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Analyse
| Le système éducatif remis en question L'intégration par l'école des jeunes de milieux défavorisés ne se fait plus. Le 4 avril 1998 |
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Si la fronde scolaire qui agite le 93 a rencontré un tel écho, c'est qu'au-delà de quelques dizaines de postes de plus ou de moins, elle oblige à s'interroger sur la capacité du système éducatif français à intégrer dans la société les couches populaires. A ce titre, elle déstabilise la gauche plurielle, dans un débat qui traverse le Parti communiste. Défi social. Longtemps déversoir de toutes les misères de Paris intra-muros, la banlieue nord-est est aujourd'hui le sas d'entrée en Ile-de-France des immigrations extérieures (Mali, Afrique du Nord, Pakistan) et intérieures (Antilles, Nord-Pas-de-Calais, Lorraine). Ces groupes ont en commun l'origine populaire, le déracinement, la faible qualification. Pour certains s'ajoutent des handicaps linguistiques et culturels, mais l'extrême jeunesse de la population du département est aussi un gage de dynamisme. Le projecteur médiatique met l'accent sur la violence, le chômage et la drogue, mais oublie que nombre de familles immigrées croient dans les vertus de l'école comme moyen d'ascension sociale. La tâche à laquelle étaient confrontés au début du siècle les hussards noirs de la République, dans les campagnes ou les faubourgs ouvriers, n'était pas moins ambitieuse. Reste à savoir si les enseignants y croient encore. Dysfonctionnement. Autant l'agrégé de lettres du lycée parisien Henri-IV n'a pas de raison de douter des valeurs du système, autant le jeune certifié de mathématiques débarquant au collège Painlevé de Sevran, où en février 1995 une bande d'adolescents a, une après-midi durant, systématiquement «caillassé» les vitres, peut s'interroger sur le sens de son métier. «On est toujours sur le fil», confient les enseignants des collèges difficiles. Circonstance aggravante: malgré la politiques des ZEP (zones d'éducation prioritaires), la République dépense moins par élève en Seine-Saint-Denis qu'à Paris, ne serait-ce que parce que les enseignants ont dans la capitale en moyenne vingt ans de carrière, et donc un coefficient d'ancienneté supérieur. C'est le système des mutations nationales qui est ici en cause. Autre effet pervers du système: compte tenu de la dureté des conditions d'exercice, le renouvellement est rapide et il empêche de constituer des équipes pédagogiques stables. Quant aux enseignants qui tiennent le coup, ils n'ont pas la reconnaissance sociale et professionnelle qu'ont leurs collègues des lycées parisiens, alors qu'ils s'épuisent davantage et développent souvent des innovations remarquables. Un seul exemple: le collège Victor-Hugo d'Aulnay-sous-Bois fut un des premiers à correspondre en anglais, grâce à l'Internet, avec des établissements des Etats-Unis. Le problème de ces expériences est qu'elles ne peuvent être valorisées qu'en s'affranchissant du carcan des programmes. Or, si l'on décide de faire l'impasse sur Racine et sur la grammaire allemande, on exclut de fait les élèves de Bobigny ou de Pantin de la filière dite d'excellence. La rumeur qui a couru ces dernières semaines de la mise en place d'un «bac spécial» pour le 93 reflétait cette inquiétude. Le seul moyen de contourner cet obstacle est de remplacer nationalement les critères de sélection actuels (latin, allemand, maths...) par d'autres plus adaptés aux préoccupations des jeunes des banlieues (informatique, audiovisuel, apprentissage oral des langues...). On imagine les cris d'orfraie de la société des agrégés et des syndicats enseignants conservateurs (Snalc) si une telle réforme se faisait. Surenchère au PCF. Bastion du Parti communiste, la Seine-Saint-Denis est le lieu d'une émulation permanente entre communistes «légitimistes» (qui soutiennent Robert Hue) et «contestataires». A tous les niveaux, syndicats d'enseignants (FSU), associations de parents d'élèves (FCPE), élus locaux, on retrouve ces militants, adhérents ou proches du PC, comme organisateurs naturels du mouvement. Avec une différence de taille entre «huistes» et «contestataires»: les premiers ne veulent pas mettre en porte-à-faux les ministres communistes de la gauche plurielle, alors que les seconds, menés par le maire de Saint-Denis Patrick Braouezec et aiguillonnés par les militants trotskystes de la Ligue communiste, se font un malin plaisir à encourager la base à en découdre. Longtemps accusés par les légitimistes d'avoir pour les socialistes les yeux de Chimène et d'être coupés des masses laborieuses, les contestataires, très remontés contre le gouvernement auquel ils reprochent de régulariser au compte-gouttes les sans-papiers, n'allaient pas laisser passer l'occasion de montrer qu'ils sont aussi capables de coller à la base, quand il le faut, même contre un Premier ministre de gauche . FRANÇOIS WENZ-DUMAS
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