau mode de calcul sur 25 années rapproche une fraction non négligeable des futurs retraités du minimum vieillesse (près de 40% des salariés perçoivent moins de 8 000 francs par mois), d’autre part les salariés à hauts revenus sont incités à épargner pour leur retraite (assurance-vie, épargne défiscalisée ...).

 

Après les dernières élections présidentielles, Alain JUPPE a voulu étendre cette réforme aux salariés du secteur public ; il a dû reculer devant les mouvements sociaux de décembre 1995.

 

En 1997, espérant cette fois-ci éviter les mécontentements, M. JUPPE change de tactique ; il ne s’agit plus de réformer le régime par répartition mais de lui substituer progressivement un système par capitalisation. La Loi THOMAS, rendue inapplicable par Lionel JOSPIN, prévoyait des exonérations de charges sociales pour les entreprises qui auraient cotisé à un fonds de pension. Ce système, facultatif, risquait non seulement de créer de fortes inégalités entre futurs retraités, mais aussi de dynamiter à terme le régime par répartition (voir § 4.6.), et tout ceci grâce aux aides de l’Etat, pourtant garant de l’intérêt général.

 

  1. Les pistes de réflexion

 

Si souligner les dangers que font peser les fonds de pension sur l’ensemble de la société est indispensable pour mesurer les enjeux d’un tel débat, le système par répartition doit évoluer pour rester viable.

 

  1. La lutte contre le chômage

 

La résorption du chômage reste le plus sûr moyen pour que le nombre d’actifs par rapport au nombre d’inactifs reste équilibré, et donc que les régimes de retraites puissent faire face au vieillissement de la population (voir § 3.1.). L’allongement de la durée de cotisation, un argument qui revient souvent, va aujourd’hui à l’encontre de la politique de réduction du temps de travail.

 

  1. Le partage des richesses

 

Depuis presque 20 ans, les Etats consentent toujours plus d’exonérations fiscales aux revenus du capital, alors que les charges sur le travail s’accroissent. En inversant cette tendance, au niveau de chaque Etat comme au niveau supranational, les ressources prélevées sur les revenus du capital permettraient d’assurer l’équilibre financier des régimes de retraites par répartition, sans faire appel à l’épargne individuelle des salariés. Une réforme fiscale de grande ampleur, toujours annoncée mais toujours différée, pourrait aisément se fixer, entre autre, l’objectif d’assurer une retraite décente à tous. Il est même envisageable de faire participer à cet effort les plus aisés des retraités, par exemple en plafonnant le montant des retraites et en les assujettissant à la CSG (ou autre prélèvement social du même type) au-delà d’un certain niveau.

 

  1. Transférer la charge démographique

 

La charge économique qui pèse sur les actifs provient des retraités, des chômeurs et des personnes dépendantes, mais aussi des jeunes, dont le nombre devrait fortement diminuer avec le vieillissement de la population (voir § 3.1.). Une réforme audacieuse (et courageuse) consisterait à transformer en cotisations vieillesse les " économies " réalisées par la diminution de jeunes à charge. La balle est dans le camp des politiques.

 

  1. Vers d’autres modèles de gestion du temps

 

Dans un récent rapport pour la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV), Jean-Baptiste de FOUCAULD (voir Le Monde du 12/01/99) a émis des propositions novatrices : partant du constat que la retraite se justifie de moins en moins par une incapacité au travail et s’apparente davantage à une période de temps libre, il propose une autre gestion du temps tout au long de la vie. Les salariés pourraient alterner des périodes d’activités avec des périodes de formation, de congés sabbatiques ..., sur une plus longue durée, et en partie financée par la CNAV. L’équilibre financier serait retrouvé grâce à un temps de retraite en fin de vie plus limité. Ces réformes, qui devraient tenir compte des réflexions sur l’allocation universelle de subsistance, nécessiteraient une véritable " révolution culturelle ". Mais n’a-t-on pas déjà dit la même chose des congés payés ou de la réduction du temps de travail ?

 

  1. La justice sociale pour sauver les retraites

 

La façon dont a évolué le débat sur l’avenir des retraites est révélatrice d’une conception profondément inégalitaire de la société du futur ; seuls les nantis d’aujourd’hui ont des chances de subsister demain (principe fondamental de la capitalisation individuelle). La vision purement comptable de l’avenir des retraites masque une volonté politique ; les assureurs privés veulent drainer au maximum l’épargne disponible vers les marchés financiers pour en tirer un bénéfice à court terme, mais dont le fonctionnement à l’échelle mondiale produit toujours plus d’inégalités en " pompant " les revenus du travail partout où c’est possible.

 

SOURCES

  • Le dossier d’ATTAC sur les fonds de pension, réalisé par E. LOIRET et C. VENTURA en décembre 1998, contient de très bons articles sur le sujet. Nous pouvons citer, parmi d’autres :
  • SOHLBERG Pierre. La grande illusion des fonds de pension. Alternatives Economiques, hors-série n°31, 1997.
  • PASSET René. La grande mystification des fonds de pension. Le Monde Diplomatique, mars 1997.
  • CHESNAIS François. Demain, les retraites à la merci des marchés. Le Monde Diplomatique, avril 1997.
  • Le hors-série n°36 d’Alternatives Economiques (avril 1998) est très complet et apporte une multitude de chiffres et d’analyses pertinentes.

 

ANNEXE 1

 

LE POIDS ECONOMIQUE DES FONDS DE PENSION

 

 

 

Les capitaux circulant dans le monde sont classés en deux catégories :

 

  • Les investissements directs à l’étranger (I.D.E.) sont les investissements dans les activités économiques de production de biens et de services. Ils proviennent des entreprises transnationales (ETN).

 

  • Les investissements financiers sont des actions, des obligations, des produits dérivés, des options ou des " investissements de portefeuille ". Ils sont 7 fois plus importants que les IDE, et dépassent aujourd’hui le PIB de l’ensemble des pays développés.

 

 

Les fonds de pension contrôlent presque le tiers des capitaux circulant dans le monde, comme l’illustre le tableau suivant :

 

1990

1996

Evolution

 

milliards $

%

milliards $

%

96/90

Fonds de pension

Compagnies d’assurances

Compagnies d’investissement

4 120

4 662

2 129

33%

37%

17%

7 185

7 982

6 152

29%

33%

25%

+ 74%

+ 71%

+ 189%

TOTAL Investissements

financiers

10 911

87%

21 319

87%

+ 95%

TOTAL I.D.E.

1 726

13%

3 233

13%

+ 87%

TOTAL MONDE

12 637

100%

24 552

100%

+ 94%

 

Sources : BRI et Nation Unies d’après ACPIR (*).

(*) ACPIR : Accord des Citoyens et des Peuples sur les Investissements et les Richesses.

 

 

La volatilité des investissements financiers, prédominants, peut gravement perturber les économies des pays qui basent leur développement sur l’afflux de ce type de capitaux ; en moins de deux ans, de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, la Russie, et aujourd’hui le Brésil en sont les victimes.

 

L’instabilité des marchés financiers est renforcée par le comportement " moutonnier " (" herding ") des investisseurs : dans cette profession, la tendance dans les périodes d’incertitude est d’imiter les plus avisés. Il vaut mieux avoir tort tous ensemble, pour éviter les sanctions individuelles.

 

 

ANNEXE 2

 

QUELQUES CRITERES DEMOGRAPHIQUES

 

Pour estimer le poids de l’évolution démographique sur les systèmes de retraites, plusieurs indicateurs sont utilisés :

 

  1. Le " TAUX DE DEPENDANCE VIEILLESSE "

 

C’est la population en âge de travailler (15-60 ans) divisée par le nombre de personnes âgées (plus de 60 ans). Ce taux mesure les effets potentiels du vieillissement sur les retraites. Il est d’environ 2,9 en 1996 en France.

 

  1. Le " TAUX DE DEPENDANCE DEMOGRAPHIQUE "

 

C’est la population en âge de travailler (15-60 ans) divisée par le nombre de personnes âgées (plus de 60 ans) et le nombre de jeunes (moins de 15 ans). Ce taux mesure le poids des inactifs (par l’âge) pesant sur la population en âge de travailler. Il est d’environ 1,9 en France en 1996.

 

  1. Le " TAUX DE DEPENDANCE ECONOMIQUE "

 

C’est la population active au travail divisée par l’ensemble des inactifs (jeunes, vieux, personnes dépendantes, chômeurs). Ce taux mesure la charge économique réelle pesant sur les actifs au travail, donc sur les cotisants aux régimes de retraites. Il s’établit à environ 1,4 en France en 1996.

 

 

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