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Du Nord au Sud. Crise de la dette et plans d'ajustement

ATTAC France

Janvier 2001.

 

1- Crise de la dette

2- Conférence panafricaine Dakar 2000


 

Crise de la dette

La crise de l'endettement public, tant des pays du tiers-monde et de l'Est que des pays industrialisés, à partir des années 1980, a été utilisée pour imposer systématiquement des politiques d'austérité au nom de l'ajustement. Accusant leurs prédécesseurs d'avoir vécu au dessus de leurs moyens en recourant trop facilement à l'emprunt, la plupart des gouvernements en fonction dans les années 1980 ont progressivement imposé aux dépenses publiques, sociales en particulier, un ajustement. Un peu comme si il s'agissait d'ajuster la ceinture en la resserrant de deux ou trois crans. 

Dans les pays du tiers-monde et de l'Est, le formidable accroissement de la dette publique commença à la fin des années 1960 et déboucha sur une crise de remboursement à partir de 1982. Des responsables essentiels de cet endettement se trouvent dans les pays les plus industrialisés : ce sont les banques privées, la Banque mondiale et les gouvernements du Nord qui ont littéralement prêté à tour de bras des centaines de milliards d'eurodollars et de pétrodollars.

Pour placer leurs surplus de capitaux et de marchandises, ces différents acteurs du Nord ont prêté à des taux d'intérêt très bas. La dette publique des pays du Tiers Monde et de l'Est a ainsi été multipliée par douze entre 1968 et 1980. Dans les pays les plus industrialisés, l'endettement public augmenta également fortement pendant les années 1970 car les gouvernements tentèrent de répondre à la fin de trente années de croissance soutenue par des politiques keynésiennes de relance de la machine économique.

Un tournant historique s'amorce en 1979, 1980, 1981 avec l'arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan qui appliquent à grande échelle les politiques rêvées par les néolibéraux, notamment en augmentant de manière extrêmement forte les taux d'intérêt. Cette augmentation obligea les pouvoirs publics endettés à transférer aux institutions financières privées des montants colossaux. A partir de ce moment, à l'échelle planétaire, la dette publique constitua un formidable mécanisme de pompage d'une partie des richesses créées par les travailleurs salariés et les petits producteurs au profit du capital financier. 

Les pouvoirs publics endettés pour équilibrer leurs comptes ont accepté de réduire les dépenses sociales et d'investissement et de recourir à de nouveaux emprunts afin de pouvoir faire face à la montée des taux d'intérêt : c'est le fameux effet " boule de neige ", tel qu'il a été vécu aux quatre coins de la planète durant les années 1980 : augmentation mécanique de la dette causée par l'effet combiné des taux d'intérêt élevés et des nouveaux emprunts nécessaires au remboursement des emprunts antérieurs. 

Pour rembourser la dette publique, les gouvernements puisent notamment dans les recettes fiscales, dont la structure a évolué de manière régressive au cours des années 1980-1990. En effet, la part de ces recettes fiscales provenant des prélèvements sur les revenus du capital diminue, tandis qu'augmente la part de celles provenant des prélèvements sur le travail salarié, d'une part, et sur la consommation de masse, d'autre part. Bref, l'Etat prend aux travailleurs et aux pauvres pour donner aux riches (le capital) !

Une ambition stratégique

Les politiques d'ajustement structurel commencent à être appliquées dans les pays de la périphérie juste après l'éclatement de la crise de la dette en août 1982. Elles constituent la poursuite, sous une forme nouvelle, d'une offensive qui a débuté quelque quinze ans auparavant. De quelle offensive s'agit-il ? Il s'agit de la réponse donnée par les stratèges des gouvernements du Nord et des institutions financières multilatérales à leur service, à commencer par la Banque mondiale, au défi que constitue la perte de contrôle sur une partie croissante de la périphérie. Des années 1940 aux années 1960, se succèdent les indépendances asiatiques et africaines, s'étend le bloc de l'Est européen, triomphent les révolutions chinoise, cubaine et algérienne, se développent des politiques populistes et nationalistes par des régimes capitalistes de la périphérie (péronisme argentin, parti du Congrès indien de Nehru, nationalisme nassérien, etc.). De nouveaux mouvements et organisations se développent pêle-mêle au niveau international constituant autant de dangers pour la domination des principales puissances capitalistes. 

Les prêts massifs octroyés à partir de la seconde moitié des années 1960 à un nombre croissant de pays de la périphérie, à commencer par les alliés stratégiques (le Congo de Mobutu, l'Indonésie de Suharto, le Brésil de la dictature militaire…) et allant jusqu'à des pays comme la Yougoslavie et le Mexique, constituent les lubrifiants d'un puissant mécanisme de reprise de contrôle. Il s'agit de stimuler par des prêts ciblés une meilleure connexion des économies de la périphérie au marché mondial dominé par le centre. Il s'agit également d'assurer l'approvisionnement des économies du centre en matières premières et en combustible. En mettant les pays de la périphérie progressivement en concurrence les uns par rapport aux autres et en les incitant à renforcer leur modèle exportateur, il s'agissait de faire baisser les prix des produits qu'ils exportaient afin de diminuer le coût de production au Nord (et d'y augmenter le taux de profit). Il s'agissait enfin, dans un contexte de montée des luttes d'émancipation des peuples et de guerre froide avec le bloc de l'Est, de renforcer la zone d'influence des principaux pays capitalistes.

Si on ne peut pas affirmer qu'il y a eu, de la part des banques privées, de la Banque mondiale et des gouvernements du Nord, la mise en place d'un complot, il n'en reste pas moins qu'une analyse des politiques suivies par la Banque mondiale et par les principaux gouvernements des pays industrialisés en matière de prêts à la périphérie, n'était pas dépourvue d'ambitions stratégiques.

La crise qui éclate en 1982 est le résultat de l'effet combiné de la baisse des prix des produits exportés par les pays de la périphérie vers le marché mondial, et de l'explosion des taux d'intérêt. Du jour au lendemain, il faut rembourser davantage avec des revenus en diminution. De là l'étranglement. Les pays endettés annoncent qu'ils sont confrontés à des difficultés de paiement. Les banques privées du centre refusent immédiatement d'accorder de nouveaux prêts et exigent qu'on leur rembourse les anciens. Le FMI et les principaux pays capitalistes industrialisés avancent de nouveaux prêts pour permettre aux banques privées de récupérer leur mise et pour empêcher une succession de faillites bancaires. 

Depuis cette époque, le FMI, appuyé par la Banque mondiale, impose les plans d'ajustement structurel. Un pays endetté qui le refuse se voit menacé de l'arrêt des prêts du FMI et des gouvernements du Nord. On peut affirmer, sans risquer de se tromper, qu'ont eu raison ceux qui, à partir de 1982, ont proposé aux pays de la périphérie d'arrêter le remboursement de leurs dettes et de constituer un front des pays débiteurs. Si les pays du Sud avaient constitué ce front, ils auraient été en mesure de dicter leurs conditions à des créanciers aux abois.

En choisissant la voie du remboursement, sous les Fourches Caudines du FMI, les pays endettés ont transféré vers le capital financier du Nord l'équivalent de plusieurs plans Marshall. Les politiques d'ajustement ont impliqué l'abandon progressif d'éléments clés de la souveraineté nationale, ce qui a débouché sur une dépendance accrue des pays concernés par rapport aux pays les plus industrialisés et à leurs multinationales. Aucun des pays appliquant l'ajustement structurel n'a pu soutenir de manière durable un taux de croissance élevé. Partout, les inégalités sociales ont augmenté : aucun pays " ajusté " ne fait exception.

Les nouveaux prêts accordés par le FMI depuis 1982 ont trois objectifs : favoriser les réformes structurelles qu'impose l'ajustement ; assurer le remboursement de la dette contractée ; permettre progressivement aux pays endettés d'avoir accès aux prêts privés via les marchés financiers.

Deux types de mesure

L'ajustement structurel comprend deux grands types de mesure. Les premières à être appliquées sont des mesures de choc, généralement dévaluation de la monnaie et hausse des taux d'intérêt à l'intérieur du pays concerné. Les secondes sont des réformes structurelles (privatisation, réforme fiscale, réduction des dépenses publiques…).

La dévaluation imposée par le FMI a atteint régulièrement des taux de 40 à 50%. Elle vise à rendre plus compétitives les exportations du pays concerné, de manière à augmenter les rentrées de devises nécessaires au remboursement de la dette. Or, étant imposée à de nombreux pays, cette politique tournée vers les exportations débouche le plus souvent sur une chute du prix des produits exportés, et, au final, ne bénéficie qu'aux pays les plus industrialisés.

Autre effet négatif : l’explosion du prix des produits importés sur le marché intérieur, ce qui ne peut que déprimer la production intérieure parce que le coût de production augmente, tant dans l'agriculture que l'industrie et l'artisanat (ils incorporent de nombreux intrants importés, comme résultat de l'abandon des politiques " autocentrées "), alors que le pouvoir d'achat des consommateurs stagne (le FMI interdit toute indexation des salaires). La dévaluation entraîne une augmentation de l'inégalité dans la répartition des revenus car les capitalistes disposant de liquidités ont pris soin, avant la dévaluation, d'acheter des devises étrangères. Dans le cas d'une dévaluation de 50%, la valeur de leurs liquidités double. 

Par ailleurs, une politique de taux d'intérêt élevés ne fait qu'accroître la récession intérieure (le paysan ou l'artisan qui doit emprunter pour acheter les intrants nécessaires à sa production hésite à le faire ou réduit sa production par manque de moyens) tout en permettant au capital rentier de prospérer. Le FMI justifie ces taux d'intérêt élevés en affirmant qu'ils attireront les capitaux étrangers dont le pays a besoin. En pratique, ces capitaux sont volatils et prennent la direction d'autres cieux au moindre problème ou quand une meilleure perspective de profit apparaît.

Il existe égalment d’autres mesures d'ajustement spécifiques aux pays de la périphérie. Dans la plupart des pays du tiers-monde, la nourriture de base (pain, tortilla, riz…) est subventionnée de manière à empêcher de fortes hausses de prix. C'est souvent le cas également pour le transport collectif, l'électricité et l'eau. Le FMI et la Banque mondiale exigent systématiquement la suppression de telles subventions. Ce qui entraîne un appauvrissement des plus pauvres et quelquefois des émeutes de la faim. En outre, le FMI et la Banque mondiale ont lancé une offensive de longue haleine qui vise à faire disparaître toute forme de propriété communautaire. C'est ainsi qu'ils ont obtenu la modification de l'article de la Constitution mexicaine protégeant les biens communaux (appelés ejidos). Un des grands chantiers sur lequel travaillent ces deux institutions, c'est la privatisation des terres communautaires ou étatiques en Afrique subsaharienne.

Au Nord comme au Sud

La réduction du rôle du secteur public dans l'économie, la diminution des dépenses sociales, les privatisations, la réforme fiscale favorable au capital, la déréglementation du marché du travail, l'abandon d'aspects essentiels de la souveraineté des Etats, la suppression des contrôles de change, la stimulation de l'épargne-pension par capitalisation, la déréglementation des échanges commerciaux, l'encouragement des opérations boursières… toutes ces mesures sont appliquées dans le monde entier à des doses variant selon les rapports de force sociaux. Ce qui frappe, c'est que, du Mali au Royaume-Uni, du Canada au Brésil, de la France à la Thaïlande, des Etats-Unis à la Russie, on constate une profonde similitude et une complémentarité entre les politiques appelées " d'ajustement structurel " à la périphérie et celles baptisées au centre d’"assainissement ", dites d’" austérité ", ou de " convergence ". 

Partout, la crise de la dette publique, combinée à celle du chômage, a servi de prétexte au lancement de ces politiques. Partout, le remboursement de la dette publique représente un engrenage infernal de transfert des richesses au profit des détenteurs de capitaux.

Les plans d'ajustement structurel et autres plans d'austérité constituent une machine de guerre visant à détruire tous les mécanismes de solidarité collective (des biens communaux au système de pension par répartition) et de soumettre toutes les sphères de la vie humaine à la logique marchande.

Le sens profond de ces politiques, c'est la suppression systématique de toutes les entraves historiques et sociales au libre déploiement du capital pour lui permettre de poursuivre sa logique de profit immédiat quel qu'en soit le coût humain ou environnemental. Il faut rompre avec cette logique, abandonner les politiques d'ajustement structurel où qu’elles s'appliquent, et reconstruire un ensemble de mécanismes de contrôle du capital de manière à donner la priorité à l'humain. D’où l'importance de créer collectivement grâce à des solidarités Nord/Sud, Est/Ouest, de nouveaux réseaux de lutte citoyenne. Les multiples résistances peuvent déboucher sur un nouveau projet émancipateur. 

Eric Toussaint 

 

Conférence panafricaine Dakar 2000

La campagne mondiale pour l’annulation de la dette au-delà de l’an 2000

Dakar accueillait, du 11 au 16 décembre 2000, la première conférence panafricaine sur la dette et l’ajustement structurel, ainsi qu’une rencontre des campagnes du Nord et du Sud pour l’annulation de la dette. Ces rencontres internationales avaient pour principaux enjeux l’accélération de la mise en réseau des mouvements sociaux de toute l’Afrique, qu'elle soit francophone, anglophone ou lusophone, et la poursuite de la campagne pour l’annulation de la dette au-delà de l’an 2000.

La liste des participants témoigne à elle seule de la réussite de l’initiative Dakar 2000 et de l’importance des réseaux qui se sont tissés à cette occasion : une cinquantaine de pays représentés et, c’est inédit, plus de vingt-cinq pays de toute l’Afrique. La participation sénégalaise était évidemment la plus importante, avec une très forte mobilisation des ONG (dont Senattac), des syndicats (toutes confédérations confondues), des jeunes et surtout des mouvements de femmes. La manifestation qui a clôturé ces journées a rassemblé plus de 2500 personnes dans les rues de la capitale sénégalaise.

Pour l’Afrique aussi, un autre monde est possible

Dakar 2000 a, une nouvelle fois, dressé l’état des lieux d’une Afrique écrasée sous le poids de la dette et mise au pas par les institutions financières internationales et les pays du G7. Du Nord au Sud du continent, le constat est le même : privatisation des services publics, y compris de l’éducation et de la santé, pillage des ressources et crises écologiques, corruption, dégradation de l’état sanitaire des populations. Et le Manifeste de Dakar, adopté à l’issue de la rencontre, de rappeler une nouvelle fois que " l’annulation totale et inconditionnelle de la dette africaine est une exigence qui se fonde sur des arguments économiques, sociaux, moraux, juridiques et historiques indéniables. Car le problème de la dette n’est pas un problème "technique", comme tentent de le faire croire la Banque mondiale et le FMI. Il est fondamentalement un problème humain, social et politique. Le service de la dette et les conditions liées à celle-ci ont contribué à aggraver partout la pauvreté. La dette a déjà été remboursée : depuis plusieurs années, l’Afrique transfère plus de ressources aux pays développés qu’elle n’en reçoit ".

Mais l’Afrique d’aujourd’hui, c’est aussi la renaissance des mouvements sociaux, l’organisation des populations et des résistances multiformes à l’ajustement structurel. Rassemblés à Dakar, ces mouvements ont, dans leurs différents travaux, jeté les bases d’un " consensus africain " pour le développement du continent, en opposition au très libéral " consensus de Washington ". Et chacun de souligner que l’avenir de l’Afrique passe nécessairement par la mise en œuvre d’un développement endogène, centré sur la satisfaction des besoins fondamentaux ( à quoi sert une croissance qui broie les être humains et accroît la misère et l’exclusion ? ), par une plus grande intégration économique et politique du continent, par un développement participatif et démocratique, par de nouvelles relations et de nouvelles solidarités Nord-Sud.

Rendez-vous au G7 de Gènes

Autre enjeu de la rencontre de Dakar : l’avenir de la campagne internationale pour l’annulation de la dette. Plus connue sous le nom de Jubilé 2000, c’est sans doute la plus vaste campagne citoyenne jamais organisée. Dans un même mouvement, autour d’une même revendication, des ONG, des Eglises, des syndicats, des mouvements sociaux ou de simples citoyens se sont mobilisés dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud ; la pétition internationale pour l’annulation de la dette des pays les plus pauvres a rassemblé plus de 24 millions de signatures à travers le monde, sans pour autant faire plier les pays du G7. Très clairement, l’objectif d’une annulation massive de la dette à la veille du troisième millénaire n’a pas abouti. Se pose donc la question de la poursuite du mouvement, de ses mots d’ordre et de sa structuration.

A l’invitation de la coordination Jubilé Sud (qui rassemble un nombre significatif de campagnes des pays du Sud), les représentants des différents mouvements ont pu débattre autour de la notion de dette illégitime, des créances (historiques, écologiques) des pays du Sud sur les pays du Nord, de l’opportunité d’une campagne pour la répudiation de la dette (refus de payer des gouvernements du Sud), de l’utilité d’une instance internationale d’arbitrage, ou encore des différentes formes de conditionnalités. Naturellement, nous sommes encore loin d’un consensus. Mais le fossé entre différentes positions a sans doute été partiellement comblé, et de nombreuses pistes d’actions communes ont été lancées (rendez-vous de coordination réguliers, tribunaux de la dette, campagnes sur des mots d’ordres communs). Surtout, rendez-vous à été pris pour une journée mondiale contre la dette, en juillet 2001, lors du prochain sommet des chefs d’Etats des sept pays les plus riches (G7) : des initiatives seront organisées à travers toute la planète et des dizaines de milliers de manifestant(e)s sont d’ores et déjà attendu(e)s dans la ville italienne. 

Olivier Blamangin