La contagion internationale des troubles monétaires et financiers, en 1997 et 1998 , a suscité l'inquiétude de nombreux économistes. L'instabilité financière mondiale affecte les conditions de travail et de vie des populations soumises à l'épreuve des politiques néo-libérales. Plusieurs projets de réformes ont été proposés dont le but est surtout d'assurer la pérennité de ces politiques. La taxation des opérations de change à court terme , dite taxe Tobin, nous semble être une mesure propre à la réduction de la néfaste instabilité. Selon J.Tobin, elle vise à " jeter du sable dans les rouages de la spéculation " sur les monnaies. Propos modeste, mais de grande conséquence. C'est ainsi que nous l'interprétons, dans ce qui suit, avant de discuter les critiques qui lui sont adressées. - La taxe Tobin concerne tous les Etats alors que la plupart des réformes proposées par le FMI et le G7 ne concernent que les économies dites " émergentes ". A commencer par les plus riches et les plus développés, dont les monnaies sont au coeur de la finance mondiale, et dont les initiatives sont les plus influentes. L'adoption d'un tel impôt réaffirmerait la nécessité de mettre en ¦uvre une réglementation publique internationale, face à l'instabilité des marché de capitaux. Elle réduirait la dépendance des pays à l'égard des marchés financiers, renversant la tendance actuelle. Les devises clés, principalement le dollar et bientôt l'euro, sont les monnaies véhiculaires des opérations de change. La taxe Tobin sur ces opérations ne ferait pas de distinction entre monnaies. Cela éviterait les réactions nationalistes de pays, ou de régions ,éprouvés par l'instabilité du dollar. En outre, cet impôt a une vocation universelle visant à intégrer, par la négociation, l'ensemble des gouvernements de la planète dans une démarche coordonnée, ce qui irait bien plus loin que les pétitions de principe énoncées dans le cadre étroit et non démocratique des sommets du G.3, du G.7, ou du G.10. -Il s'agit d'un impôt, sur les transactions de change à court terme, c'est-à-dire d'une forme de relation entre public et privé toute différente d'une collusion entre l'un et l'autre. Taxer les opérations de change pour modérer la spéculation, contrôler les mouvements de capitaux à court terme, ce serait adresser un avertissement politique fort aux principaux acteurs économiques: L'intérêt général prime sur les intérêts privés et la spéculation internationale. Il est notoire que la puissance économique et sociale des marchés du capital a augmenté, après 20 ans de déréglementation et de restructurations capitalistes. Les néo-libéraux eux-mêmes admettent que la bonne tenue des Bourses a été alimentée par une distribution de la valeur ajoutée favorable aux revenus du capital par rapport à ceux du travail . Et partout l'allégement de la taxation du capital s'est accompagnée de l'alourdissement de la fiscalité sur les salaires. Cette pression sur le salariat est présentée comme un phénomène mondial inévitable, auquel il faudrait se soumettre sous peine de disparaître. En écornant, même légèrement, les revenus de la spéculation sur les monnaies, la taxe Tobin introduirait un coin dans le mur de ce fatalisme qui affecte le rapport de force au détriment du travail. Son effet symbolique aurait un important impact politique. -En " mettant du sable dans les rouages de la spéculation ", la taxe Tobin ne prétend pas pouvoir éviter les grandes crises . Mais en répondant à la préoccupation de réduire l'instabilité financière , elle peut avoir un effet préventif , modérateur. La plupart des réformes proposées concernent la gestion des crises une fois que celles-ci ont éclaté . Elles cherchent à atténuer la brutalité de la sanction des marchés, par laquelle de lourdes pertes succèdent aux grands profits : atténuation pour les grandes institutions financières internationales, non pour les populations comme l'ont montré les récentes interventions du FMI en Asie du Sud-Est. Qu'il s'agisse de fonds spéculatifs ou de grandes banques occidentales, les exemples ne manquent pas. Les gouvernements veillent à la survie des institutions trop grosses pour faire faillite (" too big to fail ") . Le coût économique et social de ces sauvetages, qu'il soit supporté par les finances publiques ou réparti entre grandes institutions financières, est toléré par les néo-libéraux, qui invoquent la nécessité de pallier " le risque systémique " : effondrement du crédit, krach financier mondial. Par contre la taxe Tobin, qui ne sanctionnerait que les spéculateurs sur devises, est jugée intolérable par ces mêmes néo-libéraux , en raison du contrôle des mouvements de capitaux qu'elle introduirait . Or c'est précisément cet avertissement politique aux marchés qui nous parait être nécessaire. Nous connaissons les différentes objections adressées à la taxe Tobin, et sommes prêts à en discuter. La première concerne les difficultés de mise en ¦uvre de la taxe Tobin. Une autre série d'objections porte au contraire sur les insuffisances de cette taxe, qui ne concerne que les capitaux à court terme, et qui ne propose rien quant à une réforme du régime actuel des changes (J. Tobin tient pour acquis le régime des changes flottants), ni du système monétaire et financier international. 1) Les difficultés de mise en oeuvre de la taxe Tobin sont d'ordre politique plutôt qu'économique. Il n'est pas nécessaire que tous les pays de la planète s'engagent simultanément à mettre en oeuvre la taxe Tobin pour que celle-ci soit viable. Par contre les pays du G7, ainsi que d'autres places financières comme Singapour et Hong Kong devront y participer d'entrée de jeu. Certains pays dits émergents (Chili, Colombie) ont déjà pris , avec un succès unanimement reconnu, des mesures contraignantes (réserves obligatoires) qui reviennent à taxer les capitaux spéculatifs. N'est-ce pas la preuve que la taxation des capitaux internationaux est d'abord affaire de volonté politique ? Il faudra s'attaquer aux paradis fiscaux. Cette mesure de salubrité publique peut se réaliser au moyen d'une taxe punitive à l'entrée et la sortie des capitaux de ces paradis pour la fraude fiscale et le blanchiment de l'argent sale. Certains pensent que la taxe Tobin serait inefficace car les opérateurs financiers pourraient la contourner. C'est le propre de tout impôt d'être confronté à l'évasion fiscale, légale ou illégale. Doit-on pour autant renoncer à l'impôt ? Pour notre part nous sommes convaincus qu'un débat approfondi devrait permettre d'élaborer les mesures adéquates à l'extension et l'adaptation de la taxe Tobin à tous les instruments financiers sur le marché des changes. " Jeter du sable dans les rouages de la spéculation ", aurait comme résultat de mettre en cause les comportements porteurs de la dynamique du marché des changes de même que les algorithmes qui permettent le calcul des rendements par rapport aux risques dans un futur incertain. Aujourd'hui un ordre de change engendre jusqu'à huit opérations induites, ouvrant par la même un espace démesurée et inutile à la spéculation. La taxe Tobin réduirait la dimension du marché des changes sans le paralyser. Elle agirait à titre préventif en rendant non profitables certaines opérations spéculatives sur les marchés des changes, et éviterait ainsi que se forment des attaques déstabilisatrices contre les monnaies. 2) La taxe Tobin est-elle insuffisante comme élément d'un projet politique ? Il est certain que la taxe Tobin a un champ d'action limité aux opérations à court terme sur le marché des changes. Elle ne concerne pas la taxation de l'ensemble des revenus financiers provenant des actions, obligations et autres actifs .Celle-ci ne relève que des finances publiques nationales, bien que partout elle soit favorable aux revenus financiers. L'investissement à long terme à l'étranger n'est pas non plus concerné. Cependant l'intérêt de la taxe Tobin est son caractère nécessairement international : son instauration suppose un accord entre pays prêts à l'appliquer au lieu de se concurrencer. A ce titre c'est un embryon de contrôle international de la spéculation financière. Et même si seul le marché des changes est concerné, celui-ci est au carrefour de toutes les opérations financières internationales sur toutes les sortes d'actifs, y compris les investissements à long terme à l'étranger. Comme la taxe Tobin vise à redonner plus d'autonomie aux politiques économiques intérieures, par rapport à la spéculation financière sur les monnaies, elle conforterait les mesures intérieures de taxation des revenus financiers, et la surveillance publique des investissements extérieurs. Quant aux réformes du régime actuel des changes, et du système financier actuel, elles doivent en effet être l'objet de nouvelles discussions, et de propositions globales. Nous aurons à y prendre part. Cependant des réformes positives pour les populations actuellement soumises aux pressions des marchés du capital ne pourront se faire qu'en affrontant la puissance de la finance capitaliste et sa liberté d'action. En particulier sur le marché des changes, comme le suggère la taxe Tobin qui ouvrirait une brèche dans le fatalisme encore trop répandu. Nous soumettons ce texte à la discussion publique . Il faut sortir du cercle étroit des experts, financiers, banquiers, Banques centrales qui décident du sort de réformes concernant le monde entier. Nous y sommes encouragés par le mouvement d'opinion qui se dessine en faveur d'un contrôle plus strict des mouvements de capitaux. Un sondage d'opinion dans 20 pays, réalisé pour The Economist (2/1/99) indique que 49% des personnes interrogées sur la nécessité de ce contrôle sont pour, 37% sont contre, 14% ne savent pas . Ce n'est qu'un sondage , mais il incite à réfléchir sur les limites à imposer à la liberté des marchés de change et du capital, selon le magazine néo-libéral . Nous avons montré qu'une de ces limites est constituée par la taxe Tobin ,que nous souhaitons faire connaitre et approuver.
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