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6 textes sur les thèmes du clearing, de la délinquance financière, du blanchiment et de la fraude fiscale.

1. Communiqué du groupe " paradis fiscaux - finance hors la loi " du Conseil Scientifique d'ATTAC

2. Les « boîtes noires » de la mondialisation Le Monde, 10 mai 01

3. Onde de choc parmi les plus grandes banques du monde, après l’ouverture d’une information contre Clearstream.

4. Petit vade-mecum

5. UNE ENQUÊTE, DES TEMOINS

6. Une interview de Denis ROBERT

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1. Communiqué du groupe " paradis fiscaux - finance hors la loi " du Conseil Scientifique d'ATTAC cs@attac.org

Denis Robert et Ernst Backes, " RÉVÉLATION$ ", Février 2001, Les Arènes, Paris, 455 pages, 138 F.

 

« Un livre qui vient de paraître, apporte des éléments nouveaux essentiels concernant la faisabilité de la taxe Tobin et les moyens de lutte contre la criminalité financière.

C'est un voyage hallucinant au coeur de la finance mondiale. Il existe dans le monde trois sociétés, créées par les banques pour les banques et sous leur seul contrôle, par où passent maintenant toutes les transactions internationales concernant les devises (Swift) et les valeurs mobilières (Euroclear et Clearstream). Clearstream est au Luxembourg, les deux autres en Belgique. Le livre décrit en détail le fonctionnement de l'une de ces sociétés, et apportent la démonstration de la traçabilité et de l'archivage à long terme des opérations financières. Les deux autres sociétés opèrent selon les mêmes principes.

Toute une argumentation concernant la non-faisabilité de la taxe Tobin se trouve de ce fait balayée. Les auteurs montrent aussi comment ce système peut être utilisés pour des opérations à grande échelle de blanchiment et autres pratiques criminelles, ce qui peut déboucher sur de nouveaux moyens de les combattre.

De telles réalités dérangent. Le livre a été descendu en flammes, au prétexte d'une erreur mineure, par un journal des plus influents. A sa suite, presque toute la presse a fait silence. Son examen par notre groupe a permis au contraire de vérifier le sérieux de ses informations, et confirme qu'il constitue un événement majeur. » Le «Grain de sable » >journal@attac.org<

 

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2. Les « boîtes noires » de la mondialisation Le Monde, 10 mai 01

 

Deux mois après la parution du livre du journaliste Denis ROBERT et de l’ancien cadre bancaire luxembourgeois Ernest BACKES, Révélation$, il est temps de prendre la mesure de son impact.

Les deux auteurs soutiennent que dans les mécanismes opaques des chambres de compensation internationales se cachent non seulement une des clés de la mondialisation financière, mais aussi celles de la mondialisation criminelle. Faut-il les croire ? Il y a tout lieu, au moins, de les lire avec attention.

Paradoxalement, l’essentiel de l’impact de Révélation$ se révèle dans le silence assourdissant de l’ensemble des acteurs du système mis en cause dans le fonctionnement de Clearstream et, dans une moindre mesure, de son homologue, Euroclear, ainsi que du système de routage financier Swift.

 

Dans un premier temps, cette stratégie de l’autruche des milieux financiers a pu laisser croire que Révélation$ n’avait été qu’un coup d’épée dans l’eau. Il nous apparaît au contraire que son histoire commence à peine.

La première révélation de cette enquête est que, derrière les mécanismes officiels de la finance mondiale, dont la société Clearstream au Luxembourg est l’une des pièces maîtresses, se dissimule une machinerie discrète, construite au sein même du système.

 

Banques et grands groupes industriels ont ouvert un grand nombre des comptes « non publiés » dont certains peuvent avoir une existence compréhensible, voire légitime, mais dont d’autres paraissent difficilement explicables dans le fonctionnement normal d’une société de clearing.

 

Une chambre de compensation permet en effet aux clients de se connaître pour s’adresser mutuellement leurs ordres de règlement ou de transfert. Qu’il existe des sous-comptes non publiés de comptes publiés, passe encore : cela peut simplifier et rationaliser certains échanges. Mais l’existence de comptes non publiés de clients occultes ne paraît avoir aucun sens au sein d’une chambre de compensation.

 

De même, la floraison de comptes non publiés ouverts par les filiales de grandes banques installées dans les paradis fiscaux ne cesse d’étonner. Ce principe de dissimulation se retrouve également dans le système Swift, où des utilisateurs peuvent décider de ne pas publier leurs codes pour les utiliser de façon bilatérale ou pour un petit groupe d’initiés. Le développement discret des procédures de ce type favorise à l’évidence la création d’un « triangle des Bermudes » dans lequel viendraient disparaître des flux d’argent de moins en moins contrôlables.

 

La deuxième révélation forte de l’ouvrage est que le chaos des flux financiers n’est qu’apparent. Certes les paradis bancaires et fiscaux cachent à merveille les points de passage et d’arrivée des capitaux sales. C’est même leur raison d’être. Tenter de découvrir ces derniers dans les centres off shore revient à chercher une aiguille dans une meule de foin, laquelle serait, de surcroît gardée dans une forteresse protégée par une garnison puissamment armée.

 

Cependant, comme les capitaux d’origine criminelle passent dans les mêmes « tuyaux » financiers que les autres, c’est à dire les sociétés de clearing et de routage financier, ils deviennent vulnérables précisément pendant leurs transferts.

 

On croit communément que l’argent échappe à tout contrôle possible durant cette phase parce qu’il plonge dans l’univers virtuel de la monnaie électronique. L’invisibilité physique de ces transferts est trompeuse car, en réalité, les sociétés de clearing et de routage exercent un quasi-monopole sur le transport international des capitaux. Comme les gendarmes au bord de la route, il suffirait d’aller regarder ce qui circule dans ces voies de passage obligées pour tomber sur ce qu’on cherche précisément à y dissimuler.

 

La troisième révélation de l’ouvrage apparaît capitale : contrairement, là aussi, à ce qu’on imagine souvent, aucune trace de la circulation des capitaux, qu’ils soient licites ou non, ne s’égare, car il est essentiel de la conserver pour servir de preuve des transferts et des changements de propriété.

 

Certes, la mémoire de ces mouvements n’est pas conçue par les autorités judiciaires ni ne leur est destinée : elle est conservée seulement pour retrouver les maillons d’une histoire en cas de contestation ou de contentieux entre les opérateurs. Mais elle existe.

 

Toutes les opérations sont enregistrées et conservées pendant des années sur des supports physiques, que ce soient des micro-fiches ou des disques optiques. Euroclear, Clearstream, Swift et tous les organismes similaires aux niveaux national ou régional sont à la fois les facteurs qui transportent et livrent l’argent ou les valeurs quand ils changent de mains et les notaires de ces opérations dont ils veillent soigneusement à conserver la trace.

 

Ainsi, Denis Robert et Ernest Backes nous montrent tout simplement où se trouvent les « boîtes noires » de la mondialisation financière. Cette révélation appelle un changement complet de perspectives.

 

Une conclusion s’impose : abandonnés sans contrôle réel, ces organismes peuvent être les pourvoyeurs de fraudes financières, de la corruption et de blanchiment. Et pourtant la solution est dans le problème lui-même : le quasi-monopole de fait des chambres de compensation et des services de routage financier, ainsi que la traçabilité des flux de capitaux sont les moyens par lesquels le contrôle serait possible, si on voulait l’exercer.

 

Pourquoi ne pas appliquer aux chambres de compensation les mécanismes de veille qui, par exemple, sont mis en place pour les cartes bancaires ? Chaque jour, pour des transactions infiniment plus faibles, des logiciels internes détectent les retraits suspects des utilisateurs de cartes à puce. Personne ne s’alarme. Les libertés fondamentales ne sont pas menacées par ce mécanisme de protection élémentaire. La leçon de Révélation$ est claire : les blanchiment sur les marchés financiers pourrait être considérablement réduit.

 

Il y a quatre ans, un livre de Denis Robert, La Justice ou le chaos, avait permis de lancer l’Appel de Genève et d’alerter et les citoyens européens sur la nécessité d’un espace judiciaire commun. Cette initiative avait marqué une étape importante dans la lutte contre la criminalité organisée. Malheureusement les institutions politiques avaient mis plusieurs mois, sinon plusieurs années, avant de réagir. Aujourd’hui, la mobilisation instantanée de la mission parlementaire française sur le blanchiment est de bon augure. Mais le débat ne fait que commencer.

 

La publication de Révélation$ doit permettre aux citoyens européens de comprendre le rôle des chambres de compensation et par là-même d’éclairer la mondialisation financière d’un jour nouveau. Une solution parmi d’autres consisterait à placer ces institutions sous le contrôle d’une organisation internationale qui pourrait jouer le rôle du tiers de confiance. Un progrès capital serait ainsi accompli dans la réconciliation de la finance et de la démocratie.

 

Bernard Bertossa, procureur général de Genève, Benoît Dejemeppe, procureur du roi à Bruxelles, Eva Joly, juge d’instruction à Paris, Jean de Maillard, magistrat à Blois, Renaud Van Ruymbeke, juge d’instruction à Paris.

 

 

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3. Onde de choc parmi les plus grandes banques du monde, après l’ouverture d’une information contre Clearstream.

Les Révélation$ de Denis Robert et Ernest Backes confirmées.

 

Il y a deux mois, le 28 février 2001, paraissait le livre de Denis Robert et Ernest Backes Révélation$ (Les Arènes) en même temps qu’était diffusé le documentaire de Denis Robert et Pascal Lorent Les dissimulateurs (Canal+, émission 90 minutes).

 

En dehors de toute enquête judiciaire ou policière, après un travail de franc-tireur de deux ans dans des conditions extrêmement délicates (menaces physiques sur les témoins, rumeurs contre les auteurs, mur du silence de la place bancaire), le livre et le film dénonçaient une entreprise luxembourgeoise, Clearstream, qui brasse chaque année 250 fois le budget de la France, et entrepose en ses coffres 47 fois ce même budget. Soit 9 trillions d'euros (1 trillion = 1000 milliards).

 

Leurs accusations : Clearstream, une coopérative bancaire créé en 1971, installée au Luxembourg, et devenue un “ monstre financier ”, serait gérée de manière de plus en plus opaque. Au point de devenir, selon un témoin clé, “ la plus grande lessiveuse d’argent sale du monde ”.

Les preuves de Denis Robert, Ernest Backes et Pascal Lorent étaient accablantes : le listing réel des 16.000 comptes de Clearstream (dont la moitié seulement existent “ officiellement ”), des milliers de micro-fiches et des dizaines de témoins, dont certains, liés par le secret bancaire ne pouvaient pas témoigner en dehors d’un cadre judiciaire.

 

Révélation$ comportait la plus sérieuse accusation jamais portée contre la finance mondiale, puisque ce système de dissimulation n’a pas pu être mis en place sans la complicité des plus grands banques de la planète, adhérentes ou administratrices de Clearstream.

 

Sans jamais demander à rencontrer les auteurs pour juger des pièces en leur possession, le Monde contestait immédiatement la fiabilité l’enquête (4 articles à charge en 5 jours). Cette attitude sceptique était aussitôt relayée par une grande partie de la presse.

D’un autre côté, Le Figaro et le Républicain Lorrain à la Une, France 2, les Inrockuptibles, Technikart, La Tribune, et le Nouvel Observateur donnaient un large écho à ces Révélation$ et aux Dissimulateurs.

Devant la polémique et l’influence du Monde, les journaux étrangers restèrent dans l’expectative, en dehors du Temps, du Soir, de El Païs et du Herald Tribune. Seul le Luxembourg était ébullition.

Après une flambée des ventes (30.000 exemplaires vendus, dont 8.000 à l’export). Révélation$ disparaissait de la surface médiatique.

 

Pour le public non averti, c’était un coup d’épée dans l’eau.

En fait, c’était seulement le premier chapitre d’une histoire hors du commun.

 

En coulisse, le combat faisait rage.

 

Après plusieurs cafouillages de communication, Clearstream lança la contre-attaque sur son terrain habituel : l’influence et l’intimidation financière. André Lussi, son administrateur délégué, multiplia les rendez-vous avec les dirigeants bancaires internationaux pour s’assurer de leur soutien. Il chargea son cabinet d’avocat londonien, Freshfields, et son commissaire aux comptes, KPMG, de rédiger un audit en forme de satisfecit. Il lança des détectives privées sur les traces des auteurs. Il entama plusieurs procédures judiciaires compliquées (uniquement au civil), en alternant les points litigieux et les cibles isolées pour créer de la confusion (au Luxembourg contre Ernest Backes seul et sur un point du livre, en France contre Denis Robert seul, Canal+ et Les Arènes sur une dizaine de points), suivi par quelques plaignants surréalistes comme le liquidateur de la Menatep, la banque mafieuse russe, qui contestait… être une banque mafieuse, malgré les enquêtes du FMI, de la CIA, du FBI et la faillite de la banque !

 

Cette offensive judiciaire sophistiquée est destinée à bloquer les traductions du livre à l’étranger, à intimider la presse, et à reporter au début 2002 le verdict des tribunaux, tout en épuisant financièrement les auteurs et leur éditeur.

 

Mais l’argent de Clearstream ne pouvait pas tout.

 

En Europe, Eva Joly, Renaud Van Ruymbeke, Jean de Maillard (l’auteur du livre de référence sur la criminalité financière “ Un monde sans loi ”), Bernard Bertossa, Procureur général de Genève et Benoît Dejemeppe, Procureur du roi à Bruxelles, ont signé une tribune argumentée en faveur de Révélation$. Les experts paradis fiscaux d’ATTAC se sont mobilisés, tout comme l’intergroupe européen présidé par Harlem Désir sur la taxation des capitaux. Luciano Violante, ancien responsable des brigades anti-mafia, aujourd’hui président du Parlement italien, a publiquement qualifié Révélation$ d’“ événement sans précédent sur la place financière ”.

En France, la mission parlementaire sur le blanchiment présidée par Vincent Peillon lance des auditions sans précédent, dans les milieux bancaires français et étrangers. Les premières auditions ont confirmé, la pertinence du livre et du film.

En Allemagne, la police fiscale mobilise des moyens importants pour vérifier les documents d’Ernest Backes (avec succès).

Au Luxembourg, une enquête préliminaire sous haute tension a démarré dans la semaine qui suivi la publication du livre et la diffusion du film. Dirigée par Carlos Zeyen, substitut du Procureur chargé de la lutte anti-blanchiment, l’enquête a vérifié soigneusement les témoignages recueillis par Denis Robert, analysé les pièces d’Ernest Backes et auditionné longuement un second “ insider ”, tenu en réserve par les auteurs, car il était lié par le secret bancaire,. Ancien salarié de Clearstream à un haut niveau , ce dernier a été témoin, au sein de la firme, de la mise en place d’une double comptabilité non consolidée.

 

La révélation de cette finance parallèle, véritable banque dans la banque, démultiplie les révélations d’Ernest Backes, Denis Robert et Pascal Lorent. Les dirigeants d’une centaines de grandes banques internationales sont désormais en cause. En tête de liste, des banques hollandaises, belges, luxembourgeoises, françaises, italiennes, allemandes et françaises.

 

Malgré des pressions que chacun peut imaginer, la Justice luxembourgeoise vient en effet d’ouvrir une information judiciaire contre Clearstream et son délégué général, André Lussi, pour, entre autres, blanchiment, faux et usage de faux, abus de bien social, détournement de fonds.

 

Un juge d'instruction, Ernest Nilles, a été désigné suite à l'information ouverte par le magistrat responsable du Parquet Anti-blanchiment Carlos Zeyen.

 

L'enquête préliminaire, reposant sur plusieurs dizaines de témoignages, a, entre autres, validé l’enquête de Révélation$, à savoir la facilitation des opérations de blanchiment, la présence en Clearstream d'une double-comptabilité utilisée par la firme et certain de ses clients privilégiés, mais aussi une "caisse noire" à usage interne.

Révélation$ a dévoilé la boîte noire de la finance mondiale. Le scandale est planétaire. Ses répercussions encore incalculables.

Tout est parti d’un homme seul, Ernest Backes, d’un écrivain à contre-courant, Denis Robert et d’un journaliste courageux Pascal Lorent.

A eux trois, appuyés par une maison d’édition indépendante –Les Arènes- et par le magazine d’investigation de Canal Plus - 90 minutes- ils ont ébranlé le système financier.

Nous vous le répétions sans cesse : l’histoire de Révélation$ commence à peine.

Nous avions raison.

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4. Petit vade-mecum

pour comprendre la portée de Révélation$

Qu’est-ce que le clearing ?

Une chambre de compensation ou une société de clearing (le terme anglais), sert à la fois de “ facteur ” qui transporte l’argent ou les valeurs (actions ou obligations) quand ils changent de mains, et de “ notaire ” de ces opérations, dont elle conserve soigneusement la trace pour ses clients en cas de contestation. Grâce à la puissance informatique des société de clearing, certains portefeuilles de titres peuvent aujourd’hui changer de mains trente fois dans une même journée, et voyager virtuellement dans une dizaine de places financières.

 

Quelle est l’activité de la société Clearstream ?

Cette coopérative bancaire, longtemps appelée Cedel a été créé en 1971 pour faciliter les échanges internationaux d’actions et d’obligations. Elle brasse 250 fois le budget de la France, soit environ 50 trillions d'Euros par an. Et a entreposé en ses coffres, en 2000, 47 fois ce même budget, soit approximativement 9000 milliards d'euros

L’arrivée en 1991 d’un nouvel administrateur délégué, André Lussi, a entraîné de nombreux bouleversements, notamment un turn-over sans précédent de cadres supérieurs et des rumeurs récurrentes de malversation. Totalement opaque, gérée comme un bunker, pratiquant des méthodes contestables vis-à-vis des journalistes (dont certains ont été indemnisés pour des articles complaisants), entretenant une armée de consultants extérieurs (en particulier des hommes politiques luxembourgeois), elle a pu ainsi avouer en janvier et février dernier deux “ erreurs ” comptables pour un montant total de 1,7 trillions d’euros, sans que personne ne s’émeuve.

Elle compte 1700 salariés et des agences dans 7 pays, dont les USA, l'Angleterre et l'Allemagne.

 

Pourquoi parle-t-on aussi d’Euroclear ?

Ce concurrent historique de Clearstream est installé à Bruxelles. Le chiffre d’affaires des deux sociétés est à-peu-près équivalent. Euroclear a fusionné avec la Sicovam (chambre de compensation française), alors que Clearstream a été racheté, pour moitié, en 2000 par la Deutsche Boerse Clearing (chambre de compensation allemande). Emanation à l’origine de la banque américaine Morgan, réputée pour son éthique bancaire, Euroclear est plus transparente dans ses comptes et sa communication (même si sa gestion de comptes non publiés reste difficilement contrôlable). La fusion entre les deux sociétés est régulièrement évoquée depuis plusieurs années.

 

Que fait Swift dans cette galère?

Swift est une société de routage financier, qui transporte les ordres de cash entre sept mille institutions financières et transfère 3.000 milliards d’euros par jour pour six millions de “ messages ” traités quotidiennement. Le système permet des virements en cascade dans une série de paradis fiscaux en quelque secondes. Il est totalement aveugle puisqu’il crypte informations qu’il transporte. Le fonctionnement de Swift est régulièrement mis en cause par les autorités en charge de la lutte anti-blanchiment. Puisqu'il existe également des comptes non publiés chez Swift. Dans un article récent publié par "La lettre du blanchiment", un banquier français à clairement évoqué, à ce propos, l'existence d'un "triangle des Bermudes" de la finance internationale.

 

Pourquoi parler de “ boîte noire de la mondialisation ” ?

L’explosion des échanges financiers a pu laisser croire au chaos des flux financiers. Or aucune trace de la circulation des capitaux, qu’ils soient licites ou non, ne s’égare. Toutes les opérations sont enregistrées sur micro-fiches ou disques optiques. C’est pourquoi les mouvements de fonds à partir des paradis bancaires et fiscaux peuvent être facilement remontés. La faisabilité de la Taxe Tobin paraît également plus assurée qu’on ne le croit communément, grâce en particulier au méthodes comptables usitées par les chambres de compensation internationales. Les sociétés de clearing se gardent bien de communiquer sur ce point. Elles ont toujours joué sur la discrétion, voire le secret. L’immeuble d’Euroclear à Bruxelles par exemple ne comporte même pas une plaque à l’extérieur du bâtiment.

 

Pourquoi Révélation$ dénonce-t-il la pratique des comptes non-publiés ?

Le principe d’une chambre de compensation, c’est de permettre aux clients de se connaître pour s’adresser mutuellement leurs ordres de transferts ou de règlement. Historiquement la liste des clients est transparente. Longtemps publiée dans un annuaire, elle est aujourd’hui disponible sur Internet. Ce sont des comptes que l’on appelle “ publiés ”.

Au début des années quatre-vingt, la direction de Cedel a accepté de créer des “ comptes non publiés ”, c’est à dire des sous-comptes de comptes officiels pour faciliter les transferts entre les filiales d’une banque et sa maison mère.

Les autorisations d’ouverture de comptes non publiés avaient fait l’objet d’une délégation spéciale accordée par le conseil d’administration à un dirigeant historique de Cedel, Gérard Soisson, qui les accordait avec parcimonie. Ces comptes non publiés, dont la liste n’est accessible que par une procédure informatique connue seulement de Gérard Soisson et d’Ernest Backes, n’ont pas dépassé pas les deux cent jusqu’en 1991.

Avec l’arrivée d’André Lussi à la direction de Cedel, les comptes non publiés ont connu une floraison brutale. Certaines raisons techniques expliquent ce changement, notamment de nouvelles opérations comme le prêt de titres ou des procédures comptables anglo-saxonnes qui obligent à séparer les actifs de la banque et ceux de ses clients, ou à séparer les titres en fonction de la fiscalité qui leur est appliquée, etc.

Mais Ernest Backes et Denis Robert, qui ont en leur possession deux listes complètes et jusqu’alors totalement secrètes pour 1995 et 2000 de l’ensemble des comptes non-publiés, découvrent un certains nombres d’anomalies :

-certains industriels ont directement ouvert des comptes sans passer une institution financière

-les filiales de grandes banques installées dans les paradis fiscaux sont friandes de comptes non publiés

-la liste de ces comptes non publiés est l’objet d’un black out complet à l’intérieur de la société, à l’exception d’André Lussi.

- Clearstream a la possibilité technique de ne transférer que du cash. Ce dont elle ne se prive pas.

Enfin, la découverte la plus troublante: certains clients n’ont que des comptes non publiés : ils sont donc clients sans apparaître officiellement dans la liste transmise aux adhérents, c'est le cas de la banque russe Menatep, au cœur du scandale du Kremlingate. Et de plusieurs dizaines d'autres clients, dont la plupart, selon nos listes de comptes, sont domiciliés dans des paradis fiscaux.

Les explications de Clearstream et des différents banquiers, interrogés jusqu’à présent par la presse ou la mission parlementaire française sur le blanchiment, sont restées jusqu’à présent particulièrement confuses. Personne n’a encore réussi à répondre aux questions posées par Ernest Backes et Denis Robert.

 

Qu’en est-il des concurrents de Clearstream ?

Si l’opacité de Clearstream suscite évidemment le soupçon, Euroclear et Swfit ne sont pas en reste. Euroclear avoue une centaine de clients non référencés (essentiellement des banques centrales) et environ 3000 “ sous-comptes ” non publiés. Quant à Swift, il permet à certains clients de faire enregistrer un code qui n’apparaît pas dans la liste officielle, réservé à un usage entre filiales et un petit groupe d’initiés. La firme déconseille d’ailleurs officiellement cette pratique à ses clients.

Il est évident que le développement des procédures de ce type favorise la création d’un “ Triangle des Bermudes ” dans lequel viendrait à disparaître des flux d’argent de moins en moins contrôlables.

 

 

Quel est le soupçon de double comptabilité qui pèse sur Clearstream ?

C’est l’accusation la plus délicate, mais la plus importante, portée par Révélation$.

Il faut savoir que Clearstream se rémunère sur le droit de garde et sur les mouvements de titres. Les produits des échanges enregistré sur les comptes non-publiés sont intégrés dans le chiffre d’affaire de la firme.

Un ancien salarié de Clearstream a expliqué à Denis Robert –témoignage confirmé devant la Justice luxembourgeoise- qu’il existait certains comptes clients, non publiés, dont les recettes n’étaient pas consolidées dans le chiffre d’affaires de Clearstream. En 1992, une centaine de banques, et de grosses sociétés étaient impliquées. En tête de liste, des banques françaises, hollandaises, belges, luxembourgeoises, françaises, italiennes et allemandes.

Cette véritable finance parallèle, au cœur d’une institution financière clé, est une révélation d’une ampleur encore insoupçonnée, qui démultiplie la portée des accusations de Denis Robert, Pascal Lorent et Ernest Backes.

Avec une double comptabilité, donc une comptabilité officielle et une autre officieuses et caché (les spécialistes disent "non consolidées"), nous touchons à la création d'une poche d'opacité totale, inaccessible à toutes autorités de contrôle. Nous pouvons ainsi repérer, en quelque sorte, pour la première fois, une finance véritablement parallèle.

 

En quoi peut-on parler de blanchiment ou de criminalité en col blanc à propos de Clearstream ?

D’abord en étudiant les transferts de cash, que la direction de Clearstream dément, mais dont plusieurs sources internes et plusieurs documents confirment l’existence. Les mouvements des comptes de Colombie, de Singapour ou de Russie doivent ainsi être particulièrement étudiés.

Ensuite et surtout en décortiquant le mécanisme de la double comptabilité .

Enfin en auditionnant des cadres bancaires, chargés notamment des montages financiers sur les grands contrats. Le clearing facilite par exemple les retro-commissions versées sous la forme de pertes volontaires dans des opérations de (fausse) spéculation. Plusieurs témoins se sont manifestés depuis la sortie du livre. Certains ont même pris contact avec les autorités luxembourgeoises.

Il apparaît au fil des témoignages que le clearing, tel qu’il fonctionne à Clearstream, facilite toutes les entorses possibles à la transparence des marchés financiers : délits d’initiés, montage pour permettre l’auto-contrôle, maquillage de bilan, etc. Certaines banques peuvent, par exemple, aisément masquer leurs bénéfices en "investissements" sur des comptes non publiés. Tout cela au détriment des États et des contribuables.

A l'origine, le clearing est une technique bancaire qui a révolutionné les transactions internationales, en les rendant plus sûres et plus rapides. Cette sécurité et ce progrès étaient fondées sur la transparence et la confiance.

Nous pouvons relever ici que les cabinets d'audit sensés contrôler ces activités, ici KPMG, ont été parfaitement inefficaces.

 

A quoi peut servir la publication de Révélation$ et la diffusion des "Dissimulateurs"?

En reprenant, de l’intérieur, l’histoire d’une pièce maîtresse de la mondialisation financière, Révélation$ démontre que la transparence affichée par la finance est un leurre. On savait que la déréglementation financière s’était accompagnée d’un arsenal juridique sophistiqué, créé de toute pièce autour de micro-Etats exotiques, paradis bancaires et fiscaux, à l’abri des regard indiscrets. L’opacité de Clearstream est le complément logique de ce dispositif. Révélation$ dévoile ainsi le chaînon manquant de la mondialisation criminelle.

La solution est dans le problème lui-même : la réconciliation entre la finance et la démocratie passe par le démantèlement des paradis bancaires et fiscaux et la mise sous surveillance et sous tutelle internationale des chambres de compensation internationales. C’est ce que proposent en tous les cas de grands magistrats financiers comme Bernard Bertossa, le procureur général de Genève, Benoit Dejemeppe, procureur du Roi à Bruxelles, et les magistrats français Renaud Van Ruymbeke, Eva Joly et Jean de Maillard. Et ce que commencent à proposer différents banquiers alertés par nos découvertes. Ces propositions sont suivies avec attention par la mission parlementaire sur le blanchiment, présidée par Vincent Peillon et dont Arnaud Montebourg est le rapporteur.

C'est d'abord parce qu'on a laissé les banquiers se contrôler eux-mêmes que le systèmea dérivé. C'est ensuite parce que ces opérations se sont déroulées, loin de tout organisme de contrôle fiable, au Luxembourg, que ces dérives ont pris une telle ampleur.

 

Comment interpréter l'ouverture d'une information au Luxembourg?

 

C'est un événement historique pour ce petit pays, où la justice n'a jamais fait preuve, jusqu'alors d'une grande pugnacité vis à vis des milieux financiers, et d'une grande indépendance vis à vis des milieux politiques. Elle montre que les mentalités évoluent, et que la situation très particulière de ce pays, au sein de l'Europe, devenait intenable. Si le cours de l'enquête n'est pas contrarié, elle laisse entrevoir de profonds changements au niveau politique, mais aussi financier.

 

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5. UNE ENQUÊTE, DES TEMOINS

En deux mois, l'attitude des autorités judiciaires et politiques luxembourgeoises a considérablement évolué. D'un scepticisme affiché au moment de la sortie du livre, celles-ci accréditent clairement aujourd'hui les accusations graves portées par l'ouvrage, et vont même au-delà si l'on considère la nature des chefs d'inculpation à l'encontre des principaux dirigeants de la firme : faux et usage de faux, abus de bien social, détournement de fonds et surtout le plus inquiétant, pour Clearstream : blanchiment. Quand on connaît le laxisme du pays concernant ces faits (jusqu'en 1998, il fallait prouver que l'argent "blanchi" provenait d'un trafic de drogue pour espérer une ouverture d'information), quand on sait que le système bancaire représente l'essentiel des revenus du pays, quand on voit l'importance de Clearstream (1700 salariés) dans l'animation du "maillage bancaire" grand ducal (227 banques pour 420 000 habitants), on est en droit de penser que les magistrats luxembourgeois - et les autorités politiques du pays - n'auraient jamais ouvert d'information pour blanchiment s'ils n'avaient pas de sérieuses garanties quant à la suite de leur enquête, ou de sérieuses craintes

quant aux débordements vers l'étranger que les révélations nées du livre de Backes et Robert pouvaient induire.

 

Nous touchons, avec le blanchiment, au domaine le plus sensible de l'affaire et les premiers témoignages d'informaticiens arrivés aux oreilles des enquêteurs luxembourgeois laissent pantois. Selon l'un des témoins, environ 15% des sommes brassées par la firme auraient transité, dès 1992, par ce sous-système. L'enquête préliminaire montre qu'apparemment, seul un très petit nombre de salariés de Cedel était informé de ce fonctionnement trouble. Principalement dans le service informatique, à la comptabilité, et à la tête de Cedel. En tout, selon des sources internes, une dizaine de personnes. "Il suffit d'une manipulation informatique, un tour de passe-passe et l'argent et les valeurs changent de main sans que personne ne s'aperçoive jamais de rien" nous a expliqué, et a expliqué aux enquêteurs un ancien programmeur. Dans "Révélation$", les auteurs avaient abordé ce sujet, en s'appuyant sur un témoignage anonyme. "Que cachent ces comptabilités devenues inaccessibles où les sommes déposées sont de l'ordre de la dizaine de trillions ?" interrogeait le livre, qui mettait en lumière les "circuits parallèles des sociétés de clearing, point névralgique où se rencontrent des fonds de toutes natures, et où se nouent des comptabilités invisibles de l'extérieur", avant de révéler le surprenant témoignage de ce responsable de l'informatisation de la firme (également vice-président de Cedel) assurant qu'en 1992, 101 comptes non publiés "n'étaient pas comptabilisés dans la comptabilité officielle". Et l'ouvrage de produire ce témoignage, à l'origine des investigations actuelles : « Au début des années 90, nous avons été surpris par un certain nombre de bugs. Le système plantait, il fallait réparer, c'est comme ça que nous avons mis le nez où il ne fallait pas. Nous avons découvert que des comptes, non seulement n'étaient dans les listes des comptes publiés, mais étaient codés différemment des autres comptes. Ils avaient un statut particulier.

Ils n'entraient pas dans la comptabilité générale de Cedel. Les bénéfices générés par ces comptes étaient virés ailleurs… Il y en avait 101 en 1991. Ce chiffre était facile à retenir".

Cet "insider", qui avait assuré à l'auteur de Révélation$ son soutien en cas d'ennui judiciaire, a fini par rencontrer les magistrats luxembourgeois. C'est autour de ses déclarations que l'enquête s'est débloquée. "Au début personne n'y croyait trop. C'était trop gros, et puis à force de réfléchir et de recouper ce que disait cet homme, ils ont fini par se forger une conviction" explique un observateur luxembourgeois proche de l'enquête.

 

Revenons aux propos du livre et voyons comment ils sont éclairés par l'enquête luxembourgeoise. "Nous n'affirmons pas ici que tous les comptes non publiés engendrent une comptabilité occulte », écrivaient les auteurs. Leur nombre est tel que cela serait impossible et absurde. Les comptes non publiés de nombreuses filiales de banque apparaissent dans la comptabilité générale de Cedel. Selon nos sources pourtant, certains produits de comptes non publiés feraient l'objet d'une comptabilité séparée. La comptabilité de ces comptes non publiés ne serait pas entièrement "consolidée", selon la terminologie en vigueur, avec celle des comptes publiés. Poussons la logique de ce sous-système existant à l'intérieur du système à l'extrême. Nous avons vu que la Menatep, banque russe impliquée dans le scandale des fonds du FMI détournés, n'apparaissait pas dans la liste des clients de la firme. Son unique compte n'est pas publié.

Imaginons maintenant que les bénéfices générés par ce compte pour Clearstream n'apparaissent pas non plus dans la comptabilité générale de la firme, mais soient virés vers un paradis bancaire hermétique… Nous serions face à une entité bancaire n'existant nulle part, donc incontrôlable. Une sorte de trou noir de la finance. Seuls des initiés, extrêmement bien initiés, seraient dans la confidence. Nous serions ainsi face à un mécanisme générant des masses financières parfaitement clandestines". L'enquête préliminaire, dirigée par le procureur Carlos Zeyen, et le commissaire Pierre Kohnen, a non seulement recoupé ces éléments, mais elle semble les avoir affinés, crédibilisés et renforcés par de nouveaux témoignages.

Un sous système indépendant semble bien avoir pris corps dans le système de compensation, une sorte de "deuxième chemin", selon la terminologie usitée par un initié. La dimension véritable des découvertes suscitées par l'enquête à l'origine du livre, prend aujourd'hui, une nouvelle dimension. Le nombre très élevé de compte non publiés ( 7 500 sur 15 000 en avril 2000 ), ou de clients non référencés ( des banques, mais aussi des sociétés off shore et des multinationales ) apparaissent ainsi, selon nos informations, comme la conséquence et l'illustration de ce sous-système dissimulé à l'intérieur du système.

Selon les témoignages recueillis par les enquêteurs, les dirigeants de Clearstream seraient donc intervenus, à la demande de certains de leurs clients, à la source même du système informatique pour masquer des transactions. L'explication fournie aux policiers luxembourgeois et aux fonctionnaires de la Commission de Surveillance

du Secteur Financier (1) est très technique, et a nécessité de longues heures d'entretien et de recoupements avec desinformaticiens, dont certains pour- raient être encore en place aujourd'hui à Clearstream.

Toute la difficulté de l'instruction va consister à établir formellement l'existence, la taille et la nature des opéra- tions générées dans ce sous système.

Dans le collimateur, le service informatique et plus particulièrement les programmeurs de la firme. On aurait en effet fait exécuter à ces derniers, pour être agréable à certains clients "des exceptions dans le programme infor- matique". Le but de ces opérations étant de dissimuler certains passages d'argent et de valeurs. Pour ce faire, on serait intervenu directement à la source des programmes codés très complexes, régissant les transactions financières opérées dans la chambre de compensation internationale. Le but de l'hypothétique manœuvre étant d'exécuter de la manière la plus clandestine qui soit des transferts de fonds et de valeurs, sans que ceux-ci apparaissent dans les relevés quotidiens, et sans que l'équilibre des entrées et des sorties de fonds ne soient affecté. Les dirigeants de Clearstream auraient progressivement perfectionné ce qui apparaîtrait ainsi comme une fraude institutionnalisée à grande échelle, en faisant ensuite disparaître des relevés journaliers effectués sur microfiches ces "exceptions informatiques". Ni vu, ni connu… sauf que des documents attestant de la manipulation semblent refaire surface aujourd'hui.

Et c'est là que les événements se corsent et créent un début de panique chez d'importants banquiers de la place qui, pour l'instant, avaient accueilli les révélations de Révélation$ avec, au mieux, de la condescendance. Il semble en effet que nous sommes loin désormais des seules banques mafieuses russes, colombiennes ou italiennes. Dès 1992, des banques et des sociétés prestigieuses, en France, en Hollande, en Allemagne, en Suisse ou au Royaume- Uni auraient utilisé ce "deuxième" système à des fins sur lesquelles il convient maintenant de s'interroger.

"On s'est trop focalisé, jusqu’à présent, sur la double-comptabilité qui était la résultante d'un problème plus profond" explique Denis Robert. "S'ils ont véritablement créé un système dans le système servant à dissimuler des opérations troubles à grande échelle, les dirigeants de Clearstream avaient un problème de fond : comment se rémunérer sur ces opérations ? C'est là, selon les témoignages concordants recueillis pendant l'enquête, qu'aurait été créée, sur le modèle de la comptabilité officielle, une seconde comptabilité "non consolidée" . Nos

témoins nous ont expliqué que les bénéfices générés par ces comptes étaient virés ailleurs, loin des regards importuns, vers des comptes non publiés dans le système. On m'a parlé de comptes internes domiciliés dans des îles anglo-normandes. Je n'ai pas les moyens de vérifier, et Clearstream a toujours refusé de me répondre. Ce sera maintenant aux policiers luxembourgeois de faire ce travail…"

(1) Nouvelle entité créée fin 1999 pour palier les manques de l'ancien Institut monétaire luxembourgeois.

 

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6. Une interview de Denis ROBERT

Quelle serait la destination de ces fonds de cette double comptabilité ?

- Tout ne serait pas allé vers des particuliers, mais plutôt vers des organisations…

Lesquelles ?

- Il est trop tôt pour le dire.

Et les auditeurs ou les vérificateurs extérieurs comme l’IML ?

- Pour ces derniers, ils étaient clairement incompétents et peu armés pour ce type de vérifications. Il ne faut pas oublier que le Luxembourg s’est doté d’une banque centrale depuis peu…Quant aux auditeurs, soit ils savaient et ont fermé les yeux, soit ils n’y ont vu que du feu, puisque les deux systèmes – celui de Clearstream officiel, et celui de Clearstream officieux – étaient, selon nos sources, séparés et sans lien.

Quelles traces peuvent laisser ces manipulations ?

- D’après les spécialistes, on peut retrouver toutes les traces dans la mémoire des ordinateurs, sur les disques durs. C’est le piège de l’informatique. Et si on ne retrouve pas concrètement les opérations illicites, on doit retrouver la trace d’une manipulation sur le système-source. Ce qui est gravissime. Les explications données par les informaticiens rencontrés récemment par les enquêteurs sont, par ailleurs trop précises pour être inventées.

Est-ce que ce système fonctionne encore ?

- Selon un des informaticiens entendus par les enquêteurs luxembourgeois, il durerait encore aujourd’hui.

Les coopérateurs allemands sont-ils au courant de ce système ?

- Visiblement ils viennent de le découvrir. En tout cas, avant d’ouvrir son information, un magistrat luxembourgeois est allé à Francfort leur rendre une petite visite. C’est là que s’est joué le choix de suspendre les dirigeants actuels.

Et les clients ?

- C’est le gros problème et l’énormité de la situation. Comment ce sous-système aurait-il pu fonctionner sans la complicité des clients ? Les dirigeants de Clearstream, et le premier d’entre eux, ont-ils été les instigateurs de ce système ou les instruments des clients banquiers qui avaient un moyen bien pratique de faire plaisir à leurs propres clients ?

Comment cela se passait-il concrètement ?

- Dans le détail, je l’ignore encore. Mais certains initiés, eux, doivent le savoir. Et la liste est longue, puisqu’en 1992, selon le responsable de l’informatisation de la firme, elle comptait déjà 101 « clients », qui demandaient expressément à utiliser ce « deuxième chemin ». A qui ? Comment ? Ce sera à l’enquête de le déterminer.

C’est difficile à croire.

 

- Je sais J’ai eu du mal, moi aussi, il m’a fallu deux ans… Mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque. En 1992, il n’y avait aucune pression des juges ou d’Interpol. Les questions de finance internationale n’intéressaient personne. Il n’y avait pas eu d’Appel de Genève, ni de commission d’enquête parlementaire.

Encore aujourd’hui, d’ailleurs, la presse généraliste, voire même les juges financiers, ont du mal avec ces questions…

Oui, le clearing reste un sport méconnu, même si les idées développées dans le livre commencent à faire leur chemin. Il ne faut pas trop compter non plus sur la presse financière. J’ai écrit dans le livre comment le P-D-G de Clearstream payait des journalistes pour des articles complaisants. Je n’ai pas été attaqué sur ce point. Il ne faut pas oublier que l’actuel directeur de communication de Clearstream, celui qui répond aux questions des journalistes, est un ancien journaliste britannique qu’André Lussi, le P-D-G, a indemnisé pour qu’il réalise une fausse enquête qui lui a permis d’éjecter du système des cadres devenu gênants.

Personne n’aurait rien vu ni rien dit dans la firme ?

 

- Il y a eu des rumeurs, des lettres plus ou moins anonymes, la grande difficulté étant de prouver ce qu’on avance… Et comme, par essence, on a fabriqué de l’invisibilité, c’est assez difficile. Il faut d’abord que les hommes parlent, expliquent, ensuite aller voir dans le système…

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, sans doute la presse elle-même a du mal à comprendre.

Jusqu’à présent, tout le monde s’est tu pour des raisons qui peuvent aller de la corruption à la crainte de perdre son emploi, ou aux pressions physiques. Ils se sont tus jusqu’à ce que Ernest Backes d’abord, puis notre dernier témoin se mettent à expliquer. Ce qui est drôle c’est que ces deux hommes se connaissaient à peine et n’ont fait que se croiser dans la firme.

Le système était opérationnel, les informaticiens avaient l’impression de faire leur job. Les récalcitrants étaient virés. Comme – et c’est sans doute l’élément clef – Cedel était très mal contrôlée. Les choses ont lentement dérivé pour atteindre les incroyables proportions qu’on devine aujourd’hui.

Que voulez-vous dire ?

- C’est très difficile à évaluer. Nous naviguons dans un monde où l’unité de base est le trillion d’euros, c’est-à-dire 1.000 milliards. Si je me réfère aux seules estimations des informaticiens et si la proportion est restée la même huit ans plus tard, Clearstream aurait brassé environ 50.000 milliards d’euros en 2000. Environ 7.500 milliards d’euros seraient donc passés par le sous-système ( 15 % ), soit approximativement trente fois le budget de la France. Cela semble énorme, mais quand on sait que Clearstream a reconnu en début d’année une erreur de 1,7 trillions dans son bilan, sans que personne ne s’en émeuve… De plus, si l’on met d’un côté l’argent du crime organisé – la drogue, la prostitution, les trafics d’armes ou d’uranium – et d’un autre côté l’argent de la délinquance financière – la fraude fiscale ( très importante au moment du passage à l’euro ), le maquillage de bilans, les commissions et les rétro-commissions, les délits d’initiés etc…on comprend mieux ce chiffre.

Il faut bien que l’argent du crime passe quelque part, non ?

Ce système arrangeait tout le monde, sauf évidemment les contribuables et les actionnaires non initiés…

Pouvez-vous prévoir ce qui va se passer maintenant ?

- Je ne suis pas devin, mais si les enquêteurs font bien leur travail et si on laisse opérer le juge Nilles, ça devrait prendre assez vite des proportions inquiétantes.

Je ne suis pas sûr que tout le monde, y compris dans les banques, ait encore mesuré l’ampleur du futur désastre. Rapidement dans les pays où les banques concernées ont leur siège et leurs clients, elles vont devoir s’expliquer et répondre de leurs actes.

Elles l’ont déjà fait, pour certaines devant le parlement français…

Oui, cela va être assez amusant de relire certaines dépositions à la lumière de ces nouveaux éléments.

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