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Taxer la spéculation

Conférence organisée par Loirattac,

le 23 octobre 1998,

à l'Université Jean Monnet de Saint-Etienne

Cette conférence a rassemblé 150 personnes.

 

Avec la participation de Chantal Aumeran, vice-présidente d'ATTAC, Bernard Drevon, professeur de Sciences économiques et sociales au Lycée du Parc à Lyon.

 

Présentation de LOIRATTAC par sa présidente, Maryse Oudin :

Loirattac est née de la réflexion de travailleurs sociaux de Saint-Etienne, frappés par l'incessante montée de l'exclusion dont souffrent certains quartiers de la ville contre laquelle aucune volonté politique ne se décide à lutter. Cette réflexion s'est appuyée sur le texte d'Ignacio Ramonet, paru dans le "Monde Diplomatique" de décembre 1997, intitulé "désarmer les marchés" et les émissions successives de Daniel Mermet sur France Inter, "là-bas si j'y suis", auxquelles participent régulièrement les journalistes du "Monde Diplomatique". Dès mars 1998, un petit groupe s'est réuni régulièrement afin de jeter les bases d'une association, LOIRATTAC, dont les statuts ont été déposés au mois de septembre 1998. Cette association travaille en relation constante avec l'association nationale ATTAC, leurs objectifs étant bien sûr les mêmes.

 

Intervention de Chantal Aumeran :


L'association ATTAC, fondée le 3 juin 1998, compte à ce jour 4000 adhérents et 40 comités locaux. A la Ciotat, lors de la première assemblée nationale du 17 octobre 1998, 1500 participants sont venus de toute la France.


Les objectifs d'ATTAC sont :

- Informer massivement tous les citoyens,

- Rendre la matière économique accessible à tous

- Faire peser les citoyens au niveau national comme au niveau international sur les hommes politiques.


Aujourd'hui, il y a peu de relais médiatiques s'intéressant à ATTAC. De plus, il n'est pas facile de réunir autour d'une table des organisations syndicales (groupe de dix), la Confédération Paysanne, des organisations comme la ligue des droits de l'homme, des média tels que Le Monde Diplomatique, Témoignage Chrétien, Politis, Charlie Hebdo, etc.., pour les faire agir ensemble sur les mêmes objectifs concrets qui sont la mise en oeuvre de la taxe Tobin et la suppression des paradis fiscaux Pour lutter contre la misère mondiale. Le conseil scientifique d'ATTAC a pour tâche de répercuter les informations et de proposer des processus de concrétisation. En fait il s'agit de s'attaquer au leitmotiv universel qui consiste à dire que tout est devenu impossible pour cause de mondialisation et montrer que la taxe Tobin a sa place dans le débat budgétaire français. Dans les villes comme Saint-Etienne qui sont particulièrement touchées par la crise économique, on s'est accoutumé à entendre qu'il est impossible de réduire le temps de travail à cause des contraintes internationales, que l'Etat ne peut en aucun cas avoir une politique incitative pour cause de mondialisation et de rentabilité financière nécessaire. A cela, on oppose résignation et fatalisme, fatalisme qui n'est pas tant partagé, pour preuve la présence du grand nombre des participants ici. Ce qui caractérise notre association, c'est en fait une démarche citoyenne forte pour peser sur les politiques. Par ailleurs, ATTAC a pour but de sortir des limites de la France ; il existe des relais internationaux : une association ATTAC a vu le jour au Canada, une autre en Belgique et bientôt au Brésil, en Corée du Sud. Il y aune forte mobilisation dans les pays en voie de développement car ce sont ceux qui souffrent le plus de la mondialisation. Le dernier rapport du PNUD l'illustre fort bien : cf. les chiffres du dernier Monde Diplo...

 

Intervention de Bernard Drevon


Deux axes :

- A quoi servent les marchés financiers ?

- Mais d'abord d'où viennent les problèmes qu'ils causent (puis l'idée d'une "solution" nommée "taxe Tobin") ?


La régulation de l'économie nationale et internationale a existé à certains moments de l'Histoire, pourquoi ne peut-on pas l'imposer à nouveau ?


Depuis Juillet 1998 se propage, au delà de l'Asie, un krach boursier et financier qui est venu raviver le spectre de 1929. Les pertes boursières sont à ce jour estimées à 20% de la consommation des ménages des pays de l'OCDE, soit l'équivalent de deux fois la production française (son PIB). Les banques japonaises ont récemment été sauvées grâce à l'intervention de l'Etat nippon qui leur a consacré 11% de son PIB. Ces événements entraînent une récession, elle même entraînant des retraits de capitaux, induisant des contractions du crédit et donc des risques de réactions en chaîne. Les banques sont incapables de chiffrer leurs pertes...


La situation est paradoxale : Aujourd'hui, on peut dire que la crise économique en tant que telle est finie, mais une crise financière menace de s'étendre et déjà 40% des pays du globe sont en récession. Combien de temps cette situation pourra-t-elle durer ?


Il faut remettre tout cela en perspective depuis 1945 :


Aux lendemains de la deuxième guerre mondiale, jusqu'en 1975, on a une période de forte croissance économique, de plein emploi, où progression des salaires et pouvoir d'achat augmentent de 5% par an : c'est "les 30 glorieuses" (dixit Jean Fourastié). Le système s'appuyait alors sur un progrès technique intense, de forts gains de productivité étant liés à une innovation continue, et étant relativement "bien partagés" (et on a exploité autant que possible les avantages de cette dynamique qualifiée de "fordiste") : les entreprises trouvaient des débouchés et étaient rentables. Dans un contexte de guerre froide, l'Etat intervenait pour permettre une bonne répartition des revenus, et assurer une sécurité croissante (Sécurité Sociale, HLM, conventions collectives ayant "du grain à moudre"...).

De 1945 à 1975, les marchés financiers avaient une place limitée. Pour financer les entreprises, le système bancaire, sous le contrôle de l'Etat, alimentait le crédit et créait de la monnaie. Les marchés financiers n'avaient qu'un rôle secondaire d'appoint. Economie rimait alors avec social. Les entreprises avaient alors intérêt à donner des salaires satisfaisants aux employés pour alimenter la consommation, les intérêts des unes et des autres n'étaient alors pas contradictoires.

Enfin, les Américains avait défini un ordre monétaire international organisé avec un dollar fort. Le système était alors régulé...


Pourquoi aujourd'hui affirmer qu'il est impossible de réguler ?


Mais ce système entre en crise lors du premier choc pétrolier en 1973, crise qui durera au moins jusqu'en 1980-81. Cette crise a plusieurs causes, l'une d'elles est liée aux dérèglements du système monétaire international (SMI). Il y a des rivalités politiques internationales : Ce sont les Américains qui alimentent ce SMI en émettant des dollars. Mais avec leur multiplication (dès le début des années 70) les américains bénéficient d'un avantage exorbitant et surtout on considère qu'ils ne sont plus à même de garantir la valeur de la monnaie internationale : on n'a plus assez confiance dans cette monnaie : ceci provoque un phénomène spéculatif qui fait qu'en quelques semaines, le dollar est détrôné et on passe à un système de changes flottants. Les échanges internationaux sont d'autant plus perturbés que va aussi se produire une crise pétrolière et une crise inflationniste...


Or les gains de productivité des entreprises ralentissent alors que le climat social reste très revendicatif. On ne sait pas comment sortir de cette spirale inflationniste qui va durer quelques années... pendant lesquelles se prépare un retour en force des idées économiques libérales ("moins d'Etat, plus de marché !)...

La montée des marchés financiers ... et leur crise :


Les dirigeants conquis à ces idées veulent mettre de l'ordre dans le domaine économique et politique et pour cela, vont utiliser deux moyens :

- Le moyen technique d'abord utilisé aux Etats Unis consiste à serrer la vis monétaire. Les crédits sont plus chers, ils deviennent rares et l'inflation est en diminution, donc la croissance ralentit, le chômage augmente. Il n'y a plus de ce fait augmentation de salaire, les syndicats perdent en résultats et le taux de syndicalisation baisse : la "remise en ordre" n'est pas seulement "économique"...

- Parallèlement, les modes de financement des entreprises changent, car sous prétexte de ne pas nourrir l'inflation, le crédit est devenu rare et cher, les entreprises préfèrent se désendetter et se financer en s'adressant plus directement aux épargnants via les marchés financiers. Ce sont alors ces marchés qui drainent de l'argent vers les entreprises (sous forme d'actions et d'obligations). Ce système n'est pas mauvais en soi. Keynes lui-même reconnaissait son utilité mais à condition de maintenir un certain degré de contrôle. Cependant, on a laissé de plus en plus de liberté aux marchés. Les banques deviennent alors des agents de change et surtout des courtiers : elles transforment moins l'épargne en crédits, mais plus en "produits financiers" comme les SICAV et autres "fonds communs de placement" voire "fonds de pension", etc. ... Or les marchés sont de plus en plus livrés à eux-mêmes, car toutes les règles qui existaient depuis 1929 sont supprimées, il n'y a plus de garde-fous, c'est la désintermédiation et la dérégulation.

Actuellement, non seulement les marchés sont dérégulés mais il sont aussi interconnectés grâce à l'informatique : ils marchent en permanence, à la vitesse de la lumière...


Ainsi la spéculation peut se déchaîner : la valeur des titres peut se détacher des résultats des entreprises alors que normalement elle dépend des bénéfices de l'entreprise. Sur un marché financier dérégulé, l'épargne drainée par les "fonds de pension" (organismes privés -le plus souvent anglo-saxons- qui cherchent les meilleurs rapports pour de l'épargne-retraite par capitalisation), et mise à la disposition des entreprises, peut faire augmenter le cours des actions alors que les bénéfices stagnent voire baissent. On dit alors que les entreprises sont surcôtées.

C'est ainsi que peut se former une "bulle spéculative" qui peut se nourrir d'elle-même... jusqu'à un certain point...
Mais, si les porteurs se mettent à vendre en masse pour encaisser leurs gains, il y a effondrement : les capitaux se retirent et ceci a des conséquences très graves sur le plan social. En fait, les entreprises sont sous contrôle de ceux qui possèdent les capitaux (comme les fonds de pension américains) car les gestionnaires de ces fonds exigent des mouvements pour rentabiliser. En France, les entreprise sont soumises à 40% aux fonds de pension anglo-saxons, conséquence ? Vilvorde !... Les Etats ont les mains liées et ne peuvent plus que flatter les marchés financiers...

Comment peut-on intervenir ?


Notamment par la taxe Tobin, qui n'est pas une idée neuve mais une idée Keynésienne. Elle a pour but de réduire la spéculation pour reprendre le contrôle de la situation, en taxant de 0,1% les transactions sur les marchés des changes (qui se situe en amont de tous les mouvements monétaires et financiers transfrontières, ce qui est une façon de pénaliser les mouvements spéculatifs internationaux rapides). Elle vise à réguler à nouveau pour permettre aux Etats de surveiller la politique économique de façon concertée en vue de plus de croissance et moins de chômage. Elle vise enfin à mieux répartir les fruits de l'activité économique...


Dans un entretien récent rapporté par "Problèmes économiques" Tobin pense que les européens font fausse route quand ils continuent à ouvrir les marchés et à persévérer dans une politique restrictive "pour faire l'Euro". Tant qu'il n'y a pas de croissance, il n'y a pas d'impôts prélevés et les budgets sont serrés. Les Etats sont pris à la gorge. Il est urgent de remettre du contrôle démocratique dans tout cela. Les mouvements citoyens tels que ATTAC se mobilisent dans ce but et la victoire récente contre l'AMI nous montre que le pouvoir est aux mains de ceux qui, en se mobilisant, s'en emparent...

 

 

Questions et interventions dans la salle :

Q : Le discours sur la croissance est un discours lisse, où est la perspective révolutionnaire d'ATTAC ?

R : La croissance, c'est plus de biens et plus de services. Dans le cadre social actuel, lorsqu'elle dépasse les 2,5%, des emplois sont créés. C'est une manière de se projeter dans l'avenir. En Europe, la croissance est trop faible actuellement. Il ne faut pourtant pas se priver de réfléchir sur la croissance en terme de contenus, en effet, il ne s'agit pas de polluer comme des fous et fabriquer n'importe quoi.
Cependant, la solution passe-t-elle uniquement par la croissance ? Il est important d'en débattre et ATTAC est faite pour ça c'est à dire lutter contre l'autorité de l'expertise à et celle de la pensée unique. ATTAC fait des propositions qui vont au delà de la technique de la taxe Tobin qui ouvre un certain nombre de possibilités. Le débat sur l'étendue de ces possibilités ne fait que commencer...

Q : On a entendu dire que la taxe Tobin pourrait être le départ d'une spéculation folle. Quelle est donc sa philosophie ?

R : C'est un argument très tordu de la part de ses détracteurs. Selon une estimation de la CNUCED, la taxe Tobin peut rapporter 720 milliards de dollars par an, dont la moitié pourrait aller à l'aide aux projets de développement et l'autre moitié aux institutions chargées de la collecter et de participer à la régulation des économies responsables des échanges actuels . Il y a là de quoi lutter contre la spéculation...
Sa philosophie consiste clairement en la reprise du contrôle des marchés par le politique en général et les citoyens en particulier.

Q : Jospin était en faveur de la taxe Tobin avant les élections or il affirme qu'elle est trop difficile techniquement à mettre en œuvre à ce jour ?

R : Il ne faut pas s'arrêter à la question de la faisabilité de cette mesure sinon on ne fera rien. L'AMI, encore une fois, en est une illustration. La parole citoyenne doit occuper le terrain, la politique, c'est nous. On peut citer l'exemple du Chili : le gouvernement a pris une mesure unilatérale de taxation dégressive des investissements ou placements en faveur de ceux qui présentent davantage de garanties de durabilité ; cela pouvait paraître "impossible" à mettre en place, mais ça marche, ça rapporte de l'argent et de la stabilité... Il y a beaucoup plus de choses qu'on le dit que l'on peut commencer à appliquer à un niveau national (voire Européen) à titre expérimental ou/et pour "faire école"...

Q : Peut-on vraiment espérer contrôler les flux financiers ?

R : L'orientation actuelle (plus social-démocrate) des pays de l'U.E. est une chance à saisir. Elle offre des possibilités de mesures immédiatement efficaces ou symboliques mais qui affichent la volonté politique de contrôler les marchés de façon supranationale. Une bonne communication sur le modèle de développement européen (soucieux de normes sociales, écologiques, fiscales, bref soucieux de "développement soutenable") pourrait alors, en attirant des sympathies sur l'idée de solidarité nord /sud, entraîner un effet d'autocatalyse, de sorte que ce qui serait possible demain serait très différent de ce qui est possible aujourd'hui. A nous de faire pression depuis le niveau le plus local jusqu'au niveau le plus supranational (mais le niveau Européen est un niveau stratégique).

Q-R : Commentaire sur la crise financière dans les pays de l'Asie du Sud-Est : C'est un désaveu du discours tenu depuis longtemps par les économistes professionnels. La pensée économiste en Europe est extrêmement monolithique, les citoyens doivent être attentifs aux discours car ils contiennent une part d'idéologie. La volonté politique s'inscrit dans un rapport de force et dans ce contexte, la prise de position citoyenne en faveur de la taxe Tobin a de quoi inquiéter les pires des capitalistes.

Q : Il y a eu régulation puis dérégulation, maintenant on doit réguler à nouveau. Autrefois, on a régulé sur la base de la croissance, maintenant, en France on se fait exploiter par les fonds de pension américains. Doit-on réguler, c'est à dire exploiter le système tel qu'il est, et qui doit-on exploiter aujourd'hui ? Ne faut-il pas sortir de cette logique ?

R : C'est toute la problématique d'ATTAC qui, au fond, pose la question de savoir dans quel monde nous voulons vivre demain. Les débats et les échanges ont pour but de déboucher sur une autre approche des choses. La taxe Tobin ouvre une perspective possible, à partir de là tout reste à faire...

A ATTAC, il y a quatre groupes de travail sur les thèmes suivants :

- Environnement et développement durable
- Réforme du système financier national et international
- Contrôle des mouvements des capitaux
- Fiscalité, financement des budgets publics et de la protection sociale


Fin juin/début juillet, il y aura une manifestation à Paris en convergence avec les marches européennes.
Entre-temps ATTAC participera à la préparation d'un "anti-Davos" et, à Lyon, à la tenue de manifestations et contributions en marge de la prochaine CNUCED qui doit s'y tenir dès le mois de .... prochain.

Loirattac suivra tout cela, afin que ces manifestations soient contrôlées et portées par le plus grand nombre, tout en contribuant, autant que possible, à répondre à la demande en matière d'information économique appropriée.