AVERTISSEMENT Ce texte est susceptible d'être modifié dans les semaines à venir. Il est en ce moment soumis à réflexion dans le cadre du Conseil scientifique en préparation de sa propre réunion sur le sujet. Texte complémentaire Emploi ou finance: un choix de société Projet de texte théorique introductif à la création d’un groupe de travail “ Emploi ou finance ” au sein d’ATTAC soumis à la discussion du Conseil scientifique Cela devient une habitude : il ne se passe pas de jour ou de semaine sans que soit annoncé un nouveau plan de licenciements massifs dans une grande entreprise de taille mondiale en plein essor et regorgeant de bénéfices. Après Moulinex et Renault à Vilvorde il y a trois ans, Alcatel et Elf Aquitaine au début de 1999, Sony qui décidait cyniquement 17 000 suppressions d’emplois “ pour satisfaire ses actionnaires ”[1], c’est, pour la même raison, au tour de Michelin d’annoncer 7 500 licenciements en même temps que la progression de ses bénéfices : 17,3% pour le seul premier semestre 1999. Le “ plan social ”, c’est-à-dire l’éjection pure et simple de 10 à 20% de salariés est devenu une méthode systématique de “ gouvernement d’entreprise ” : voici une ou deux décennies, les licenciements étaient justifiés au nom d’une rentabilité et d’une compétitivité compromises qu’il fallait restaurer, aujourd’hui ils le sont pour saluer les performances et les pousser plus encore. Autrefois, on licenciait parce que, soi-disant, les affaires allaient mal, maintenant parce qu’elles vont bien et qu’il est possible de faire mieux. Cette planification méthodique se déroule dans le cadre de gigantesques restructurations à l’échelle planétaire. Les fusions et concentrations, à coup d’OPA et d’OPE amicales ou agressives (en fait, il faut comprendre de gré ou de force), se multiplient dans tous les secteurs : automobile, chimie, aéronautique, transports, électronique, informatique, télécommunications, banques, assurances, etc. Cette réalité est présentée aux populations du monde entier comme inéluctable et surtout conforme à l’intérêt de tous les habitants de la terre. La loi du marché, euphémisme pour désigner celle du profit, s’imposerait à tous parce qu’elle serait naturelle. Et dire que l’être humain a mis trois millions d’années à en découvrir l’existence ! Que de temps perdu dans l’ignorance de cette vertu ! La “ mondialisation heureuse ” sera ou le bonheur ne sera pas. Peu importe que les bienfaits se soldent par un chômage ou sous-emploi d’environ 800 millions de personnes dans le monde et par des inégalités croissantes : en trois décennies, entre les 20% les plus pauvres et les 20% les plus riches, elles sont passées de 1 à 30 à 1 à 80 ; les 200 personnes les plus riches au monde ont une fortune égale au revenu annuel des 2,3 milliards les plus pauvres. Peu importe que les modes de production et de consommation se révèlent dévastateurs pour les écosystèmes et que l’alimentation soit soumise à une uniformisation et surtout à une dégradation catastrophique. Peu importe que 1,3 milliard d’êtres humains aient moins d’un dollar par jour pour vivre, et que de surcroît ils n’aient pas accès à une eau potable. Peu importe puisque, dans chaque cas, ces malheurs n’accablent que les plus pauvres. Dans le même temps, 28 000 cadres (très) supérieurs français ont accumulé une plus-value potentielle de 45,4 milliards de francs grâce à leurs stocks-options.[2] Aux Etats-Unis, 1% de la population reçoit autant de revenus que les 38% les plus pauvres, et, entre 1977 et 1999, les revenus nets d’impôt et d’inflation ont augmenté de 115% pour le quintile le plus riche, les revenus médians de 8% seulement, tandis que les revenus nets du quintile le plus pauvre diminuaient de 15%.[3] La mobilisation des citoyens contre l’AMI il y a deux ans, autour de la taxe Tobin ensuite, plus récemment celle d’une partie des agriculteurs contre la mal-bouffe, et prochainement celle contre l’accentuation de la fracture mondiale qui se mijote dans les couloirs de l’OMC, montrent que, progressivement, la connexion entre les problèmes progresse dans les consciences. L’objectif du texte et du groupe de travail proposés ici est de contribuer à l’élargissement et à l’approfondissement de cette connexion en prenant pour angle d’attaque l’analyse de la logique de la finance internationale qui joue contre celle d’un emploi accessible à tous ceux qui le souhaitent et contre celle d’un travail exercé dans des conditions décentes. Trois questions seront abordées pour amorcer la discussion : 1) la logique financière est celle du capitalisme de l’an 2000 ; 2) l’activité financière internationale est une gigantesque opération d’accaparement de la valeur à l’échelle mondiale ; 3) quelques pistes vers un plein emploi d’un nouveau type. 1. La logique financière est celle du capitalisme de l’an 2000 Il serait naïf de croire que le système économique qui domine aujourd’hui sans partage le monde entier invente ou découvre sous nos yeux la domination, l’exploitation ou l’exclusion. Ces phénomènes lui sont consubstantiels. Ainsi, l’emploi salarié a toujours été depuis la révolution industrielle soumis au rythme et aux formes de l’accumulation du capital. Mais il faut remarquer qu’à la fin de ce XX° siècle, la logique de la rentabilité financière se radicalise. 1.1. L’emploi salarié a toujours été soumis à l’accumulation du capital La force de travail est source de valeur ajoutée et donc de profit mais elle est en même temps un coût pour le capital. Le trait fondamental est que, dans ce binôme source de profit/coût, le second est, le plus souvent, engagé et définitif alors que le premier n’est encore que potentiel et incertain parce que sa réalisation monétaire dépend de la vente des marchandises. A l’intérêt immédiat du capital de minimiser le coût de la force de travail parce que salaires et profits s’opposent pour le partage du produit global créé, s’ajoute donc la volonté de réduire dans l’avenir le risque né de la concurrence. Il ne suffit pas pour chaque capitaliste de baisser le coût de la force de travail qu’il emploie mais il s’agit de le faire plus que son concurrent. Cette baisse peut être absolue mais elle est le plus fréquemment recherchée relativement : l’augmentation de la productivité du travail, par l’intensification de celui-ci, par l’amélioration des équipements ou par les deux à la fois, en est le moyen. Tel est le mécanisme qui propulse dans un mouvement perpétuel la dynamique de l’accumulation du capital. Mouvement perpétuel mais non linéaire, l’accumulation du capital a connu depuis deux siècles une succession d’alternances de phases d’expansion rapides et lentes, entrecoupées de crises ponctuant le retournement des cycles moyens et longs et donnant l’occasion aux groupes industriels et financiers les plus puissants d’éliminer ou d’absorber les plus faibles. Globalement, l’emploi salarié a grandi avec le développement du capitalisme, mais le rythme de son évolution a dépendu étroitement du rythme et des modalités de l’accumulation du capital. Deux traits se dégagent de cette histoire économique et sociale : premièrement, chaque crise voyait le nombre de chômeurs s’enfler jusqu’à ce que la reprise des activités suscite une croissance de la demande de travail ; deuxièmement, le maintien permanent d’une masse de main d’œuvre inemployée quoique disponible pesait efficacement sur les salaires, tout au moins pendant toute la période d’amorce de la reprise. Déjà, au XIX° siècle, Marx avait stigmatisé l’existence d’une “ armée industrielle de réserve ” ou des “ surnuméraires ”.[4] Alors que pendant la période de l’après seconde guerre mondiale l’idée que le plein emploi était devenu définitif s’était imposée dans tous les esprits, on a l’impression aujourd’hui que ce ne fut peut-être qu’une courte parenthèse dans l’histoire contemporaine. Tout au moins, il est certain que l’atteinte du plein emploi ne résulte pas automatiquement de la dynamique économique. La maîtrise par la société dans son ensemble des processus de régulation en est une condition : le plein emploi des 30 Glorieuses fut la résultante d’une activité élevée dans un cadre institutionnel et politique rendant possible un consensus provisoire pour la répartition de son fruit ; de même, le plein emploi qui est nécessaire aujourd’hui ne pourra être obtenu par le miracle du marché, aussi élevée que la croissance de la production puisse être, si tant est qu’elle soit souhaitable. 1.2. La radicalisation de la logique financière Depuis le début des années 1970, la soumission de l’emploi à l’accumulation du capital s’est accentuée du fait de l’accélération de la financiarisation du capitalisme dans un espace de plus en plus mondialisé. L’emploi est devenu la principale variable d’ajustement à l’échelle macro-économique comme micro-économique. Au premier niveau, les politiques économiques se sont chargées de recréer les conditions d’une rentabilité élevée, essentiellement par le biais de l’austérité monétaire et budgétaire au nom de la lutte contre l’inflation et de la défense de la monnaie ; au second, la flexibilité de l’emploi puis du travail ont été recherchées et obtenues. 1.2.1. L’emploi, variable d’ajustement Le maintien d’un taux important d’inflation étant devenu impossible dans le contexte de l’ouverture des marchés dominés par la finance internationale soucieuse de la pérennité de sa rente, le chômage – ou, si l’on préfère, l’absence de lutte prioritaire contre lui – fut le moyen d’imposer aux salariés flexibilité du travail et gel des salaires, le temps que la rentabilité fût restaurée. Le rôle joué par le chômage trouva sa légitimation dans les recommandations de l’OCDE : “ Pour obtenir un ajustement donné des salaires, il faudra un niveau plus élevé du chômage conjoncturel. ”[5] L’instrument théorique fut le fameux NAIRU, taux de chômage non accélérateur de l’inflation. Toute baisse du chômage et même tout ralentissement de sa progression étaient perçus comme des menaces contre la stabilité des prix et donc contre la rente financière. L’explosion du chômage dans la plupart des pays occidentaux à partir du milieu de la décennie 1970 s’explique donc principalement par la conjonction de trois phénomènes : 1) une accumulation rendue plus difficile par des taux de profit jugés alors insuffisants par les détenteurs de capitaux[6], tandis que le modèle de développement engendrant des gains de productivité très élevés s’essoufflait en même temps qu’il se révélait écologiquement insoutenable à long terme ; 2) une appropriation quasi exclusive des gains de productivité devenus plus faibles par les revenus du capital, au détriment des salaires et du temps de travail dont la réduction ne fut pas à la hauteur de ce qui eut été nécessaire au regard de la croissance de la population active ; 3) des politiques, c’est le cas de le dire, à contre-emploi : à la pratique de la régulation de l’activité économique s’est substituée la priorité de la lutte contre l’inflation pour éviter aux revenus financiers d’être érodés ; l’austérité budgétaire et l’orthodoxie monétaire ont ainsi empêché de mettre en œuvre une véritable lutte contre le chômage. Dans une période où la croissance économique était relativement faible dans la plupart des pays industrialisés, il a résulté de ces choix une modification considérable du partage de la valeur ajoutée entre salaires et profits en faveur des seconds. Cela a enclenché un mécanisme redoutable : plus la répartition s’effectue au détriment de la masse salariale (au niveau global) et des salaires (au niveau individuel) – en termes économiques, cela signifie que le taux d’exploitation s’accroît –, plus les détenteurs de capitaux comprennent que le taux de profit qu’ils peuvent attendre s’accroît lui aussi. La norme moyenne de profit s’élève donc progressivement – elle est passée de 12 à 15%, puis 18% –, ce qui amène les actionnaires et leurs représentants à exiger au sein des conseils d’administration toujours plus de licenciements. Dès lors, pour une même production, la part allant aux profits augmentant, le cours de l’action monte en Bourse. Contrairement au dogme qui circule, ce n’est pas le coût du travail qui fait obstacle à l’emploi, c’est d’abord le coût du capital. On pourrait croire que la Bourse joue contre l’emploi, c’est le sacrifice de l’emploi qui a sa traduction immédiate en Bourse. La finance organise le report systématique du risque de l’investissement et du risque spéculatif sur le salariat. Le capital utilise la force de travail et sa raison d’être est d’en tirer la substance, mais il n’assume même plus le risque inhérent à son existence dont pourtant le profit tirait sa principale justification dans la doctrine libérale. Au contraire, il tente de relancer le thème de l’association capital-travail par le biais de l’actionnariat salarié ou par celui des fonds de pension. Associer le travail à sa propre aliénation est un vieux rêve libéral : le salarié schizophrène voterait enfin son propre licenciement et le retraité celui de son enfant. 1.2.2. Après la flexibilité de l’emploi, celle du travail Ce n’est pas simplement le volume d’emploi qui est assujetti à la logique implacable de la rentabilité financière, c’est le contenu du travail, son organisation, son statut et les protections qu’il avait pu conquérir auparavant qui se trouvent aujourd’hui violemment contraints d’en subir le joug. Le chômage et la faiblesse des minima sociaux, mais aussi la multiplication des contrats à durée déterminée (surtout pour les jeunes), le temps partiel imposé (surtout aux femmes), la précarité des conditions de salaires, la vulnérabilité permanente des travailleurs face aux exigences productives des employeurs, la tendance à adapter constamment l’organisation du travail aux besoins d’une production flexible, prouvent que “ le capitalisme a déclaré la guerre à la classe ouvrière et il l’a gagnée ”[7]. Toutes les études convergent pour attester que les conditions de travail se dégradent dans l’industrie et les services de grande échelle. Les méthodes de gestion en vigueur dans l’industrie américaine se répandent : le travail s’intensifie dans le but d’atteindre le zéro temps mort, le record étant actuellement détenu par General Motors qui a réussi à obtenir 57 secondes de travail effectif par minute en moyenne. Le résultat est que les accidents du travail sont en recrudescence et que le stress augmente.[8] La règle du profit maximum règne donc sur toute la planète et sur toutes les activités humaines. Le terme de “ mondialisation ” sans autre précision est trompeur car dissimulateur : il se s’agit pas d’une mondialisation neutre ou naturelle, il s’agit plus exactement de la mondialisation du capitalisme dans sa forme contemporaine : l’intégration des activités productives et commerciales sous l’égide de la puissance financière. 2. L’activité financière internationale est une gigantesque opération d’accaparement de la valeur à l’échelle mondiale Deux idées essentielles constituent la trame du libéralisme dominant le débat économique[9] et empêchent de mettre le plein emploi au cœur des préoccupations sociales et politiques. La première est que le capital serait parvenu en 1999 (juste avant l’an 2000, année des miracles ou des bogues !) à s’engendrer lui-même et pourrait donc se passer du travail pour croître et s’accumuler. La seconde en découle : la finance serait devenue autonome vis-à-vis de la production. Ces deux assertions semblent épouser la réalité et énoncer une évidence. Elles sont fausses de bout en bout. 2.1. Le capital ne s’engendre pas lui-même Dans la bataille qui oppose quotidiennement les grands groupes industriels se livrant à des surenchères pour lancer les uns contre les autres OPA et OPE, ou bien qui voit les banques tenter de se dévorer entre elles, les protagonistes s’affrontent sur le thème : “ c’est nous qui créons le plus de valeur pour l’actionnaire ”. On ne s’étendra pas sur le cynisme de l’argument qui fait peu de cas du salarié, du client ou de l’usager pour démystifier l’idée selon laquelle l’activité financière, de type spéculatif ou non, “ créerait de la valeur ”. En réalité, la seule création est celle d’une fiction dissimulant une opération de captation de la valeur créée par le travail humain. 2.1.1. Une fiction Au cours des quinze dernières années, l’indice boursier de Wall Street, le Down Jones, a augmenté de plus de 700%. Depuis plusieurs années, le CAC 40, indice des actions cotées à la Bourse de Paris, augmente au moins de 30% par an. Pendant ce temps, la production américaine avait augmenté d’environ 60%, et le PIB français n’augmente guère plus de 2% par an en moyenne. D’où vient cet énorme décalage entre la progression de la capitalisation boursière et celle de valeur de la production qui est ensuite disponible pour la satisfaction des besoins et qui sera distribuée via les revenus monétaires ? Ce décalage a deux origines qu’il faut absolument distinguer. Premièrement, lorsque les entreprises voient leurs profits s’accroître, soit parce qu’elles ont produit et vendu davantage de marchandises, soit parce qu’elles en ont produit et vendu autant mais avec moins de salariés, l’incorporation d’une partie des profits dans le capital et la distribution de l’autre sous forme de dividendes aux actionnaires induisent une montée du cours des actions. Si l’augmentation des profits, sous les deux formes – distribués ou non –, dépasse la croissance de l’économie, et ce pendant une longue période, c’est obligatoirement au détriment de la masse salariale : ainsi, en France, la part de celle-ci est passée en vingt ans de 70% à moins de 60% du PIB. Il est impossible de connaître durablement une progression des revenus financiers supérieure au taux de croissance économique sans que les revenus du travail ne déclinent relativement. Jusqu’ici, nous sommes dans le domaine de la réalité, hélas regrettable, mais incontestable. Deuxièmement, la liberté de circulation des capitaux, aujourd’hui totale, et les gigantesques concentrations et restructurations qui s’ensuivent provoquent régulièrement la fièvre sur les marchés boursiers : les cours des actions grimpent bien plus vite que la production et les bénéfices des entreprises, lesquels progressent eux-mêmes déjà plus vite que les salaires. La BNP qui voulait dévorer la Société Générale et Paribas, Total-Fina qui voulait phagocyter Elf, affichaient donc leur formidable capitalisation boursière calculée en multipliant le cours en Bourse par le nombre des actions en circulation. Cette capitalisation, dépassant largement la valeur des bâtiments, machines, logiciels et stocks possédés par les entreprises, représente-t-elle véritablement du capital ? Non, c’est du capital purement fictif, et la publicité qui est faite autour est du bluff. La preuve en est que si tous les actionnaires voulaient vendre leurs actions en même temps, le cours s’effondrerait. La capitalisation boursière – dépassant largement les capitaux propres[10] – ne peut se transformer en gain boursier effectif que si les vendeurs trouvent des acquéreurs. En sens inverse, lors d’un krach boursier, l’essentiel de ce qui se dégonfle, c’est le grossissement fictif précédent – la fameuse bulle financière – : pas plus que celui-ci ne représentait un accroissement réel des richesses matérielles, le dégonflement ne représente un appauvrissement réel. Sauf si la spirale à la baisse qui s’enclenche fait descendre les titres au-dessous de la valeur représentative des richesses réelles et provoque l’appauvrissement de trop de détenteurs de capitaux qui décident alors de fermer les industries et les commerces dans lesquels ils ont investi et de licencier en masse. De la démystification de cette fiction, il résulte deux conséquences. D’abord, il ne faut pas que les salariés et les citoyens craignent outre mesure les soubresauts de la Bourse : quand M. Juppé disait que Thomson, convoité par Daewoo, ne valait même pas un franc à la Bourse, cela n’enlevait rien à la qualité des machines et des équipements de l’entreprise et encore moins au savoir-faire de ses salariés, seuls éléments importants pour la production de richesses réelles. Ensuite, les milieux d’affaires et la presse liée à eux ont l’habitude d’agiter l’épouvantail de la fuite des capitaux lorsqu’on les menace de contrôler le mouvement des capitaux pour freiner la spéculation. Or, d’une part, le capital “ fuit ” tout le temps puisqu’il est en mouvement permanent, et, d’autre part, la “ fuite ” du capital est largement un mythe : les machines ne s’en vont presque jamais et le savoir-faire rarement. Ce qui se déroule, c’est un changement au niveau de la propriété du capital. Si un capitaliste décide de “ fuir ”, il vend ses actions, mais … obligatoirement à un acheteur, autre capitaliste qui fait un pari inverse. 2.1.2. La captation de la valeur Les sociétés BNP et Total-Fina ont réussi à persuader les actionnaires de leurs concurrentes qu’elles créeraient plus de valeur pour eux. Il n’en est rien. Ce qu’elles parviendront vraisemblablement à faire, c’est capter davantage de valeur à leur profit. Certes, les actionnaires s’enrichiront, mais grâce une captation de valeur et non grâce à une création de valeur supplémentaire. La raison d’être fondamentale des fusions et concentrations est de mettre la main sur les résultats de l’activité économique des groupes industriels et financiers adverses. L’enrichissement d’une multinationale réussissant ses OPA et OPE peut donc avoir trois origines : - les profits réalisés en son sein grâce au travail productif de ses salariés : c’est l’exploitation habituelle du travail où une part de la valeur créée par celui-ci est appropriée par les propriétaires du capital ; - ceux réalisés grâce au travail des salariés dans les sociétés filiales : à l’exploitation classique s’ajoute une captation de valeur par les actionnaires de la multinationale suzeraine sur le dos de la vassale ; - ceux réalisés en achetant et en revendant plus cher des actions, à condition qu’elles trouvent repreneurs : il y a une captation par anticipation d’une part des profits qui résulteront demain de l’activité menée dans la société dont les actions font l’objet de spéculation aujourd’hui. Par ailleurs, plus une entreprise exerce un pouvoir de monopole et possède des moyens techniques sophistiqués – les secteurs très capitalistiques –, plus elle peut imposer un prix supérieur à l’équivalent monétaire du travail qui est contenu dans chaque unité de ses produits, c’est-à-dire du travail[11] qui a été nécessaire à leur production. C’est le contraire pour une entreprise moins capitalistique ou en moins bonne position sur le marché. La valeur ajoutée qui apparaît alors comme naissant dans un secteur dit à “ haute valeur ajoutée ” est en fait un mélange inextricable de valeur ajoutée dans ce secteur et de valeur captée dans d’autres secteurs par le biais des prix.[12] C’est l’ensemble de ces mécanismes de captation de la valeur qui constitue le vecteur de la corporate governance : le “ gouvernement d’entreprise ” a pour ligne de conduite en premier lieu de faire rendre gorge aux salariés – par le biais de la flexibilisation et de la précarisation, facilitées par la présence d’un fort chômage –, soit directement, soit indirectement en maintenant la pression sur les directions des sociétés filiales ou satellisées. 2.2. La prétendue autonomie de la finance par rapport à la production Au cours des deux dernières décennies s’est accréditée l’idée que la sphère financière se serait autonomisée de la sphère productive. La première raison du succès de cette idée tient au décalage croissant entre les phénomènes financiers et réels : - transactions financières : 1500 à 1800 milliards de $ par jour ; - transactions commerciales : 5000 milliards de $ par an ; - produit mondial : 30 000 milliards de $ par an. La deuxième raison tient au développement des bulles spéculatives. Ces bulles éloignent le cours des titres de leur valeur représentative du capital des sociétés. La capitalisation boursière dépasse virtuellement les capitaux propres des sociétés : c’est le phénomène du goodwill. Elles obéissent à des anticipations auto-réalisatrices et sont permises par le développement des marchés à terme et des produits financiers de toutes sortes. De plus, les attaques contre les monnaies peuvent se produire en dehors de toute considération pour les indicateurs économiques dits fondamentaux (croissance, inflation, chômage, commerce extérieur, soldes publics), ou, plus surprenant, en considération inversée de ceux-ci. Elles se produisent davantage sur la base d’anticipations concernant l’évolution future de ces indicateurs ou bien d’anticipations concernant la capacité des politiques économiques à les maintenir en l’état ou à les modifier. La myopie des marchés (horizon borné à très court terme du spéculateur), la multiplication des produits financiers, les comportements mimétiques analysés en son temps par Keynes[13], la rapidité des transactions grâce à l’informatique, accentuent les tendances à surréagir dans un sens ou dans l’autre. Il en résulte que l’autonomie dont jouissent les marchés financiers a pour principale conséquence l’emprise qu’ils exercent sur les politiques économiques en contraignant les politiques monétaires à ne veiller qu’à la stabilité des prix parce que l’inflation rognerait la rente financière, et en contraignant les politiques budgétaires à l’orthodoxie. Cette contrainte s’est exercée dans le récent passé essentiellement par le biais de taux d’intérêt comportant une prime de risque élevée. Cependant, si l’autonomie du capital financier est devenue totale quant à sa capacité de mouvement et puissante quant à sa capacité de peser sur les politiques, elle reste et ne peut que rester nulle quant à sa capacité d’accumulation à l’échelle globale, macroéconomique. Il n’y a pas de génération spontanée du capital : sans travail pour le valoriser, le capital ne croît ni ne s’accumule.[14] En sens inverse, les crises financières ne peuvent être séparées des crises de suraccumulation qui éclatent périodiquement dans la sphère productive. La crise qui a frappé le capitalisme des pays du sud-est asiatique en 1997 est consécutive à la surproduction qui a touché l’ensemble des secteurs industriels de cette région. Lorsque la dépréciation du yen par rapport au dollar a conduit à une surévaluation des autres monnaies asiatiques par rapport au yen, rendant encore plus aiguë la difficulté d’écouler les marchandises, la Thaïlande a dévalué son bath par rapport au dollar, entraînant les autres pays dans la dégringolade et poussant les capitaux à partir ailleurs. Il faut préciser que l’évolution considérable de l’activité économique vers des productions immatérielles, dans lesquelles les intrants sont eux-mêmes pour une large part des services, et dans lesquelles un travail de type intellectuel est surtout requis, ne change strictement rien à la nature de la relation entre l’accumulation du capital et le travail. L’augmentation considérable et inexorable de la productivité du travail est synonyme de deux autres choses qui constituent une identité logique : la diminution progressive des besoins en travail pour produire et la diminution de la valeur des marchandises produites. La diminution des besoins en travail et la montée de l’action Michelin à l’annonce des licenciements ne sont pas la preuve, comme le pensent ou le laissent à penser les commentateurs, que le capital fait du profit sans travail, c’est la preuve qu’il répartit encore plus à son avantage le fruit d’un travail de plus en plus productif. La production a beau se détacher quelque peu[15] de la matière, l’accumulation du capital à l’échelle globale[16] ne se détache pas, et ne peut pas se détacher, du travail. En outre, pas plus qu’il n’engendre le bonheur économique, le marché ne crée de la valeur. Il ne fait que la répartir : le “ marché du travail ” (comprenons le rapport des forces) répartit la valeur ajoutée entre salaires et profits ; le marché des marchandises (produits matériels et services) répartit les profits entre investisseurs au prorata du capital engagé ; et le marché des capitaux s’interpose de plus en plus pour présider à ce dernier partage par le biais des acquisitions et des fusions. Penser que la création de la valeur échapperait à ce circuit et aurait une source aussi invisible que miraculeuse, située quelque part dans l’informationnel en tant que tel, indépendamment du travail des “ informateurs ” et de celui des producteurs de leurs outils, ne pourrait que nous conduire à nous échouer sur la vacuité de la thèse du capital source de la valeur et de la richesse. On sait combien cette thèse produit de ravages dans les esprits avec la propagande pour les fonds de pension. Ces quelques éléments d’analyse étant posés, il est possible d’explorer quelques pistes pour aller vers un plein emploi d’un nouveau type. 3. Vers un plein emploi d’un nouveau type Une question préalable doit être posée – à défaut d’être résolue parce qu’elle fait largement débat dans la société, au sein du mouvement social et parmi les théoriciens et les politiques – : le plein emploi est-il encore possible ? Sans prétendre à l’exhaustivité et surtout à la vérité, on essaiera ici d’abord de lever quelques uns des malentendus courants. On esquissera ensuite un dessin de l’emploi dans un secteur marchand maîtrisé et dans un secteur non marchand élargi. On rappellera les conditions, notamment internationales permettant de retrouver une certaine maîtrise de la réalité économique et qui ont été popularisées par ATTAC. 3.1. Lever quelques malentendus 3.1.1. Pas de retour au passé Adopter le parti pris que le plein emploi est possible implique au préalable d’avoir reconnu qu’il était souhaitable. Malheureusement, il n’est pas absolument sûr que certains arguments contre sa possibilité ne se mêlent pas à des arguments contre son caractère souhaitable. Adopter le parti pris que le plein emploi est possible ne signifie pas qu’il s’agirait d’un retour au type de plein emploi qui a eu cours pendant la période (assez brève) des 30 Glorieuses. Plus précisément, il ne s’agit pas de la croyance en un retour au plein emploi majoritairement industriel. Insistons pour dire qu’il ne s’agirait pas non plus de fonder un plein emploi sur une croissance économique du type de celle qui était en vigueur à cette époque, à la fois sur le plan quantitatif (des taux très élevés) et sur le plan “ qualitatif ” (un développement dévastateur pour la planète). 3.1.2. Fin du travail ? Le choix du plein emploi implique ensuite de prendre position sur la question qui a fait la une des media ces dernières années : nous acheminons-nous vers la fin du travail ? La discussion a été rendue difficile par le fait que le terme “ travail ” parfois désigne toute action humaine nécessitant un effort et pouvant se traduire par une production, une création, voire une œuvre, parfois désigne la seule activité productive, parfois enfin désigne une catégorie encore plus restreinte, la forme dominante revêtue par l’activité productive au sein du capitalisme : le travail salarié et son cadre juridique, l’emploi salarié. Evidemment, selon l’acception retenue, le pronostic sur l’avenir du travail diffère. Il n’y a aucune raison de penser que le travail au premier sens du terme disparaisse puisque ce sens se rapporte au moins en partie au caractère anthropologique du travail. Dans le second sens, sa disparition complète supposerait une automatisation totale des processus productifs, d’amont en aval, qui ne paraît relever ni du court terme ni du long moyen terme. Seule pose problème la troisième acception, typiquement sociale et historique, du travail : quel est l’avenir du travail salarié ? On laisse de côté ici la question[17] de la nécessité ou non du dépassement du capitalisme et se son rapport social fondamental, le salariat – les deux étant liés –, pour donner seulement quelques éléments sur l’évolution du travail salarié dans la période actuelle. Toutes les sources statistiques concordent pour montrer que, en dépit de la montée du chômage, le nombre d’emplois salariés ne recule nulle part.[18] Au sein des pays de l’OCDE, l’emploi a progressé de 19,7% entre 1981 et 1997, soit un taux annuel moyen de 1,06%. Dans l’Union européenne, la progression est très faible mais réelle : 1,03% entre 1981 et 1997, soit 0,2% par an en moyenne. Nulle part, le nombre d’emplois salariés ne régresse sur une période longue.[19] Accroissement du chômage ne signifie donc pas diminution équivalente du nombre d’emplois. Ajoutons que, relativement à l’ensemble de la population active, le salariat progresse encore et que les nouvelles formes de travail indépendant qui peuvent apparaître ici ou là recréent le plus souvent une situation de dépendance très forte vis-à-vis du donneur d’ordre. Enfin, la majeure partie des agriculteurs sont soumis aux règles des filières de l’agro-industrie ou de la distribution. Un malentendu regrettable a été créé par la confusion entre la précarisation du travail salarié – caractérisée notamment par la menace du chômage et le laminage des protections sociales qui s’étaient peu à peu attachées à la condition salariale – et la disparition du salariat en tant que rapport social.[20] 3.1.3. Plein emploi et allocation universelle : complémentarité ou incompatibilité ? Autour des malentendus précédents – confusions entre plein emploi et plein emploi industriel, entre les différentes acceptions du mot travail, entre la précarisation du salariat et la disparition de ce rapport social – s’est cristallisée une opposition entre les partisans du versement d’un revenu d’existence ou d’une allocation universelle et ceux qui pensent que le plein emploi reste un objectif possible. Résumons les arguments des uns et des autres.[21] Sur le plan éthique, les premiers affirment le droit à la reconnaissance sociale de tout individu auquel le versement d’une allocation sans contrepartie donnerait la liberté de choisir d’effectuer une activité productive ou non puisque le travail n’est plus l’unique source d’identité, et peut-être même plus la principale ; les seconds estiment, d’une part, que la véritable équité consisterait à assurer à tous le droit fondamental de pouvoir s’insérer dans toutes les sphères de la vie en société – donc celle du travail incluse – et non pas d’assurer le droit à un palliatif car si le travail n’est plus une condition suffisante de l’identité des individus, il en reste sans doute une condition nécessaire, et ils pensent, d’autre part, que le couple droit-devoir est indissociable. Sur le plan économique, les partisans de l’allocation universelle avancent trois arguments. Le premier prend acte de la diminution de la place du travail dans la production, principalement dans la production effectuée dans un cadre capitaliste. Le second découle de celui-ci : il faut cesser d’associer la distribution d’un revenu à l’exécution d’un travail et prolonger le mouvement déjà à l’œuvre qui voit les revenus sociaux prendre une place grandissante. Pour éviter les inconvénients d’une trop forte dérégulation du “ marché du travail ”, il conviendrait de prévoir la possibilité de cumuler l’allocation universelle et un revenu d’activité, tout au moins jusqu’à un certain seuil. Le troisième argument constitue une théorisation des deux précédents : la révolution informationnelle qui bouleverse les processus productifs serait la preuve que la valeur économique ne trouverait plus son origine dans le travail humain. Les adversaires de l’allocation universelle et partisans d’une action en faveur d’un nouveau plein emploi essaient de réfuter les arguments précédents de la manière suivante. Premièrement, la diminution de la place du travail ne signifie pas, et de loin, sa disparition mais est l’indice même de l’augmentation de la productivité qu’il s’agit de répartir collectivement par la réduction du temps de travail contraint, de telle sorte que tous les individus puissent travailler mais moins longtemps, et que tous puissent en outre se livrer à des activités autonomes.[22] Deuxièmement, la déconnexion entre travail et revenu monétaire est déjà vraie sur le plan individuel[23] mais est fausse sur le plan macroéconomique : la valeur ajoutée, en provenance du secteur marchand comme du secteur non marchand, disponible pour la répartition des revenus monétaires, provient et ne provient que du travail ; l’allocation universelle serait donc une (mini) rente prélevée sur celui-ci pendant que les salaires versés sur le “ marché du travail ” seraient dévalorisés. Troisièmement, ceux qui choisissent le plein emploi contre l’allocation universelle se réfèrent en général à la vieille distinction entre valeur d’usage et valeur d’échange. Selon eux, la portée de cette distinction est double. D’abord, elle signifie que la valeur au sens économique vient exclusivement du travail, quelles que soient les transformations de celui-ci (place du travail intellectuel, utilisation du temps) et quelle que soit la nature des activités (matérielles ou immatérielles). Mais, ensuite, la richesse sociale, entendue comme la somme des utilités et satisfactions retirées de la vie en société, ne se réduit pas à la valeur économique. Ainsi, d’un côté, tout ce qui est valeur économique n’est pas richesse (eau polluée ou déchets radio-actifs) ; de l’autre, certaines richesses ne peuvent avoir de traduction économique et monétaire (lumière du soleil, qualité des relations humaines, justice et démocratie). Ceux qui choisissent le plein emploi de préférence à l’allocation universelle refusent donc que la richesse non économique soit monétarisée : la constitution du lien social n’est pas une “ production ”[24] qu’il faudrait marchandiser. Le bilan et la conclusion de cette discussion ne peuvent être tirés ici. Mais il semblerait que puissent être dégagés deux axes qui auraient l’avantage de ne pas fermer le dialogue entre partisans et adversaires de l’allocation universelle dont on ne peut, ni pour les uns ni pour les autres, douter de l’engagement en faveur d’une société plus juste : - Dans la mesure où le principal danger d’une priorité absolue donnée à l’allocation universelle serait de mettre une croix sur l’insertion globale de tous les individus à tous les compartiments de la vie sociale et que, à l’envers, le risque d’un refus de cette allocation serait de ne pas tenir compte des situations d’urgence provoquées par le chômage et l’exclusion, un accord peut être dégagé en faveur d’un relèvement immédiat et important des “ minima sociaux ” et en faveur d’un élargissement d’un revenu social garanti aux catégories qui sont aujourd’hui exclues soit du RMI (jeunes de moins de 18 à 25 ans) soit d’allocation chômage. Le versement de ce revenu garanti par la société serait permanent tant qu’elle n’a pas réussi à éradiquer le chômage. - Le versement de ce revenu n’évite l’approfondissement de la coupure entre ceux qui peuvent s’insérer globalement dans la société et les “ assistés ” que si une action efficace pour l’emploi pour tous est menée. Dans cette perspective la réduction de la durée du travail, immédiatement vers 35 heures, rapidement vers 32 heures ou 4 jours par semaine, en privilégiant la progression des salaires faibles et modestes pour réduire les inégalités, est un impératif. Par la suite, l’utilisation prioritaire des gains de productivité pour poursuivre la réduction du temps de travail est indispensable, d’une part, pour rester vigilant face au risque de chômage et, d’autre part, pour inverser le partage entre salaires et profits qui a eu cours pendant les deux dernières décennies. 3.1.4. Un “ tiers-secteur ” pour une “ société avec marché ” ? Les activités utiles mais non prises en charge par le secteur marchand parce que non rentables pour lui sont de plus en plus fréquemment désignées par les expressions de tiers-secteur ou d’économie quaternaire, ou encore d’économie sociale ou solidaire.[25] La nécessité de favoriser le développement d’activités éminemment utiles pour protéger l’environnement ou impulser des services collectifs de proximité est ressentie à juste titre par beaucoup de personnes. Mais la désignation de ces activités et leur insertion dans le reste de la société soulèvent de nombreuses questions. L’appellation de “ tiers-secteur ” laisserait-elle entendre qu’il s’agirait d’un secteur à la fois ni marchand ni non marchand ? Ce serait impossible : ce secteur existerait certes à une échelle différente de celle de l’Etat central (collectivités locales, associations) mais il appartiendrait véritablement au secteur non marchand s’il requiert un financement collectif. S’il était également financé en partie par une vente sur le marché, il serait mixte mais non pas tiers à l’image d’un impossible troisième sexe. L’idée de “ tiers-secteur ” contient une critique implicite de l’Etat sans que l’on sache si celle-ci s’adresse aux imperfections et dysfonctionnements de l’Etat-providence ou si elle vise l’Etat lui-même décidant des objectifs, fixant des priorités et mettant en œuvre des politiques. Cette notion ne risque-t-elle pas de remettre en cause les services publics, en tirant argument de leurs défauts, non pour supprimer les défauts mais les services eux-mêmes ? Avec le “ tiers-secteur ”, l’Etat ne continuerait-il pas à se décharger de ses responsabilités sur le tissu associatif et ne défausserait-il pas sur lui de l’emploi fragile et précaire ?[26] D’où la nécessité d’offrir des statuts et rémunérations pour les salariés de ce secteur égaux à ceux de tous les autres salariés.[27] La logique de la rentabilité financière a provoqué la montée du chômage dans le monde et empêche sa résorption véritable. L’incapacité ou le refus des politiques économiques à œuvrer pour le plein emploi ont favorisé l’émergence d’un concept de substitution : le plein emploi, qui semblerait impossible à atteindre, devrait être remplacé par la pleine activité. Cette distinction est inutile à partir du moment où l’on revendique des droits et statuts égaux pour les travailleurs de toutes les activités productives, exercées dans le secteur marchand et dans le secteur non marchand, ce dernier entendu à tous les échelons, du plus central au plus décentralisé. Plus problématique encore est l’idée qu’il faudrait construire une “ économie plurielle ” pour “ dépasser le clivage Etat/marché ”[28] : toute économie reposant sur trois pôles, l’économie marchande, l’économie non marchande, dans lesquelles existeraient les relations monétaires, et l’économie non monétaire basée sur la réciprocité, il faudrait promouvoir la reconnaissance économique de cette dernière, ce qui paraît pour le moins paradoxal. Les théoriciens de l’économie plurielle ne sous-estiment-ils pas le fait que le secteur marchand imprime sa logique à l’ensemble de la société ? Sous l’effet de l’accumulation, l’économie, en s’autonomisant, ne plie-t-elle pas la société tout entière à sa logique ? Ne conviendrait-il pas, a contrario, d’inverser la tendance en soumettant l’ensemble des sphères de l’économie à une autre logique que celle de la rentabilité ? Si ces questions n’étaient pas franchement abordées, pourrait-on distinguer avec netteté l’économie plurielle de la troisième voie sociale-libérale qui projette de laminer peu à peu le rôle de la politique pour confier la direction de la chose publique à la “ société de marché ” ?[29] Le Premier Ministre français, M. Jospin, vient de déclarer qu’on ne gouvernait pas l’économie par la loi. Déjà, on nous avait inculqué l’idée selon laquelle on ne transformait pas la société par la révolution. Si on ne peut pas non plus la changer par la loi, que reste-t-il ? Le mouvement populaire, répond M. Jospin. Mais un mouvement qui n’aurait, par définition, pour débouchés ni la révolution ni la loi, simplement la possibilité de crier dans des manifestations. M. Jospin vient donc de tuer simultanément l’essence du politique et du mouvement social. Vogue donc l’économie financière ! Concevoir une “ société avec marché ” comme un état équilibré et figé serait une défaite programmée devant les impératifs du profit. L’économie plurielle n’aurait de sens que si elle représentait une transition dynamique d’inversion des tendances aujourd’hui dominantes. 3.2. L’emploi dans un secteur marchand maîtrisé et l’emploi dans un secteur non marchand élargi A la logique du profit doit se substituer celle des besoins. A la logique des besoins liés au gaspillage et à la destruction de l’environnement doit se substituer celle des besoins sociaux orientés vers un mode de vie soutenable à long terme. La réduction du temps de travail et le renforcement de la protection des salariés doivent être des impératifs dans tous les secteurs, en premier lieu bien sûr dans le secteur marchand où la précarité est devenue la règle. Les licenciements annoncés chez Michelin rappellent l’urgence de renverser radicalement le risque : c’est aux actionnaires de supporter le risque de leur mise de fonds et non aux salariés. En plus d’agir pour donner une portée réelle à la réduction du temps de travail, il convient de réfléchir à des dispositifs obligeant les entreprises qui réalisent des bénéfices, et qui malgré cela envisagent des compressions de personnel, de continuer à verser les salaires et les cotisations correspondant aux emplois supprimés. Ensuite, pour contribuer à juguler la tendance dominante à la primauté de la logique de la rentabilité, il faut favoriser le développement du secteur non marchand. Dans ce but, précisions les contours des différentes formes d’emplois. L’emploi, salarié ou non, est le cadre institutionnel dans lequel s’exerce un travail salarié ou indépendant, engendré soit par le secteur marchand soit par le secteur non marchand. On peut donc considérer, pour ne pas obscurcir l’utilisation des termes, que travail et emploi sont deux faces de la même réalité mais que ces termes se déclinent selon les quatre cas de figure suivants.
Seules les cases 1, 2 et 3 correspondent à l’activité économique ayant une traduction monétaire ; le travail domestique (case 4) n’a pas de traduction monétaire mais produit pourtant des utilités. L’activité non économique ressortit d’une autre catégorie – hors schéma ici – qui recouvre les activités ludiques, relationnelles ou politiques. Tout travail salarié, et donc tout emploi salarié (cases 1 et 2) est marchand, même dans le secteur non marchand. C’est donc par abus de langage que l’on parle en raccourci d’emploi non marchand : il s’agit en réalité d’emploi dans le secteur non marchand. Quelle est la nature de l’emploi dans le secteur non marchand ? Le libéralisme entretient l’idée que toute activité économique effectuée sous l’égide de la collectivité, Etat ou collectivité locale, serait contre-productive parce que le service qu’elle fournit ne ferait pas l’objet d’une vente sur le marché et serait donc financée par un prélèvement obligatoire, sous-entendu par une ponction spoliatrice sur les seules activités productives, sous-entendu privées. Trois séries d’arguments peuvent être opposées à ce discours. Premièrement, les prélèvements obligatoires ne sont pas effectués sur le seul PIB marchand mais sur la totalité du PIB : les salariés du public paient des impôts comme ceux du privé ; des cotisations sociales sont perçues sur les premiers et sur les seconds. Deuxièmement, les prélèvements obligatoires sont des suppléments obligatoires. Par les dépenses publiques d’éducation, de santé, d’infrastructures, la collectivité, non seulement crée des richesses utiles pour aujourd’hui et pour demain, mais elle engendre des externalités positives, c’est-à-dire des retombées bénéfiques qui rejaillissent sur l’activité privée elle même. Troisièmement, dire que l’investissement public évince l’investissement privé en absorbant une part de l’épargne nationale est aussi sot que de dire que l’investissement de Renault évince celui de Peugeot ou de Rhône-Poulenc. En réalité, la montée des prélèvements obligatoires dans les sociétés modernes est le reflet de la montée des besoins de type collectif qui, d’abord, nécessitent de lourds investissements impliquant une vision de l’avenir à long terme, et qui, ensuite, traduisent la marche vers une société plus démocratique où les forces aveugles du marché sont canalisées dans des bornes fixant la frontière entre le tolérable et l’inacceptable. Les acquis sociaux ne sont pas tombés du ciel : aucun n’a été acquis sans être conquis. Les commentateurs économiques applaudissent en annonçant une augmentation de la consommation d’automobiles ou de téléphones portables et se lamentent à propos de l’augmentation des dépenses de santé. Pourquoi ? Un emploi dans les hôpitaux serait-il moins bon qu’un emploi dans l’industrie automobile ? Serait-il créateur de moins de valeur, de richesse ou encore d’utilité ? Evidemment non, mais il introduit une dose de redistribution insupportable aux libéraux et aux groupes sociaux les plus favorisés. Si les prélèvements obligatoires sont critiquables, c’est parce que les riches et les très riches ont mille moyens pour y échapper, et non pas parce qu’ils auraient atteint un seuil insupportable. Si la société considère comme une bonne chose l’allongement de l’espérance de vie, il faudra bien qu’elle consacre une part croissante du PIB à la vieillesse ; si l’éducation est véritablement une priorité, il faut bien que sa place dans le PIB s’accroisse. Il n’y a pas lieu de substituer le terme activité au terme emploi pour désigner la participation à des tâches considérées comme socialement utiles et financées par la collectivité. Les emplois offerts par le secteur non marchand doivent être considérés comme des emplois à part entière au même titre que ceux offerts par le secteur marchand.[30] On ne parle pas d’activité pour les emplois actuels d’enseignant dans les écoles, d’infirmière dans les hôpitaux ; beaucoup de ceux qui en parlent aujourd’hui pour désigner les futurs emplois d’utilité sociale à créer prennent le risque de les faire passer pour des emplois de seconde zone, vraisemblablement précaires, moins payés, pour une forme d’assistanat déguisé. En fait, à partir du moment où la société reconnaît, par le biais du marché ou par un choix collectif, à telle ou telle activité le mérite de recevoir une rémunération, elle doit lui accorder de ce fait le statut d’activité économique, c’est-à-dire d’emploi et de travail égaux en droits pour celui qui occupe l’un et exécute l’autre.[31] En étendant légitimement la notion d’emploi à toutes les occupations économiques utiles dont la société aurait besoin et qu’elle déciderait de faire accomplir, celles-ci devraient être rémunérées au même titre que les emplois déjà existants des secteurs marchand et non marchand. Ces emplois ne sont pas par nature fictifs ou improductifs comme tente de le faire croire la vulgate libérale, mais ils peuvent l’être s’ils ne correspondent pas à des besoins ressentis par la population et s’ils sont conçus comme éphémères ou comme substituts à de vrais emplois. Finalement, la question du développement de l’emploi dans le secteur non marchand par le biais de financements collectifs exigeant des prélèvements obligatoires pose une question cruciale : qu’est-ce que notre société considère comme étant de la richesse, de la valeur et comme ayant de l’utilité ? Les économistes libéraux ont une réponse simple mais triviale : ce qui a une valeur et qui donc constitue de la richesse, c’est ce qui se vend sur le marché, sous-entendu ce qui dégage un profit privé. Il y a là une double erreur. Premièrement, aucune interrogation ne vient effleurer leur esprit pour savoir si la production marchande crée des biens et services réellement utiles ou si cette production n’engendre pas des effets négatifs non pris en compte comme la pollution. Deuxièmement, la production de services collectifs est considérée comme n’ayant pas de valeur d’usage puisque ne faisant pas l’objet d’échange marchand ; elle n’est donc pas perçue comme de la richesse supplémentaire disponible pour la population puisque n’étant soi-disant qu’une ponction. Il faut en réalité comprendre que les services non marchands créent de l’utilité, de la valeur d’usage mais certes pas de valeur d’échange contenant un profit appropriable par des individus ou groupes privés. Le coup de force des libéraux est de ne légitimer que les productions de profit et n'accorder droit de cité qu'à celles ci.[32] La production de richesse n’est certes pas réductible à celle de la valeur reconnue par la vente sur le marché, mais prétendre que la “ production ” de lien social crée une valeur économique que la société doit rémunérer en tant que telle n’aboutirait qu’à justifier un revenu d’existence définitif à la place du plein emploi, au lieu (cf. ci-dessus) de concevoir la garantie d’un revenu à ceux qui sont temporairement privés d’emploi. La production de biens et services dans un secteur non marchand crée des valeurs d’usage, donc de la richesse, et la construction du lien social est donnée de surcroît parce que le travailleur fournissant ces biens et services est reconnu à part entière. 3.3. Les conditions du plein emploi La maîtrise par la société dans son ensemble des processus de régulation est une condition impérative pour battre en brèche la financiarisation de l’économie. Mais la régulation elle-même ne tombera pas du ciel. Elle sera obtenue si une mobilisation importante se crée. Mobilisation des salariés pour le maintien de leurs emplois et la création de nouveaux (sinon quelle solidarité pourrait naître avec les chômeurs ?). Mobilisation de l’ensemble des citoyens autour des questions de société que pose l’évolution actuelle. Restaurer une logique sociale autour du plein emploi s’oppose de front à la logique présidant à la mondialisation financière. Aussi est-il nécessaire de renforcer encore davantage la connexion entre les thèmes développés par ATTAC autour d’une nouvelle régulation de l’économie mondiale. 3.3.1. La taxation du capital La taxe Tobin doit être insérée dans un dispositif plus large de contrôle des mouvements de capitaux et de leur utilisation. Cela suppose de : - transformer la fiscalité par un allègement de la fiscalité pesant sur les revenus du travail, et par une harmonisation de la fiscalité sur le capital, tant sur le patrimoine que sur les revenus ; il ne suffit pas de taxer la vitesse de passation de la propriété tout en laissant la propriété et ses revenus eux-mêmes exonérés ; la taxe Tobin pourrait donc être combinée avec une taxation des investissements directs à l’étranger et avec un impôt unitaire sur les bénéfices des sociétés multinationales ;[33] - associer à une taxe sur les mouvements de capitaux une pénalité pour les banques qui se prêtent au jeu de la spéculation en avançant les sommes nécessaires à celle-ci : par exemple, on obligerait les banques à un dépôt non rémunéré supplémentaire auprès de la banque centrale ; - se prémunir contre les comportements spéculatifs des banques centrales elles-mêmes en mettant fin à cette grave entorse à la démocratie qui a consisté à les rendre indépendantes du pouvoir politique. 3.3.2. La maîtrise de la monnaie Le processus de privatisation de la monnaie est enclenché : d’une part à cause de la perte de la maîtrise de la politique monétaire, d’autre part à cause de la priorité accordée à la garantie de la valeur des actifs financiers privés. Il s’agit alors de restaurer la dualité de la monnaie, bien privé mais aussi institution sociale, gage du respect de la dette de la société vis-à-vis de chacun de ses membres.[34] Le retour des banques centrales, et en premier lieu de la banque centrale européenne, dans le giron des pouvoirs démocratiques est une absolue nécessité. 3.3.3. L’annulation des dettes publiques L’amélioration du niveau de vie des populations les plus démunies dans le monde nécessite que soit annulée rapidement la dette des pays pauvres. Mais il faut réfléchir également au problème posé par toutes les dettes publiques dans le monde. En effet, les dettes publiques engendrent le paiement d’intérêts qui représentent un énorme transfert des pauvres vers les riches, de ceux qui ne vivent que de leur travail vers ceux qui vivent de leurs rentes, d’autant plus que les riches ont davantage de moyens d’échapper à l’impôt progressif sur le revenu. En France, la charge de la dette publique s’élève à près de 300 milliards de francs par an, ce qui correspond à la totalité de l’impôt sur le revenu. Les dettes publiques sont l’alibi pour imposer des politiques d’austérité alors que les bons du trésor qui sont les reconnaissances des dettes publiques constituent toujours des valeurs-refuges pour les capitaux qui désertent les terrains d’investissement à hauts risques. Les Etats ne pourraient-ils plus emprunter à l’avenir si l’on décidait de dévaluer leurs dettes ? Mais ils n’empruntent déjà que pour payer la charge de la dette ancienne. Les petits épargnants détenteurs de bons du trésor seraient-ils lésés par l’annulation de la dette ? Certes, mais, dans le même temps, les revenus directs et indirects du travail pourraient être nettement revalorisés par rapport aux revenus financiers. La mise au chômage d’une fraction importante de la population – désireuse de travailler à la fois pour avoir un revenu monétaire et aussi pour s’insérer dans la vie sociale qui est encore largement, bien que non exclusivement, structurée par la participation à la production de biens et services – peut être considérée comme une manifestation de l’exercice du pouvoir de la classe sociale détentrice des principales formes de capital à l’encontre de celle qui en dépossédée. En d’autres termes, la mise au chômage et le maintien dans cet état est un acte de lutte de classes à l’initiative de celle qui domine. L’abandon de l’objectif de plein emploi signifierait donc un renoncement, une abdication face à la logique du profit gouvernant la planète. Il donnerait corps à cette ineptie consistant à croire que le capital est source de la valeur et à cette croyance que le marché est à lui seul capable d’engendrer le meilleur état possible pour l’humanité. A l’heure où le mode de développement impulsé par le capitalisme se révèle à la fois destructeur des liens sociaux et des cultures et dévastateur de la planète, la coexistence de “ l’économique ” et du “ vivant ”[35] pour un mode de vie soutenable pose des questions nouvelles qui ne sont pas sans rappeler une vieille question aujourd’hui malheureusement oubliée : celle de la propriété. A travers l’emploi et la répartition des revenus, il s’agit de savoir qui s’appropriera les gains de productivité. A travers le financement des retraites, il s’agit de savoir si les fonds de pension réussiront à détourner une part encore plus grande du produit mondial. A travers les bio-technologies, il s’agit de savoir si les multinationales réussiront à privatiser le vivant. Concluons en disant qu’en posant les questions de la propriété du fruit du travail, du partage du travail à accomplir pour produire, de la définition des biens collectifs qui ne peuvent être aliénés comme l’eau, l’air, les ressources naturelles et les espèces vivantes, on pose la question de la maîtrise du temps – de notre temps – et celle de la vie. N’est-ce un peu la même chose ? 15 septembre 1999 Références citées - AZNAR G., CAILLE A., LAVILLE J.L., ROBIN J., SUE R. [1997], Vers une économie plurielle, Un travail, une activité, un revenu pour tous, Paris, Alternatives économiques, Syros. - BRESSON Y. [1993], L’après-salariat, Une nouvelle approche de l’économie, Paris, Economica, 2° éd. - CAILLE A. 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Trop souvent, une confusion est faite entre libéralisme et capitalisme, qui se traduit parfois par l’idée que le libéralisme (notamment l’ultra-libéralisme) serait condamnable mais pas le capitalisme. Or, le libéralisme est le discours – et sa mise en pratique politique – du capitalisme sur lui-même. [10] . Un exemple : France Telecom affiche une capitalisation boursière de 518 milliards alors que son capital propre ne s’élève qu’à 94 milliards. [11] . Travail entendu au sens global : direct mais aussi indirect contenu dans les moyens de production. [12] . Sur cette notion de valeur captée, voir Harribey [1999]. [13] . Keynes [1969]. [14] . Voir Nikonoff [1999]. [15] . Quelque peu seulement car pour échanger des informations et faire de la “ communication ”, il faut des ordinateurs, des cables, des satellites, des fusées, de l’énergie, etc. [16] . On précise bien à l’échelle globale, parce qu’il est évident que l’accumulation individuelle peut, elle, se produire par captation (cf. ci-dessus) : un holding financier sans aucun salarié peut ainsi accumuler. [17] . Non qu’elle ne soit pas importante, au contraire, mais elle dépasse, pour le coup, les limites de ce texte. Pour la discussion, voir entre autres Méda [1995], Rifkin [1996], Gorz [1997], Harribey [1997, 1998]. [18] . Comment pourrait-il reculer d’ailleurs puisque le capitalisme, qui est fondé sur le salariat, ne cesse de s’étendre encore ? [19] . Tous ces pourcentages sont calculés à partir de Marchand, Thélot [1991] et de OCDE [1998, tableau 20, p. 274]. [20] . Voir Castel [1995]. [21] . Pour l’allocation universelle, voir Bresson [1993], Caillé [1996], Ferry [1995], Gorz [1997], Van Parijs [1997] ; contre cette allocation, voir Castel [1998], Harribey [1997], Méda [1995]. [22] . C’était en gros la thèse défendue par Gorz [1988] dans son avant-dernier livre. [23] . En raison de l’existence de l’Etat-Providence et surtout en raison du fait que la hiérarchie des salaires n’a rien à voir avec des différences de productivité entre individus – l’amélioration de la productivité est une œuvre collective – mais reflète l’échelle des positions sociales. D’où la nécessité, pensent les adversaires de l’allocation universelle, d’agir pour diminuer les inégalités de revenus. [24] . On trouve l’expression chez Moulier Boutang [1999], partisan de l’allocation universelle. [25] . Voir Eme, Laville [1994] ; Lipietz [1996] ; O.C.D.E. [1996] ; Rifkin [1996] ; Aznar, Caillé, Laville, Robin, Sue [1997] ; Sue [1997]. [26] . Voir Méda [1999]. [27] . C’est d’ailleurs l’un des points sur lequel A. Lipietz, l’un des théoriciens du tiers-secteur, insiste dans son pré-rapport sur ce sujet à Mme Martine Aubry. [28] . Laville [1996]. [29] . Voir la critique de Petrella [1999]. [30]. Le choix inverse signifierait qu’implicitement on considère que les services non marchands ne sont pas de la richesse. Certes, ils ne sont pas de la richesse produite dans un but lucratif mais ils sont de la richesse. La ligne de démarcation entre marchand et non marchand n’est pas entre emplois productifs et improductifs de richesse, ni même de valeur ajoutée, mais entre emplois productifs et improductifs de profits. [31]. Cela est d’ailleurs confirmé par le droit positif puisque, comme le fait remarquer J.J. Dupeyroux, la législation sur les accidents du travail s’applique déjà à des catégories de personnes exerçant des tâches non rémunérées. Il ajoute même [1995, p. 24] que pour éventuellement passer d’une société de plein emploi à une société de pleine activité, cela “ suppose, par hypothèse, une promotion sociale de la notion d’activité, hissée, en dignité, sur le même plan que le travail au sens traditionnel, cette mise à niveau permettant une fusion – ou une confusion – des deux concepts ”. [32] . Le tort de certains auteurs (cf. Méda [1999]) est d’attribuer cette imposture, entre autres, à Marx, alors que dans son esprit il s’agissait d’une critique, d’une dénonciation. [33] . Voir Wachtel [1998]. [34] . Voir Orléan [1998] et Larsabal [1999-a]. [35] . Voir Passet [1996]. |