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“ Faut-il avoir peur des OGM ? Faut-il des OGM ? ”

Compte-rendu du débat public : tenu à Foix, le 5 septembre 2000 lors du procès des faucheurs de colza transgénique (par Yann Wehrstedt)

Ariège (09): Annuaire - Annonces - Documents

“ Faut-il avoir peur des OGM[1] ? Faut-il des  OGM ? ”

Intervenants :
Arnaud Apotecker : président de Greenpeace France.
José Bové : Confédération Paysanne.
Pierre-Henri Gouyon : directeur du laboratoire "Écologie, systématique et évolution" au CNRS[2]. Professeur à l'Université Paris XI.
François Dufour : Vice-président d'ATTAC[3] et ex-porte-parole de la Confédération Paysanne.
Vincent Espagne : Observatoire de la Mondialisation.
Pierre Rabhi : agriculteur-expert. A mis au point des techniques de culture en zone aride intitulées "agro-écologie" et les a diffusées au Burkina Faso depuis 1980.

Pierre-Henri Gouyon commence par exposer le point de vue du généticien sur les manipulations génétiques. Une bactérie contient entre 350 et 4000 gènes ; une levure en compte 6000, une plante, 20.000 et un homme, 35.000. Ce n'est pas autant qu'on pourrait le penser en comparant par exemple la complexité d'un homme et d'une plante : c’est que cette complexité augmente en raison des interactions  entre les gènes. Un être vivant ne doit pas être considéré comme un jeu de construction dont chaque pièce serait fabriquée par un seul gène, car il est avant tout déterminé par la combinaison de ses gènes. Par conséquent, on ne peut pas prédire tous les effets entraînés par la modification d'un gène. Cela pose la question des risques encourus lors de la création de nouvelles propriétés des êtres vivants par manipulation génétique.

José Bové rapporte que les industriels de l'agro-alimentaire défendent les OGM en prétendant qu'ils sont plus proches de l'agriculture biologique car ils utiliseraient moins de pesticides, tout en promettant de hauts rendements. D'après les plantations effectuées aux USA[4], les rendements ne sont pas aussi élevés qu'annoncé, la consommation de pesticides est inchangée et on observe des mutations d'insectes. Devant les incertitudes liées à la culture et à la commercialisation des OGM, le gouvernement US aurait décidé d'obliger les agriculteurs à garder 20 à 30% de leur exploitation en culture non-OGM.

La présence de gènes de résistance aux herbicides dans les OGM est inquiétante car ces gènes pourraient se transmettre aux autres variétés de plantes, rendant les herbicides usuels inopérants : c'est une pollution génétique. Arnaud Apotecker ajoute que cette résistance permet d'utiliser des herbicides totaux même après que la plante soit sortie de terre, ce qui n'était pas le cas avec les variétés non résistantes. Cela entraîne une augmentation de l'utilisation d'herbicides. Le risque de la dissémination des OGM dans la nature inquiète également Pierre Rabhi car l'Afrique a déjà connu des drames à cause de l'hybridation d'espèces locales avec des espèces commerciales importées qui se sont disséminées. François Dufour ajoute que pour un producteur bio, trouver des OGM dans sa production en raison de la dissémination signifierait la perte de sa certification.

En raison de toutes ces réserves sur les OGM et leur dissémination, Pierre-Henri Gouyon insiste sur le fait qu'il est important de leur appliquer le principe de précaution afin d'éviter un nouveau désastre écologique[5]. Les OGM d'aujourd'hui ne sont que des prototypes.

Or on assiste actuellement à une course contre la montre des investisseurs dans le domaine des biotechnologies, tentant de passer outre le principe de précaution. L'expérimentation du champ de colza du CETIOM avait pour but de quantifier les risques liés aux OGM. C'est admettre que ce risque existe. Pour être valables, de tels tests devraient être conduits pendant 20 ans, avec un suivi de la zone environnante dans un rayon d'au moins 4 km (c'est à rapprocher des tests des médicaments, dont la durée est d'au moins 15 ans). Arnaud Apotecker conclut en signalant qu'un OGM qui doit être testé n'est pas rentable pour les investisseurs : c'est pourquoi ceux-ci tentent de faire financer les tests sur fonds publics.

Les technologies OGM sont loin d'être au point et comportent des risques encore mal évalués. Voyons comment, malgré tout, on justifie la recherche dans ce domaine.

D'après les industriels, les manipulations génétiques seraient bonnes pour les PVD[6] car elles apporteraient des solutions au problème de la malnutrition. Pierre Rabhi conteste cette affirmation. Selon lui, l'Afrique est immensément riche et sous-peuplée : 800 millions d'habitants pour 30 millions de km2. Elle souffre d'une mauvaise mise en valeur de ses ressources et de l'influence néfaste des institutions internationales[7]. Pendant les 30 glorieuses qu'a connu l'occident, la prospérité venait du pillage du tiers-monde. 7% des terres émergées mondiales sont cultivables, mais la terre disparaît rapidement en raison de l'érosion ou destructions d'origine humaine. Les espèces végétales et animales disparaissent au moment même où les multinationales tentent de s'accaparer le vivant par le biais de brevets. A l'heure actuelle, le tiers monde s'appauvrit.

Le modèle agricole imposé à l'Afrique consiste à produire des cultures d'exportation à l'aide d'intrants coûteux (énergie, engrais, pesticides). Les devises issues de l'exportation sont systématiquement détournées et ne bénéficient pas aux 95% de paysans de ces pays. Cette agriculture moderne est très coûteuse : 1 calorie alimentaire nécessite l'apport de 12 à 14 calories énergétiques. Elle ne concerne qu'une minorité d'agriculteurs : dans le monde, moins de 30 millions de paysans utilisent un tracteur, 250 millions utilisent la traction animale et 1 milliard de paysans n'ont que leurs propres forces. Pour Pierre Rabhi, les OGM, c'est l'agriculture du riche : ils sont liés à l'agro-industrie, qui est coûteuse et ne concerne que les pays les plus riches. De plus, qui dit OGM dit droit de licence, c'est à dire que l'agriculteur doit verser des royalties à la firme semencière, sans quoi il risque des poursuites judiciaires. Ils ne sont d'aucun intérêt pour les pays pauvres, qui en revanche disposent déjà d'un patrimoine génétique agricole exceptionnel.

On signale qu'un chercheur de l'INRA[8] donnait comme exemple de bon OGM un colza modifié avec des gènes d'olivier, qui permettrait de produire de l'huile d'olive. Que deviennent dans ce cas les plantations d'oliviers du pourtour méditerranéen ? Manifestement, la seule justification d'un tel OGM est de diversifier la production des pays riches afin de conquérir de nouvelles parts de marché.

Il apparaît que les problèmes de malnutrition du Tiers-Monde ne sont invoqués que comme alibi humanitaire par les promoteurs des OGM. Quels sont alors les enjeux réels des OGM ?

José Bové rappelle que ce sont des fabricants de pesticides qui investissent dans les OGM. Or ces compagnies combattent les lois environnementales pour augmenter leurs profits : comment leur faire confiance pour respecter l'environnement ?

Pour Arnaud Apotecker, l'agriculture industrielle considère que les cultures sont en guerre contre leur environnement. Leurs armes sont les pesticides et herbicides. Ce point de vue est opposé à celui de l'agriculture biologique, dans laquelle un écosystème est mis en place autour des cultures. Il semble plutôt que les semenciers tentent d'organiser la dépendance des agriculteurs par le biais des OGM :

·        la technologie "Terminator"[9] de Monsanto avait pour but d'obliger les paysans à acheter de nouvelles semences tous les ans en rendant leur récolte stérile. Il s'agissait également d'un moyen efficace pour assujettir les paysans des PVD, qui actuellement ne respectent pas les traités internationaux sur les brevets et ne paient pas les royalties qui en dépendent, en les forçant à racheter des semences après chaque récolte. Comble du paradoxe, Terminator a été présenté par les industriels eux-mêmes comme une solution à la pollution génétique car les gènes qui sont disséminés sont stériles : le poison est son antidote !

·        après l'abandon de Terminator, Monsanto revient à la charge avec des semences qui ne poussent qu'en présence de l'herbicide Roundup vendu par ...Monsanto.

Pour Arnaud Apotecker, les multinationales ont les moyens d'organiser la rareté des semences non-OGM, forçant ainsi les paysans à cultiver des OGM. Elles tentent également de faire passer dans les lois[10] l'obligation de faire une partie des cultures en OGM.

Vincent Espagne explicite la stratégie des multinationales de l'agro-alimentaire, axée sur la question de la brevetabilité[11] du vivant qu'elles tentent d'imposer par le biais de l'OMC[12] Les 4 accords[13] en cours de négociation à l'OMC concernent les paysans car ils visent à établir des normes communes sur les produits agricoles :

·        sur le plan national, pour définir ces normes, les gouvernements commandent des évaluations à des laboratoires qui sont des sociétés de droit privé possédant des licences, et dont le capital est fourni par des investisseurs : les évaluations sont faites par des acteurs de l'économie des biotechnologies.

·        sur le plan international, ces normes sanitaires sont négociées entre les USA et l'UE[14] sur la base des normes les plus basses. Une fois l'accord conclu, elles seront imposées aux autres pays du monde[15] par le biais de l'OMC.

·        les investisseurs se regroupent – par exemple dans le Transatlantic Business Dialogue - pour faire pression sur le politique en émettant des "recommandations" les incitant à accepter les propositions de l'OMC.

·        les politiques sont alors prêts à ratifier les accords proposés dans le cadre de l'OMC.

L'issue de ces négociations de l'OMC apparaît donc comme vitale pour les PVD et soulève le problème des politiques agricoles dans le monde. Les conférenciers font le tour des priorités.

Pierre Rabhi fait remarquer avec humour que la crise de la vache folle a plus fait évoluer les mentalités au sujet des risques alimentaires que les 30 années qu'il a passées à promouvoir l'agro-écologie. Selon lui, s'il est légitime de chercher, l'urgence n'est pas d'inventer de nouvelles espèces mais de préserver la biodiversité et les terres. Il faut fixer en ce sens les priorités de la recherche publique. François Dufour ajoute que l'INRA est un institut public de recherche en agronomie qui favorise la recherche orientée vers la technologie. Il serait bon de changer ses orientations.

Pour Vincent Espagne, c'est la question des biens communs de l'humanité qui se pose de façon cruciale. La préservation de ces biens doit être prise en compte par les décideurs comme Pascal Lamy, négociateur pour la France auprès de l'OMC. Pour cela, il faut faire entendre ces revendications aux prochains sommets européens.

Pierre Rabhi tient à poser la question du devenir de l'humanité en termes éthiques : "On peut manger bio, recycler son eau, utiliser de l'énergie solaire et .... exploiter son voisin. Quel devenir pour l'humanité ?". L'agriculture ne doit pas servir à générer du capital financier mais à nourrir l'humanité. Il faut  nourrir les communautés là où elles se trouvent. L'agriculture doit être soustraite des lois internationales du marché.

En résumé, il est impératif d'appliquer aux OGM le principe de précaution car leurs effets sur la santé et l'environnement sont encore inconnus. Les OGM n'apportent pas de solution aux problèmes de malnutrition des PVD, qui souffrent avant tout d'une mauvaise mise en valeur de leur ressources. Ils cachent bien plus une volonté de mainmise de l'industrie de l'agro-alimentaire sur la paysannerie mondiale, et ce par le biais de la brevetabilité du vivant défendue par l'OMC. Pour la majorité des agriculteurs de la planète, l'urgence n'est pas d'inventer de nouvelles variétés destinées aux pays riches, mais de préserver la terre et la biodiversité.



[1] Organisme Génétiquement Modifié

[2] Centre National de la Recherche Scientifique

[3] Association pour une Taxation des Transactions financières pour l'Aide aux Citoyens

[4] depuis 1996

[5] tel que celui de la disparition des oiseaux à Hawaii ou de l'introduction de lapin en Australie

[6] Pays en Voie de Développement

[7] en particulier les Plans d'Ajustement Structurels du Fonds Monétaire International

[8] Institut National de la Recherche Agronomique

[9] en raison du scandale soulevé par la finalité de cette technologie

[10] par exemple au niveau de l'Union Européenne

[11] le principe de brevet entraîne une spéculation sur les brevets puis une vente de licences. A l'heure actuelle, il permet un piratage systématiques des ressources génétiques de la planète.

[12] Organisation Mondiale du Commerce

[13] Ces accords sont les suivants : TRIPS : accords sur la propriété intellectuelle - TRIMS : accord sur le commerce et les services - Accords sur les règles phytosanitaires et sanitaires - AMI : Accords sur l'investissements

[14] Union Européenne

[15] sous-entendu : pour lesquels ces normes sont trop exigentes

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