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FORUM SOCIAL MONDIAL à Porto Alegre : un autre monde est possible

Le pari était ambitieux : faire venir dans une grande ville du sud du Brésil des centaines de représentants des mouvements qui s'opposent à la mondialisation néolibérale aux quatre coins de la planète.

Eric Toussaint (1)

Le but était de se réunir pour faire avancer des pistes alternatives et se mettre d'accord sur un calendrier de mobilisations prioritaires au moment où se réunissaient à Davos ceux qui prétendent diriger le monde vers encore plus de marchandisation et de domination du capital. Bref, opposer au Forum économique mondial (FEM) de Davos un Forum social mondial (FSM) qui affirme qu'un autre monde est possible.

Pari gagné à tous les points de vue : très grande participation de représentant(e)s d'une très large gamme de mouvements opposés à la mondialisation néolibérale; convergence manifeste entre les différentes plateformes; grande qualité des débats; adoption de trois déclarations complémentaires émanant l'une des mouvements sociaux, l'autre des parlementaires et la troisième des édiles communaux. Enfin très grand écho médiatique au niveau planétaire dans la mesure où le FEM de Davos et le FSM de Porto Alegre ont été systématiquement présentés comme symbolisant deux choix fondamentaux qui s'offrent à l'humanité.

Déroulement

Le Forum social mondial est l'aboutissement de plus d'un an de préparation minutieuse réalisée par un comité d'organisateurs brésiliens composé de mouvements sociaux (Mouvement des Sans Terre, Centrale Unique des Travailleurs,...), et des ONG. Ce comité a travaillé systématiquement en liaison avec des mouvements d'autres continents tel ATTAC, Focus on global South, le CADTM, Jubilé Sud, ainsi qu'avec Le Monde diplomatique. L'initiative était appuyée par le gouvernement de l'Etat du Rio Grande do Sul (10 millions d'habitants) et la mairie de sa capitale, Porto Alegre (1,3 million d'habitants), tous deux dirigés par le Parti des Travailleurs. Le 25 janvier 2001, l'ouverture s'est faite avec près de 4.000 participants. Discours radicaux (dont celui du gouverneur Olivo Dutra, ex-leader syndical) et production culturelle de grande qualité - présentant les racines indigènes et africaines des luttes d'aujourd'hui en faisant référence à l'extraordinaire lutte des esclaves noirs pour leur émancipation - ont donné le coup d'envoi d'une course contre la montre qui a duré 5 jours. Après l'ouverture, les participants du FSM se sont rendus au centre ville pour une grande manifestation d'environ 10.000 personnes sur le thème "Marche pour la vie, un autre monde est possible" et qui s'est terminée par un concert populaire en plein air.
Du 26 au 29, chaque matinée était occupée par quatre grands débats se déroulant simultanément avec un public oscillant par conférence entre 400 et 900 personnes. Au total donc, 16 grands débats consacrés aux grands thèmes de société et orientés vers la mise en perspective d'alternatives.
Ensuite, chaque après-midi se déroulaient des ateliers. En quatre jours, il y en a eu près de 360. Ces ateliers étaient organisés par les mouvements eux-mêmes. Chaque fin d'après-midi se déroulaient des "conférences-témoignages" données par des personnalités comme Lula (leader du PT), Cuautémoc Cardénas (dirigeant du PRD mexicain) ou José Bové (Confédération paysanne, France).
En complémentarité au Forum social mondial à proprement parler, se déroulaient un Forum parlementaire mondial (auquel participaient 350 parlementaires) et un Forum municipal mondial animé par le nouveau maire de Porto Alegre, Tarso Genro.
Il faut encore ajouter un camp international de la jeunesse avec plus de 1.000 participants ainsi qu'un camp des peuples indigènes et de multiples activités et actions avec le Mouvement des paysans sans terre au cours desquelles José Bové a accompagné le MST pour détruire un champ d'expérimentation de culture de soja transgénique, propriété de la multinationale Monsanto. Ce qui a valu à Bové un ordre d'expulsion du territoire brésilien lancé par le gouvernement néo-libéral du président Fernando Henrique Cardoso.
Le FSM s'est terminé le 30 janvier sur la décision de convoquer la prochaine édition à Porto Alegre à la même date que le Forum de Davos en 2002.

Convergence entre mouvements

Après l'échec de l'AMI (Accord multilatéral sur l'Investissement) en octobre 1998, après l'échec du Round du Millénaire à Seattle en décembre 1999, après le fiasco de la réunion annuelle de la Banque mondiale et du FMI à Prague en septembre 2000, le FSM de Porto Alegre a constitué un pas supplémentaire dans la voie d'une accentuation des convergences entre de très nombreux mouvements qui cherchent à obtenir satisfaction sur des revendications fondamentales pour l'humanité. Cette rencontre de janvier 2001 a été précédée d'une dizaine d'initiatives de mobilisations très importantes en l'an 2000 au cours desquelles ces mouvements ont systématiquement agi ensemble : Bangkok en février 2000 (à l'occasion de la Xe conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement); Washington en avril 2000 (assemblée du printemps du FMI et de la BM); Genève en juin 2000 (Evaluation du Sommet des Nations Unies sur le développement social); Okinawa en juillet 2000 (G7); Prague en septembre 2000; Bruxelles, New York et Washington en octobre 2000 (Marche mondiale des femmes); Séoul le même mois (3e Conférence Asie-Europe); Nice en décembre 2000 (Sommet de l'UE); Dakar en décembre 2000 ("Des résistances aux alternatives").
Ces rendez-vous multiples ont permis d'élaborer des positions communes entre de puissants mouvements sociaux (des syndicats CUT du Brésil, KCTU de Corée du Sud, CTA d'Argentine, COSATU d'Afrique du Sud,…), des mouvements paysans), des mouvements citoyens comme ATTAC; des mouvements indigènes (CONAIE d'Equateur, Zapatistes du Mexique); la Marche mondiale des femmes; des réseaux internationaux (Focus on global south, ATTAC, CADTM, Marches européennes); des mouvements des "sans" (sans papiers, sans domicile fixe, sans emplois, sans terre); des mouvements écologistes, pacifistes, la gauche radicale; des coalitions sur des thèmes précis comme : 1) l'annulation de la dette du tiers monde (Jubilé 2000, Jubilé Sud,...); 2) le refus de la poursuite de l'offensive néolibérale dans le commerce; 3) la taxe Tobin...

Les points de convergence

On peut essayer de résumer les points d'accords entre mouvements comme suit.
Nécessité d'une alternative démocratique et internationaliste à la mondialisation capitaliste néo-libérale; nécessité de réaliser l'égalité entre femmes et hommes; nécessité d'approfondir la crise de légitimité de la Banque mondiale, du FMI, de l'OMC, du Forum de Davos, du G7 et des grandes multinationales; exiger l'annulation de la dette du tiers monde et l'abandon des politiques d'ajustement structurel; exiger l'arrêt de la dérégulation du commerce, s'opposer à certaines utilisations des OGM et rejeter la définition actuelle des droits de propriété intellectuelles en relation avec le commerce (Trips); faire obstacle à la politique militariste (exemple, le Plan Colombie des USA); affirmer le droit des peuples à un développement endogène; trouver des sources de financement sur la base de la taxation du capital en commençant par une taxe de type Tobin; affirmer les droits des peuples indigènes; nécessité d'une réforme agraire et d'une réduction généralisée du temps de travail; nécessité d'un combat commun Nord/Sud et Est/Ouest; promotion des expériences démocratiques comme le budget participatif pratiqué à Porto Alegre.

Ces principaux éléments se retrouvent tous ou à peu près dans la déclaration que les mouvements sociaux ont adoptée au FSM à Porto Alegre (voir sur les sites web www.forumsocialmundial.org ou attac.org Disponible uniquement en espagnol, portugais et anglais pour le moment). Ils se trouvaient déjà dans l'appel de Bangkok (février 2000) et dans la déclaration de Genève (juin 2000), c'est un signe très encourageant.
Des questions importantes font l'objet d'un débat : faut-il "abolir" la Banque mondiale, le FMI et l'OMC ou les réformer en profondeur? Faut-il lutter dans les pays de la Périphérie pour la suspension du paiement de la dette ou fait-il utiliser la voie de la négociation sans recourir à cette mesure? Le fait que ces questions fassent débat ne constitue pas un obstacle à l'action commune sur les points qui font l'objet d'un accord.

Porto Alegre versus Davos

Davos entouré de barbelés et protégé par des centaines de policiers et de militaires. Porto Alegre ouvert à tous ceux et à toutes celles qui prônent l'humanité à la place du profit. Davos, le luxe; Porto Alegre, la dignité. Davos la crise de légimité; Porto Alegre, les alternatives.

La rencontre de Porto Alegre a été extraordinairement médiatisée : près de 500 journalistes s'étaient fait accréditer (plus qu'à Davos...). Cela illustre un tournant. Les médias, y compris les plus fervents défenseurs de la course au profit (CNN par exemple) ont senti que s'opérait un tournant dans l'opinion : une partie de plus en plus importante des citoyen(ne)s de la planète éprouvent de la méfiance à l'égard de l'offensive néolibérale. Ceux et celles qui se sont mobilisés à Porto Alegre ont été en contact permanent via des médias alternatifs (Indymedia par exemple) avec les anti-Davos qui se mobilisaient en Suisse et ont exprimé leur solidarité avec la manifestation de Suisse.

(1) Eric Toussaint, président du Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde, était invité comme conférencier par le FSM à Porto Alegre. Sa contribution (" Vers des alternatives ") sera disponible sur le site du CADTM : users.skynet.be/cadtm à partir du vendredi 16 février 2001.

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