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*Professeurs à luniversité Paris-Nord, membres du Centre détude des dynamiques internationales (CEDI), membres du conseil scientifique dATTAC. Depuis que la globalisation financière sest imposée dans léconomie mondiale, les crises se sont succédées à un rythme accéléré : krach boursier de 1987, crises des monnaies européennes en 1992-93, crise mexicaine de 1994, crise des pays émergents dAsie en 1997 et de la Russie en 1998. La crise actuelle est sans doute la plus grave par sa gravité et par le nombre de pays quelle frappe. En effet, elle a démarré en Asie du Sud-Est en 1997, puis a déstabilisé le Japon, pour se généraliser ensuite à dautres pays émergents dEurope (Russie) et bientôt en Amérique latine (Brésil). Il ne fait plus de doute quelle crisaffectera profondément léconomie mondiale, à commencer les Etats-Unis et les pays de lUnion européenne. Il sagit donc dune crise systémique globale car elle ne se réduit pas à un accident financier, mais touche les ressorts profonds de la croissance mondiale. 1.- Le point de départ : la crise financière des " dragons " asiatiques Ces pays, qui avaient connu des rythmes de croissance exceptionnels, étaient présentés par les défenseurs de lordre libéral comme des modèles de développement bénéficiant des bienfaits de la globalisation de léconomie mondiale. Grâce à leur ouverture extérieure, ils profitaient des entrées de capitaux venant des pays industriels. Leur croissance était tirée par une croissance rapide de leurs exportations en direction des pays industrialisés quils concurrençaient grâce à une main duvre faiblement rémunérée. Ce modèle " vertueux " a implosé pour trois raisons principales : - il y a eu, tout dabord, un épuisement des lignes de spécialisation des pays émergents : cela sest manifesté par une surproduction des biens à faible valeur ajoutée produits par ces pays (textile, électronique notamment) ; - leurs taux de change, qui étaient ancrés sur le dollar, sont devenus surévalués à la suite de la hausse de la monnaie américaine en 1996-97 : ces pays ont perdu leur compétitivité, ce qui a pesé sur leurs exportations, et ils ont été lobjet dattaques spéculatives car leurs parités napparaissaient plus crédibles ; - en troisième lieu, on a assisté à la défaillance des systèmes bancaires et financiers émergents : bénéficiant dentrées massives de capitaux internationaux, les banques ont prêté sans discernement, engendrant des bulles spéculative, notamment dans limmobilier et sur les marchés boursiers. Cette mauvaise gestion des risques a été aggravée par la carence des autorités de contrôle, le plus souvent incompétentes et corrompues. 2.- Pourquoi cette crise est-elle plus grave que les précédentes ? La crise actuelle est la conséquence directe du processus de globalisation. La globalisation, qui sest généralisée au cours des dix années, a entraîné deux changements principaux dans léconomie mondiale : - les marchés sont devenus le mode dominant de régulation. Cela signifie que les politiques publiques ont perdu de leur importance face aux agents privés (investisseurs internationaux et entreprises multinationales) ; - les pays participant à ce nouvel ordre se sont largement ouverts sur léconomie mondiale, ce qui a renforcé linterdépendance des économies nationales. Les crises précédant la globalisation avaient été maîtrisées car les acteurs publics jouaient encore un rôle important. Ainsi, la crise de la dette du début des années 1980 était une crise sur la dette souveraine des Etats des pays en voie dindustrialisation. De ce fait, elle avait été circonscrite entre un nombre limité de débiteurs. Dans ce contexte, il avait été possible de la gérer par une concertation entre Etats. Aujourdhui, la situation est totalement différente : les crises financières impliquent essentiellement des acteurs privés (banques, investisseurs, entreprises). Celles-ci résultent ainsi dinteractions complexes entre une multitude dacteurs obéissant à une logique microéconomique. Cette complexité nouvelle des crises explique pourquoi celles-ci ne sont plus aisément maîtrisables. La gravité de la crise actuelle est accrue par la forte interdépendance des économies nationales, deuxième caractéristique de la globalisation. Cest ce qui explique pourquoi il y a eu propagation de la crise depuis 1997, le point de départ étant les pays émergents asiatiques qui, par un effet de domino, ont été frappés en chaîne et ont " transmis " leur mal au reste du monde, en commençant par le Japon, puis les Etats-Unis, plus récemment lEurope avec la Russie et lUnion européenne. Un autre facteur a contribué à amplifier la crise : cest le rôle joué par la spéculation. Les investisseurs internationaux se placent sur les marchés pour réaliser des plus-values et participent ainsi aux bulles financières. Mais, dès quils perdent confiance, ils se retirent brutalement des places financières locales, contribuant ainsi aux crises locales. Ces mouvements sont dautant plus brutaux que les spéculateurs ont un comportement " moutonnier ", ce qui les amène à réagir tous ensemble, au même moment, et dans le même sens. Au total, la crise actuelle, qui na pas fini de faire sentir ses effets, illustre avec force lincapacité où se trouve léconomie de marché mondialisée à sautoréguler. Cest un rude coup porté à loptimisme dangereux véhiculé par lidéologie libérale, selon laquelle la fameuse " main invisible " est là pour assurer que les marchés conduisent à un ordre économique harmonieux, dont tous les participants tireraient profit. Notre analyse montre quil est nécessaire de proposer dès maintenant un autre mode de régulation de léconomie mondiale. Il faut chercher à réduire les deux dimensions négatives de la globalisation financière : - limiter le pouvoir exorbitant des marchés en redonnant de limportance à la régulation publique : il sagit, en particulier, de re-réglementer et de taxer les opérations financières pour décourager la spéculation pure ; - réduire les effets négatifs de linterdépendance des économies : il nest ni possible, ni souhaitable de remettre en cause le développement des échanges internationaux, mais il est en revanche nécessaire dinstaurer une coopération internationale pour contrôler les opérateurs internationaux et sanctionner les pratiques contraires à lintérêt des pays, notamment des pays en voie de développement. Clairement, les instances internationales actuelles, le FMI en particulier, sont dans lincapacité de jouer correctement ce rôle. Toutefois, ces mesures seraient insuffisantes pour sattaquer aux fondements de la crise actuelle, qui est la manifestation dun dérèglement profond du capitalisme mondial, comme lexpliquent les lignes qui suivent. 3.- Crise de surproduction, crise du régime daccumulation à dominante financière Nous ne sommes pas en présence dune crise circonscrite à la sphère financière, qui pourrait être traitée à ce seul niveau. Il faut en venir aux racines des soubresauts financiers. Ils annoncent la réapparition de la crise de surproduction généralisée classique,dont Marx a montré, mieux que quiconque, les fondements au niveau des rapports de production qui sont en même temps rapports de répartition. Ce quil y a dinédit, cest que ce retour de la crise dans ce quelle a de plus irréductible, se fait dans les conditions explosives. Elles sont celles, dabord, dune mondialisation du capital fondée sur la libéralisation et la déréglementation, cest-à-dire le démantèlement, dans la plus part des pays, des mécanismes gouvernementaux qui pouvaient précédemment servir à mener des politiques anti-cycliques. Elles sont celles, ensuite, dun état de cécité et dimpréparation de classes dominantes capitalistes, grisées par la " victoire sur le communisme " et acquises à lutopie néolibérale du caractère autorégulateur et omniscient des mécanismes de marché. La crise est donc une crise de surproduction dans le cadre du nouveau régime daccumulation mondialisé à dominante financière. Elle traduit limpossibilité dassurer à une quantité suffisante de capital les conditions du bouclage du cycle de valorisation, de production et de commercialisation, de création et de réalisation de valeur et de plus value, et cela en raison de linsuffisance endémique de la demande solvable mondiale. Marx a bien travaillé sur le paradoxe de la surproduction, dont il soulignait le caractère relatif et disait que, loin de manifester un excédent de richesses, elle est la marque dun système dont les fondements posent des limites à laccumulation, en raison des mécanismes de répartition qui lui sont endogènes. Keynes a tenter de fournir une réponse sans sortir du cadre de la propriété privée des moyens de production. Il a été voué aux gémonies. Nous avons assisté, sur vingt ans, dans les pays du tiers-monde, à la réapparition des pires fléaux de la malnutrition, voire de la famine, de maladies, souvent de pandémies et, dans ceux de lOCDE, à la montée des chômeurs, des précarisés, des sans-logis, des sans-droits. Ces fléaux ne sont pas " naturels ". Ils frappent des populations qui sont marginalisées et exclues du cercle de la satisfaction des besoins élémentaires, donc des bases de la civilisation en raison de leur incapacité de transformer ces besoins pressants en demande solvable, en demande monétaire. Cette exclusion est donc de nature économique. Dans certains cas elle est récente, et, dans tous les pays, elle sest fortement aggravée par rapport à la situation des années 1970. Elle est le produit direct du régime daccumulation né de la déréglementation, de la libéralisation et des destructions non seulement demplois, mais de systèmes sociaux de production entiers, permises par la soumission du progrès technique aux signaux les plus bornés du profit, par la liberté de mouvement totale rendue au capital et la mise en concurrence de formes de production sociale dont la finalité nétait pas la même : maximiser le profit dun côté, assurer les conditions de la reproduction sociale de communautés de paysans, de pêcheurs ou dartisans de lautre. Il était de bon ton de célébrer " la victoire du consommateur sur le producteur ", ainsi que la " revanche des prêteurs ". On a fait mine doublier que les " producteurs ", cest-à-dire les salariés, sont aussi consommateurs et quà force de licencier les ouvriers dans les pays capitalistes avancés et à ôter par la libéralisation leurs moyens de vie à des paysans dans les pays du tiers-monde, le cercle des consommateurs se referme. La consommation des couches rentières, celles qui vivent complètement ou partiellement de revenus financiers intérêts sur les obligations ou dividendes sur les actions peut soutenir la demande et lactivité aux Etats-Unis ou dans quelques autres " pays-rentiers ", pays-source de capitaux de placements massifs, étudiés par les théoriciens de limpérialisme, dont beaucoup danalyses sont redevenues dune actualité totale. Mais, au plan de la macro-économie du système mondial, aucune consommation rentière ne viendra jamais compenser les marchés qui auront été détruits par la mise ou chômage massive ou la paupérisation absolue imposée à des communautés qui pouvaient auparavant assurer leur reproduction et exprimer une certaine demande solvable. Léconomie mondiale est face au retour brutal du principe de réalité : avant de pouvoir approprier de la valeur et de la plus value, il faut quelles aient été créées sur une échelle suffisante. Ce qui suppose que le cycle du capital ait pu être bouclé, la production commercialisée. Les gérants des grands fonds de placement financiers fonds de placement collectifs ou fonds de retraite privés anglo-saxons , ainsi que les autres grands opérateurs des marchés financiers, ont mis au point des normes de rendement de leurs placements et ont pris toutes les mesures pour les imposer aux entreprises, ainsi quaux marchés financiers subordonnés du système, qui sont les relais dans ce processus mondial de centralisation de richesse vers les pays-rentiers. A leurs yeux, ces normes, cette pression constante sont la condition pour quil y ait des flux de transfert de revenus vers les marchés financiers au rythme et à léchelle nécessaire pour satisfaire cette économie rentière internationale. Cest beau, ça paraît fonctionner. En fait, cela ne marche que pour autant que la valorisation du capital créateur de valeur et de plus value, qui est le fondement de la répartition et du transfert de richesse vers les détenteurs de créances sur la production, ait pu dabord se faire sur une échelle suffisante, et aussi sans à coups, sans interruptions dans le flux de richesses. Car les marchés financiers issus de la libéralisation, déréglementation et mondialisation financières, ont à la fois leurs temps propres qui ne sont pas ceux de la création de valeur, et encore moins de la création, avec des ralentissements, pire encore des interruptions dans le processus de valorisation, et dont les opérateurs nont aucune mémoire des crises du passé, ne savent même pas, par de vagues souvenirs livresques, ce qui sest passé en 1929 et dans les années 30, et se trouvent totalement désarmés. Leurs comportements ne peuvent pas être autre chose que des comportements de " désemparement ", voire de panique, comportements qui vont servir daccélérateur à la crise à des moments clefs, en renforçant les dimensions subjectives des mécanismes de propagation et en propulsant ceux-ci encore plus rapidement et plus sûrement.
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Octobre 1998. |